Fribourg: Le professeur Nayak rédige un ouvrage en défense du jésuite indien A. de Mello

«Il aurait dû être béatifié, pas condamné par le Vatican»

Fribourg, 13 octobre 1998 (APIC) «Le Père Anthony de Mello aurait dû être béatifié, pas condamné par le Vatican… Il a emmené des milliers de personnes à la prière et à la vie spirituelle; ce mystique d’aujourd’hui a aidé tellement de monde à vivre!». Le professeur Anand Nayak, de l’Université de Fribourg, n’est pas encore revenu de la récente intervention vaticane, «nouvelle illustration de l’incompréhension culturelle entre l’Orient et l’Occident».

«Le Père de Mello est-il dangereux ?». Tel sera peut-être le titre de l’ouvrage qu’Anand Nayak prépare en ce moment. Un livre pour défendre et mieux faire comprendre la pensée du maître jésuite indien, décédé en 1987, et qui devrait être prêt à la fin de l’hiver. A paraître peut-être chez les éditeurs habituels du Père de Mello: pour la version française Bellarmin, au Canada, et Desclée de Brouwer, et pour la version allemande Herder.

«Même s’il est mort il y a plus d’une décennie, le Père de Mello est encore très vivant à travers ses écrits, il est même plus actuel que jamais. J’en veux pour preuve la note de la Congrégation pour la doctrine de la foi», déclare d’emblée à l’agence APIC Anand Nayak, professeur à l’Institut de missiologie et d’histoire des religions de l’Université de Fribourg. Originaire lui aussi de l’Inde, A. Nayak donne d’ailleurs depuis le début octobre à l’Université un séminaire sur le Père de Mello, qu’il a rencontré la première fois en 1966.

A ce moment-là, le jésuite indien rentrait des Etats-Unis et de Rome, où il avait fait des études de psychologie, de psychothérapie et de spiritualité. Il était déjà connu à l’époque comme un grand maître de retraites; il pratiquait les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Il s’adressait presque exclusivement aux prêtres et aux religieux, en Inde et à l’étranger: Etats-Unis, Singapour, Espagne…

Marier doctrine ancienne et psychologie moderne

La tentative du Père de Mello, dans le conseil spirituel, de marier doctrine ancienne et psychologie moderne – analyse transactionnelle et psychologie de la forme (Gestaltpsychologie) – représentait à l’époque une approche nouvelle et originale. Mais pour Anand Nayak, il faut être clair: on n’a pas affaire ici à un cas d’hérésie. «Le Vatican se contente d’une mise en garde; il ne s’agit pas d’une condamnation du Père de Mello et d’une interdiction de son œuvre.»

«Le maître ne cherchait pas tellement à discuter de la spiritualité en tant que théologien, il se présentait toujours comme un père spirituel qui aidait les gens à prier. Il était ainsi une sorte de thérapeute pour les religieux, les amenant à la vie mystique. Son intention a toujours été d’aider les gens».

Le professeur fribourgeois relève que sa vie durant, le Père Anthony de Mello n’a jamais eu aucun conflit avec la Conférence épiscopale indienne ou la Compagnie de Jésus. Auprès des jésuites, le maître indien était considéré comme une grande autorité. «La note du Vatican souligne elle aussi que le Père de Mello était bien parti. A ce moment-là, il restait dans le vocabulaire traditionnel de l’Eglise». La mise en garde vaticane qui tombe maintenant est d’autant plus surprenante parce qu’elle frappe un homme respecté comme prêtre et père spirituel dans l’Eglise en Inde et à l’étranger.

Anand Nayak considère que l’auteur de «Sadhana, chemin de Dieu», un ouvrage publié en 45 langues ! – et de nombreux autres ouvrages distribués dans le monde entier, a été victime de malentendus: «Il n’a jamais prêché que la révélation chrétienne n’a pas de sens et n’a jamais eu l’intention de dire que Jésus n’est qu’un maître parmi les autres maîtres… S’il dramatisait parfois, c’était pour provoquer une réaction, faire penser les gens. Il utilisait une sorte de thérapie de choc, qui n’était pas du tout une position théologique.»

Dieu comme simple vide

La Congrégation romaine pour la doctrine de la foi a mis réécemment en garde contre son œuvre, où «l’on note un éloignement progressif des contenus essentiels de la foi chrétienne». «A la révélation faite dans le Christ, il substitue une intuition de Dieu sans forme ni image, au point de parler de Dieu comme d’un simple vide». Le Vatican reproche au Père de Mello de considérer Jésus comme un maître parmi d’autres, qui n’est pas reconnu comme le Fils de Dieu, mais simplement comme celui qui nous enseigne que tous les hommes sont fils de Dieu.

Dans la «Sadhana», un mot qui vient de l’hindouisme et du bouddhisme et qui signifie «cheminement spirituel», le Père de Mello observe l’esprit des exercices spirituels ignatiens, mais il utilise une technique bien connue dans les traditions hindouiste, taoïste et bouddhiste. C’est là que son vocabulaire change beaucoup. Il faut admettre qu’il y a un changement perceptible chez de Mello depuis 1976, précise Anand Nayak, et il emprunte de plus en plus les chemins spirituels offerts par les religions orientales, sans cherchr à réaliser une sorte de rapprochement entre l’Orient et l’Occident.

Son intention était de rencontrer l’homme comme tel et l’homme spirituel. Qu’il soit oriental ou occidental, il a les mêmes besoins. «Les livres du Père de Mello se vendent d’ailleurs bien mieux en Occident qu’en Inde et les gens y trouvent une réponse à leur vie (…) Rome est très loin de la compréhension du Père de Mello: le jésuite indien a été mal compris. La Congrégation romaine pour la doctrine de la foi a condamné des choses que l’on ne peut pas lui attribuer du tout, qui n’étaient pas dans ses intentions.»

Pour une nouvelle approche spirituelle, au-delà des concepts et des paroles

Pour le professeur Nayak, tous ces malentendus ne proviennent pas seulement du vocabulaire différent ou d’un effort maladroit d’inculturation. «Le problème est réel: nous ne pouvons pas finalement enfermer l’expérience spirituelle, l’expérience de Dieu, uniquement et exclusivement dans la parole. Les paroles nous aident à découvrir Dieu, elles représentent une grande aide dans le cheminement vers Dieu, mais il y a un moment où l’on doit aller au-delà des concepts et de la doctrine verbale. La doctrine thomiste, par exemple, restera comme une richesse du patrimoine. Mais qu’il faille la répéter «verbatim» dans un contexte hindouiste ou bouddhiste n’a pas de sens. Dans l’inculturation, le message du Christ ne disparaît pas, le Christ lui-même reste dans toute sa réalité, mais ces défis nous poussent à découvrir davantage certains aspects de ce mystère de Jésus-Christ que les 2’000 ans d’histoire ne nous ont pas encore révélés.»

Pour le professeur fribourgeois, par conséquent, la nécessité d’offrir une véritable nourriture spirituelle se fait de plus en plus jour. «C’est là qu’à mon avis doit se faire la rencontre entre l’Orient et l’Occident. La controverse et la peur qui surviennent ne sont pour moi que la première étape, cette façon de penser dans d’autres catégories est un défi pour l’Eglise occidentale d’aujourd’hui. Même en Occident, elle doit renouveler quelque part son approche vers le contenu de la foi. Pour l’Asie, le défi n’est pas académique ou théologique; il est avant tout pastoral: comment parler du Christ, de notre foi, dans un monde absolument non chrétien, mais marqué par l’hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme, l’islam ?»

Anand Nayak est d’avis que si de Mello a attiré l’attention du Vatican – plus de dix ans après sa mort ! -, c’est bien parce qu’il reste une figure emblématique d’un courant de pensée actuel en Inde. «Derrière lui, nombre de théologiens vivants, disposant d’une base de réflexion théologique solide, poursuivent dans la même voie.» (apic/be)

13 octobre 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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