Mgr Najeeb Michaeel, archevêque de Mossoul (Irak), prie avec une délégation suisse dans la cathédrale de la ville détruite | photo: février 2022 © Raphaël Zbinden
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Irak: moins de 50 familles chrétiennes sont revenues à Mossoul

Le 29 juin 2014, deux semaines après la prise de de Mossoul, au nord de l’Irak, le chef de l’État islamique (EI) Abu Bakr Al-Baghdadi proclamait le califat dans la grande mosquée Al-Nuri. Un ultimatum enjoignait les chrétiens restés dans la ville à se convertir à l’islam ou à partir en abandonnant leurs biens. Depuis la libération de la ville en 2017, moins de 50 familles sont revenues à Mossoul.

La conquête de Mossoul par les djihadistes, entre le 4 et le 10 juin 2014, a provoqué un exode de chrétiens et de yézidis. Ces jours ont marqué le début d’une période de terreur, qui a profondément changé le profil d’une ville autrefois décrite comme un lieu de coexistence entre communautés religieuses, y compris ce qui est reconnu comme l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde.

L’avancée des djihadistes dans la plaine de Ninive, le 6 août, a forcé l’ensemble de la population chrétienne à fuir vers le Kurdistan irakien. L’exode des chrétiens avait en fait commencé avant l’arrivée des hommes de Daech.

«Le nombre de chrétiens a commencé à diminuer après l’intervention des États-Unis»

Avant l’invasion des djihadistes, au moins 50’000 chrétiens vivaient à Mossoul et environ 300’000 dans toute la plaine de Ninive, au nord-ouest du pays. Mossoul a été reprise à l’État islamique en 2017. Depuis lors, très peu de chrétiens ayant fui sont rentrés chez eux de manière stable. «Il s’agit de 30 à 40 familles, souvent incomplètes. Beaucoup sont des personnes âgées. Plusieurs familles vont et viennent d’autres endroits, elles ne représentent pas une présence stable que l’on peut remarquer», confirme à l’Agence Fides Paul Thabit Mekko, évêque chaldéen d’Alqosh.

100’000 chrétiens à Mossoul en 2003

Il y a 20 ans, Mossoul comptait plus de 100’000 chrétiens, intégrés dans un tissu social où la majorité sunnite coexistait avec les chiites, les yézidis et d’autres minorités. Le nombre de chrétiens a commencé à diminuer après l’intervention militaire menée par les États-Unis qui a conduit à la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Depuis lors, la violence inter-religieuse a augmenté.

En juin 2014, de nombreuses familles chrétiennes avaient déjà quitté Mossoul, avant la conquête totale de la ville par Daech. Ceux qui étaient restés recevait un ultimatum: soit renier leur foi chrétienne, se convertir à l’islam et payer une variation de la djizya (l’impôt de capitation pour les non-musulmans), soit quitter immédiatement la ville en abandonnant tous leurs biens.

Le 12 juin, l’archevêque chaldéen de Mossoul de l’époque, Amel Shimon Nona, avait confirmé à l’agence vaticane Fides que la grande majorité des 1’200 familles chrétiennes avaient quitté la ville. Lui et ses prêtres avaient trouvé refuge dans les villages de la plaine de Ninive tels que Qaramles et Tilkif, à quelques dizaines de kilomètres de Mossoul.

A Mossoul (Irak) en 2018 © Jacques Berset

Dans le même temps, Mgr Nona a démenti les rumeurs d’attaques d’églises par des hommes de Daech. «Notre église dédiée au Saint-Esprit, déclarait l’archevêque à Fides, a été saccagée par des bandes de voleurs hier et avant-hier, alors que la ville était prise par Daech». Mais les familles musulmanes qui vivent dans la zone ont appelé elles-mêmes les miliciens islamistes, qui sont intervenus et ont mis fin aux pillages. Ces mêmes familles musulmanes nous ont téléphoné pour nous dire qu’elles gardaient désormais l’église et qu’elles ne laisseraient pas les pilleurs revenir».

«Je crois que plus de 90% des chrétiens qui ont fui Mossoul n’envisagent pas de revenir»

Mgr Paul Thabit Mekko, évêque d’Alqosh

Dans les semaines qui ont suivi, l’exode de milliers de chrétiens de Mossoul s’est poursuivi. Leurs maisons ont été «marquées», au même titre que celles des chiites, comme des habitations susceptibles d’être expropriées par les miliciens et les nouveaux adeptes de l’État islamique. Deux religieuses et trois garçons ont été temporairement emprisonnés par les djihadistes.

Chrétiens expulsés

Puis, en janvier 2015, les miliciens du califat autoproclamé ont expulsé de Mossoul dix chrétiens chaldéens et syriens-catholiques âgés, rassemblés dans des villages de la plaine de Ninive et temporairement hébergés dans la deuxième ville d’Irak, après avoir refusé d’abjurer leur foi chrétienne et de se convertir à l’islam.

Pendant l’occupation djihadiste, Mossoul est devenue la capitale irakienne de l’État islamique. Un an plus tard, en juin 2015, Daech contrôlait un tiers de l’Irak et près de la moitié de la Syrie, menaçait la Libye et bénéficiait de l’affiliation de dizaines de groupes armés au Moyen-Orient et en Afrique.

Mgr Najeeb Michaeel, ici en février 2022, archevêque de Mossoul, est sûr que sa cathédrale reprendra bientôt vie | © Raphaël Zbinden

L’opération militaire mise en place pour mettre fin à la domination djihadiste de Mossoul en 2017 a duré des mois et a connu des phases extrêmement sanglantes. «Sept ans plus tard, explique à Fides l’évêque Paul Thabit Mekko, je crois que plus de 90 % des chrétiens qui ont fui Mossoul n’envisagent pas de revenir. Ce qu’ils ont vu et subi a créé un mur psychologique.»

«Certains, ajoute-t-il, ont été chassés, d’autres se sont sentis trahis. Nous ne savons pas si la situation va changer. Aujourd’hui, beaucoup vivent à Ankawa, le quartier d’Erbil habité par les chrétiens, ils se sentent plus en sécurité, il y a plus de possibilités de travailler. Ils ne pensent pas revenir dans une ville qui a beaucoup changé par rapport à ce qu’elle était lorsqu’ils y vivaient. Ils ne la reconnaîtraient pas».

S’adressant à l’Aide à l’Eglise en détresse (ACN/AED) début juin, l’archevêque d’Erbil, Mgr Bashar Warda, a déclaré qu’environ 9’000 familles chrétiennes sont maintenant rentrées chez elles dans les plaines de Ninive.

Le pape réconcilie les communautés?

La venue du pape en mars 2021 a semblé apaiser le climat entre chrétiens et musulmans. «Aujourd’hui, il y a un nouveau langage qui s’est créé entre les musulmans et les chrétiens, dans la région de Mossoul. Il apporte une lueur d’espoir pour cette ville martyre», expliquait en mars 2022 à cath.ch Mgr Najeeb Michaeel, archevêque de Mossoul.

Tout n’est pas si rose, analyse cependant Naseem Asmaroo, prêtre chaldéen du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Depuis le passage du pape et l’instabilité politique qui règne dans le pays, les chrétiens ne se sentent pas du tout à l’abri, a expliqué le prêtre irakien à cath.ch de retour d’Irak en automne 2023. En septembre 2023, quatre personnes sont mortes à Kirkouk, au nord du Kurdistan irakien, dans des heurts opposant des Kurdes à des membres des minorités arabes et turkmènes, relate Naseem Asmaroo.

Il évoque le cas d’une jeune chrétienne rencontrée à Ankawa, dans la banlieue d’Erbil. Elle fait tous les jours plus de deux heures de route de la capitale du Kurdistan irakien à Mossoul, où elle étudie la médecine. Il serait trop dangereux pour elle de dormir dans cette ville à grande majorité arabe sunnite, où il est connu que subsistent des cellules de Daech. «Cela montre bien la méfiance qui règne encore», note le prêtre chaldéen. (cath.ch/aed/arch/bh)

Mgr Najeeb Michaeel, archevêque de Mossoul (Irak), prie avec une délégation suisse dans la cathédrale de la ville détruite | photo: février 2022 © Raphaël Zbinden
27 juin 2024 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 5  min.
Chaldéens (30), Chrétiens d'Orient (63), Daech (159), Irak (322), Mossoul (57)
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