Le Père Samih Raad a vécu de nombreuses épreuves à cause des conflits entre chrétiens et musulmans | © Jacques Berset
Suisse

Neuchâtel: Plaidoyer du Père Samih Raad pour la paix au Moyen-Orient

«Venir en Suisse, pays de la paix, parler de la situation explosive au Moyen-Orient le même jour que le 49e anniversaire du déclenchement de la guerre civile au Liban le 13 avril 1975 est certainement un signe de la providence», confie le Père Samih Raad. Le prêtre grec-catholique libanais, aujourd’hui curé en Moselle, donnait son témoignage les 13 et 14 avril dans deux paroisses neuchâteloises, à Colombier et à Boudry.

Jacques Berset, pour cath.ch

«J’ai vécu toute mon enfance dans la guerre», déclare d’entrée l’invité d’Aide à l’Église en Détresse (ACN). Une expérience évoquée pour mieux défendre son combat pour la paix et la coexistence pacifique entre les communautés dans une région moyen-orientale plus que jamais en crise.

Le Père Samih Raad est né le 5 mars 1968 à Kfarnabrakh. Un nom qui signifie, en assyrien, «terre bénie pour sa richesse agricole et ses sources d’eau». C’était avant les «événements» qui ont marqué à jamais ce village mixte chrétien-druze du district du Chouf. Cette bourgade située à 1000 m d’altitude, dans le sud du Mont-Liban, fut durement touchée lors de la «guerre de la Montagne» (Harb al-jabal) de 1982-1983 (voir encadré).

Un habitant druze de Kfarnabrakh | © Jacques Berset

Malheureusement, déplore-t-il, si on connaît la date du début de la guerre au Liban, il n’y a pas de date qui commémorerait la fin de cette guerre: les chefs des groupes armés sont toujours là. Ils sont au pouvoir, ils ont échangé leurs tenues militaires pour des costumes cravates… «Le destructeur ne peut pas être un constructeur. Le peuple libanais, de n’importe quelle religion, n’a pas connu de conversion, ni au niveau des dirigeants, ni au niveau du peuple…»

Parlant de la terrible situation à Gaza, «le grand cri du XXIe siècle», le Père Samih exhorte tous les croyants – chrétiens, juifs, musulmans et hommes de bonne volonté – à retrouver le sens d’être ensemble. Et de citer l’ouvrage du théologien Paul Tillich «Le courage d’être», qui incite à sauver l’être humain du désespoir.

«Si nous sommes croyants, nous savons que s’il y a un pauvre qui crie, Dieu va venir»

«Il faut que tous, politiciens en tête, dans ces moments de crise, pensent à nouveau à la fraternité universelle. Car tuer une personne, c’est tuer toute l’humanité!» Il espère, comme ce fut le cas en Europe avec l’Allemand Konrad Adenauer et le Français Robert Schuman, qu’il y aura un jour de fortes personnalités qui, au Moyen-Orient, se lèveront pour la réconciliation, «pour faire de cette région un modèle pour l’humanité». S’il reconnaît qu’il semble parler à contre-temps, il insiste qu’«en ce moment, il ne faut pas cesser de crier: paix, paix, paix! Et prier. Dans les ténèbres, il y a toujours des petites lumières. Si nous sommes croyants, nous savons que s’il y a un pauvre qui crie, Dieu va venir».

Le Liban connaît une émigration massive des chrétiens

S’adressant dans son témoignage aux paroissiens neuchâtelois, le Père Samih Raad a rappelé qu’en tant qu’enfant de la guerre, il a vécu de nombreuses épreuves à cause des conflits entre chrétiens et musulmans, ainsi que des tensions internes entre différentes factions chrétiennes. Après l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth, le 4 août 2020, et la crise économique d’octobre 2019, le Liban connaît une émigration massive des chrétiens, «ce qui entraîne une diminution alarmante du nombre de fidèles dans cette région où notre foi a pris racine. Cette réalité douloureuse nous appelle à la réflexion et à l’action».

Samih Raad souligne que la présence des chrétiens au Moyen-Orient revêt une importance capitale, «non seulement comme témoins de la résurrection du Christ, mais aussi pour promouvoir un dialogue interreligieux authentique. En coexistant pacifiquement avec nos frères et sœurs de différentes confessions chrétiennes et avec nos voisins musulmans, nous sommes appelés à être des instruments de paix dans une région marquée par les conflits et les divisions. Le dialogue interreligieux est essentiel pour construire des ponts de compréhension et d’amour entre les communautés religieuses, et pour œuvrer ensemble à la paix et à la justice».

Rasée par les druzes lors de la «guerre de la Montagne», l’église dédiée à Saint Elie a été reconstruite | © Jacques Berset

Appelés à être des instruments de paix dans une région marquée par les conflits

Il relève que ce travail de dialogue, de paix et de réconfort est soutenu par ACN, un appui essentiel, la détresse étant particulièrement criante, surtout dans les zones rurales. L’œuvre d’entraide catholique soutient notamment dix-huit sœurs de la Congrégation des Sœurs Missionnaires du Saint-Sacrement qui œuvrent auprès des habitants de 24 villages pauvres et isolés. Leur travail comprend des visites aux personnes âgées et malades, la préparation des enfants à leur première communion, l’assistance aux familles démunies et des cours à l’École du Dimanche. De plus, elles organisent quatre fois par an des «camps bibliques», des événements de plusieurs jours visant à approfondir la foi des enfants et des jeunes à travers l’étude des Saintes Écritures. L’œuvre d’entraide soutient également la formation des jeunes religieux de la communauté missionnaire de Saint-Paul et celle des séminaristes du séminaire patriarcal de l’Église gréco-catholique melkite, une Église catholique orientale. (cath.ch/be/bh)

Un enfant de la guerre
Samih Raad a vécu toute son enfance dans la guerre. Son village de Kfarnabrakh, dans le Jabal Lubnan, le Mont-Liban, avec moins de 5’000 habitants, majoritairement druzes, comptait plus d’un tiers de chrétiens, essentiellement de confession grecque-catholique melkite. Le 8 novembre 1982, fête de Saint Michel Archange, les soldats israéliens qui occupaient alors le haut du village avaient octroyé aux druzes une limite de quatre heures pour effectuer un massacre de chrétiens. Dans le village, 32 chrétiens ont été tués, ainsi que des druzes. Rasée au sol, l’église paroissiale grecque-melkite catholique, dédiée à Saint Elie, a été reconstruite quand les chrétiens ont pu revenir dans le village après 1997. Aujourd’hui, les chrétiens du village ne sont plus qu’une quarantaine à y vivre à demeure. En considérant la réalité du Liban aujourd’hui, où les chrétiens sont devenus minoritaires, le Père Raad constate que même si beaucoup d’entre eux ont quitté le pays, le Liban va rester et la guerre dans la région aura bien une fin un jour. «Le pardon est la route vers la paix. Les ténèbres ne domineront jamais, l’âme du Liban va demeurer!»
Samih Raad possède également la nationalité française. Il est curé de Hombourg-Haut, une paroisse de l’agglomération de Saint-Avold, dans le département de la Moselle. Il cherche actuellement un éditeur pour son ouvrage : «Saint Joseph dans la tradition musulmane». JB

Le Père Samih Raad a vécu de nombreuses épreuves à cause des conflits entre chrétiens et musulmans | © Jacques Berset
14 avril 2024 | 11:59
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
ACN (16), Liban (243), Neuchâtel (107), Père Samih Raad (4)
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