Les funérailles très politiques de Mgr Vitus Huonder
La Conférence des évêques suisses (CES) n’enverra pas de délégation officielle à l’enterrement de Mgr Vitus Huonder, le 17 avril 2024, à Ecône (VS). L’ancien évêque de Coire a souhaité être inhumé au sein de la FSSPX aux côtés de Mgr Marcel Lefebvre. Une volonté ›politique’ qui suscite nombre d’incompréhensions dans le diocèse et au-delà.
Maurice Page, avec kath.ch
«La semaine prochaine les membres de la CES seront en retraite spirituelle et le président de la CES accompagnera le pèlerinage interdiocésain annuel à Lourdes», a expliqué à cath.ch Davide Pesenti, secrétaire général de la CES. Mgr Joseph Bonnemain, actuel évêque de Coire, qui fut un proche collaborateur de Mgr Huonder, a indiqué de son côté qu’il ferait son possible pour être présent à Ecône.
En revanche, plusieurs des membres de la CES devraient être présents à la messe de requiem prévue le 19 avril à 19h à la cathédrale de Coire.
«Je m’abstiens de porter un jugement sur le souhait de Mgr Vitus Huonder d’être enterré à Ecône»
Daniel Krieg, recteur du séminaire de Coire
Division même après sa mort
Mgr Huonder continue donc de diviser même après sa mort, notent les observateurs. En choisissant d’être enterré au sein de la Fraternité sacerdotale saint Pie X (FSSPX), l’évêque émérite de Coire met ses confrères dans l’embarras. En effet un évêque ou un prêtre catholique ne peut pas en principe participer à une messe de la FSSPX puisque celle-ci n’est pas en communion avec Rome. Ses sacrements sont certes valides, mais ils sont illicites du point de vue du droit canon. La question n’est pas celle de la célébration de la messe selon l’ancien rite de saint Pie V, mais bien celle de l’absence de statut régulier de la FSSPX au sein de l’Église romaine, depuis le schisme ouvert par l’ordination illicite par Mgr Lefebvre de quatre évêques, en 1988.
Malaise parmi les prêtres du diocèse
Parmi les quelque 300 prêtres du diocèse de Coire, dont la plupart ont servi sous l’épiscopat de Mgr Huonder, le malaise est palpable. Beaucoup n’ont pas souhaité répondre au sondage effectué par Kath.ch sur leur participation aux funérailles à Ecône.
«Je m’abstiens de porter un jugement sur le souhait de Mgr Vitus Huonder d’être enterré à Ecône», a noté Daniel Krieg, recteur du séminaire du diocèse de Coire. Il ne participera pas aux funérailles à Ecône mais sera en revanche présent lors de la messe de requiem à la cathédrale de Coire.
Andreas Pfister, administrateur paroissial à Bauma (ZH), reprend laconiquement la sentence de Jésus: «Laissez les morts enterrer les morts». Le prêtre, qui a été ordonné par Mgr Huonder, prie «dans son cœur» pour lui obtenir le repos et la lumière éternels. Mais «dans la paroisse, je garderai le silence à ce sujet».
«Un nouveau coin enfoncé entre les blocs»
Stephan Kristan, curé à Kleinandelfingen (ZH), a apprécié l’évêque Vitus Huonder en tant qu’homme et a trouvé en lui «un interlocuteur agréable». «Mais je ne pouvais et ne peux pas partager sa vision et son image archaïques de l’Église. Compte tenu de la «querelle entre les blocs» au sein du diocèse de Coire, cela aurait été un «signe fort» pour les fidèles si Vitus Huonder avait pu se montrer une fois, peut-être la seule, «comme un pontife, comme un bâtisseur de ponts». En choisissant sa dernière demeure, il voulait enfoncer un nouveau coin entre les différents blocs», déplore le prêtre.
«Il n’est pas approprié de qualifier Vitus Huonder de schismatique»
Andreas Egli
Un désir de réconciliation
Andreas Egli, vicaire à Egg (ZH), défend un point de vue opposé. Pour lui, la volonté de Vitus Huonder de reposer à Ecône doit être interprété comme un «désir personnel profond». «Elle ne devrait pas être considérée comme une provocation ou un détournement, mais comme une expression de son désir de longue date de surmonter les divisions et de contribuer à la réconciliation au sein de l’Église. Il n’est pas approprié de qualifier Vitus Huonder de schismatique», souligne-t-il. Il ne pourra cependant vraisemblablement pas participer aux funérailles à Ecône.
Le malaise se ressent même au travers du faire-part de décès du diocèse, qui se contente d’un très sec curriculum vitae de Mgr Huonder, sans aucune expression de reconnaissance explicite, ni d’appréciation personnelle.
«Plus qu’un affront»
Le ton le plus critique vint sans grande surprise de Zurich.» Depuis de nombreux siècles, les évêques de Coire trouvent leur dernière demeure dans la cathédrale. L’’évêché de Coire est l’un des plus anciens au nord des Alpes. Le fait qu’un évêque rompe délibérément avec cette longue tradition et se fasse enterrer au cœur d’une fraternité schismatique est plus qu’un affront. Vitus Huonder renverse ainsi toutes les valeurs de la hiérarchie catholique classique», a déploré pour kath.ch Simon Spengler, responsable de la communication de l’Église cantonale zurichoise.
«Faire semblant de ne pas voir et parler gentiment est aujourd’hui la stratégie de communication préférée de la direction de l’Église»
Simon Spengler, chef de la communication de l’Église cantonale de Zurich
Célébrer la messe avec des schismatiques?
Pour l’ancien porte-parole de la Conférence des évêques suisses, Mgr Huonder s’est placé ainsi en dehors de la communauté ecclésiale. La CES devrait clarifier cette question. Mais «faire semblant de ne pas voir et parler gentiment est aujourd’hui la stratégie de communication préférée de la direction de l’Église».
Simon Spengler relève aussi le problème de la messe des funérailles à Ecône. «En tant qu’évêque, Mgr Bonnemain ne peut pas célébrer la messe avec des schismatiques. Concrètement, cela signifierait que le successeur en exercice de Mgr Huonder serait assis dans les bancs et assisterait à une messe tridentine. Ce serait un signe qui créerait encore plus de confusion», estime le théologien.
«Il est mort comme il a vécu: en homme de foi»
Pour trouver une appréciation plus personnelle de l’évêque défunt, il faut écouter son ancien auxiliaire Mgr Marian Eleganti. «L’évêque Vitus est mort comme il a vécu: en homme de foi», écrit-il dans une nécrologie sur swiss-cath. «Vitus Huonder était aimé et apprécié par de nombreuses personnes. Pour eux, il était un phare qui ne vacillait pas dans les vagues du temps. Il ne faut pas l’occulter en se souvenant de la presse agitée et négative et des polémiques permanentes qui ont accompagné son mandat d’évêque de Coire. En tant qu’évêque auxiliaire, j’ai pu le côtoyer de près.»(…)
«Je n’étais pas d’accord avec lui sur tout et dans toutes les situations, surtout à l’époque où je dirigeais le séminaire de Coire. Mais même dans ces situations, j’ai pu apprendre à connaître certains aspects de sa personnalité. Rétrospectivement, je peux témoigner que je n’ai jamais entendu de sa bouche la moindre parole méchante ou méprisante à l’égard d’une personne, en particulier de ses adversaires résolus.» (…)
Humour et ironie
«À table, il pouvait faire preuve d’humour et d’une grande ironie en fonction de la situation, ce qui me surprenait parfois. (…) Dans les relations, il était toujours aimable. Lors des réunions, il pouvait aussi défendre son point de vue avec insistance et fermeté, mais sans jamais hausser le ton.»
«Il avait jusqu’à la fin quelque chose d’enfantin et de pieux au meilleur sens du terme»
Mgr Marian Eleganti, ancien évêque auxiliaire de Coire
«Tous les week-ends, il était dans les paroisses. Il a davantage provoqué ses adversaires par ses positions théologiques et politiques que par sa personnalité, son caractère et sa nature. Il avait jusqu’à la fin quelque chose d’enfantin et de pieux au meilleur sens du terme.» (…) «Il a toujours eu confiance au jugement du Seigneur. Celui des hommes, par contre, n’avait pas d’importance pour lui», conclut Mgr Eleganti. (cath.ch/kath.ch/mp)