Le port du voile à l'école publique  fait débat | Photo d'illustration © Michael Coghlan/Flickr/CC BY-SA 2.0
Suisse

Hafid Ouardiri: «Le voile n’est pas un signe de soumission»

Le Parlement suisse examine au printemps 2024 un postulat demandant l’interdiction du voile islamique dans les écoles et les jardins d’enfants. Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-connaissance (Genève), estime que le texte va dans la mauvaise direction.

«Le port d’un voile entrave le développement et la liberté de mouvement des filles et est contraire à l’un des buts visés par l’école, à savoir l’égalité de tous.» Tel est l’argument au centre du postulat déposé en décembre 2022 par la conseillère nationale Marianne Binder-Keller (Le Centre/AG). Le texte, repris par la conseillère vaudoise Jacqueline de Quattro (PLR) en décembre 2023, est débattu ce printemps au Parlement. A l’ordre du jour de la session du 17 avril 2024, l’objet a finalement été reporté au mois de juin, a communiqué Jacqueline de Quattro à cath.ch. L’élue a expliqué ne pas pouvoir répondre aux questions du portail catholique, étant en plein débat parlementaire.

«Au niveau romand, cette problématique du voile n’est pas thématisée»

David Rey

Le postulat a déjà fait face à un avis défavorable du Conseil fédéral. Les sept sages ont relevé tout d’abord que les compétences sur les questions de religion ainsi que d’instruction publique revenaient aux cantons. Ils ont en outre jugé qu’il n’était «pas souhaitable, ni nécessaire» de «subordonner l’accès d’une écolière aux cours à l’abandon d’un symbole religieux». Cela au regard des intérêts publics en présence, notamment «la paix scolaire, la fonction d’intégration de l’école, la neutralité de l’État en matière religieuse et l’égalité entre femmes et hommes».

Une problématique «non thématisée»

Hafid Ouardiri rejoint globalement la vision de l’exécutif suisse. L’intellectuel genevois déplore la résurgence de la polémique sur le voile, surtout à l’heure actuelle. «Au vu de ce qu’il se passe dans le monde, il est irresponsable de créer inutilement des tensions entre les communautés, assure-t-il à cath.ch. Face aux nombreux problèmes que le pays doit affronter, la priorité devrait être de faire cause commune, de favoriser le vivre-ensemble.»

Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, plaide pour une meilleure compréhension des traditions de l’islam | © Jacques Berset

Hafid Ouardiri voit dans ce postulat «davantage une tentative de gagner des voix que d’essayer de résoudre un réel problème de société». Lui-même n’a en tête que «très peu» de cas conflictuels concernant le port du voile à l’école, à Genève. Un constat confirmé par David Rey, président du Syndicat des enseignants romands. »Au niveau romand nous n’avons pas eu de remontées, cette problématique n’est pas thématisée», assure-t-il à la Tribune de Genève (TDG) du 17 avril 2024. Le journal cite des responsables de l’enseignement de cantons francophones assurant également de l’absence de problématique concernant le port du voile.

Une minorité qui «ne peut pas être ignorée»

«On nous répond volontiers que seule une petite minorité de filles serait concernée, relève Jacqueline de Quattro dans sa prise de parole prévue au Conseil national, transmise à cath.ch. Mais une minorité, aussi petite soit-elle, ne peut être ignorée dans nos sociétés occidentales qui se targuent d’être particulièrement progressistes en matière d’émancipation.»

«Le voile est beaucoup plus un élément issu de la culture que de la religion»

Hafid Ouardiri

«Si le Tribunal fédéral a effectivement dit, dans un arrêt de 2015, qu’une interdiction générale était problématique, il a précisé dans cette même jurisprudence qu’il n’exclut pas une interdiction ponctuelle fondée sur un intérêt public prépondérant, note l’élue vaudoise. Une interdiction semble donc possible notamment pour permettre aux filles d’accéder aux leçons de sport et de piscine.»

Pas d’exemption pour la piscine

Jacqueline de Quattro met ainsi l’accent sur le danger d’exclusion des petites filles voilées. «Cela les met vite de côté et en fait des camarades de classe ‘qui ne jouent pas avec nous’», souligne-t-elle. Une idée contestée par Hafid Ouardiri. «C’est une vision politique et une vision d’adulte. Si vous connaissez les enfants, vous vous rendez vite compte que les différences pour eux n’ont pas d’importance, tant qu’on ne leur met pas dans la tête le contraire. Un enfant ne va pas s’empêcher de jouer avec un autre parce qu’il porte des vêtements différents ou a une autre couleur de peau. Les enfants sont au-dessus de ça.»

Le directeur de la Fondation de l’Entre-connaissance insiste pour autant sur le fait que le règlement scolaire et la législation doivent l’emporter sur les convictions religieuses. «Il n’est bien sûr pas acceptable que quelqu’un refuse de participer à des cours de natation ou de gymnastique pour de telles raisons», estime-t-il.

Le voile, un signe «de pudeur et de décence»

Pour le texte soumis au Parlement, «il n’est pas admissible que de jeunes enfants soient obligés de porter le voile dès leur plus jeune âge, une pièce vestimentaire qui les sexualise clairement et les discrimine (…) Invoquer la liberté de conscience et de croyance pour justifier l’obligation faite aux filles de faire acte de soumission ne peut être conforme à la Constitution». Hafid Ouardiri s’étonne de l’idée selon laquelle le voile «sexualiserait» les filles et les femmes. «J’ai l’impression d’une forme de projection sur les communautés musulmanes de questions qui perturbent la société occidentale, comme celles du genre. Il est certainement plus sain que chacun s’occupe des problèmes qui le concernent et évite d’instrumentaliser l’autre pour avancer ses propres opinions.»

«L’avenir ne peut être que dans l’acceptation de nos différences»

Hafid Ouardiri

Quant à la question de la signification du voile, une importante incompréhension existe, pour le spécialiste de l’islam, dans l’opinion publique. «Le voile n’est pas un signe de ‘soumission’, mais plutôt une marque de pudeur et de décence, une démarche d’intimité à soi. Il s’agit beaucoup plus d’un élément issu de la culture que de la religion. Je m’étonne que l’on se réfère toujours à une interprétation extrémiste de cette pratique. Mais encore une fois, j’y décèle des motifs politiques et électoralistes, c’est bien sûr la visibilité de l’islam qui est visée.»

«Obligation» du voile?

L’intellectuel genevois pense aussi que l’idée d’un port du voile «forcé» est biaisée. «Il me semble que tous les parents ont leur mot à dire sur la façon dont s’habillent leurs enfants. Ceci correspond toujours à des conventions et des valeurs propres à un certain milieu culturel. A partir d’un certain âge, les individus sont considérés comme pouvant faire leurs propres choix, également dans le domaine vestimentaire. Et je ne connais pas de cas de personnes qui ne le porteraient pas librement. Personnellement, j’ai toujours laissé la possibilité à mes filles de s’habiller comme elles le désiraient, que ce soit avec le voile ou sans. De manière générale, vouloir dicter la façon dont les personnes devraient s’habiller me semble grandement contraire aux libertés démocratiques.»

Pour Hafid Ouardiri, les interdictions en tous genres ne sont en tout cas pas souhaitables pour le vivre-ensemble. «Le dialogue et les traitements au cas par cas sont toujours préférables aux règlements et aux sanctions pour résoudre les problèmes.» Le Genevois d’origine marocaine regrette finalement «la tendance à vouloir uniformiser la société, alors que l’avenir ne peut être que dans l’acceptation de nos différences.» (cath.ch/tdg/rz)

Le port du voile à l'école publique fait débat | Photo d'illustration © Michael Coghlan/Flickr/CC BY-SA 2.0
17 avril 2024 | 17:15
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
Hafid Ouardiri (28), Islam (393), musulmans (183), Politique suisse (114), Voile (17)
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