L'Eglise en Pologne fait face à de sérieux défis | photo: un monument à Varsovie © Keystone
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L’Eglise en Pologne, une «citadelle» qui se fissure

La Pologne catholique a longtemps été vue comme un rempart contre la sécularisation en Europe. Mais l’Eglise dans le pays est ébranlée par la désaffection d’une partie de la population et la montée du fondamentalisme en son sein.

Renata n’a pas pu aller communier lors de la messe d’enterrement de son père. Elle n’a en effet pas reçu l’absolution du prêtre de son village natal lors d’une confession préalable. Motif: elle vit en Suisse en concubinage, donc en état de «péché permanent». Une dure expérience pour cette quadragénaire croyante et attachée à l’Eglise, qui vit depuis plus de 20 ans dans le canton de Vaud. «Ce n’est pas tellement le fait que le prêtre m’ait refusé l’absolution qui m’a choquée, explique-t-elle à cath.ch. Mais surtout qu’il ne m’ait donné aucune explication, aucune suggestion pour améliorer la situation, se contentant de dire que ‘ce sont les règles’.»

«L’Eglise est encore très cléricale, en Pologne», confirme le Père Kornelius Politzky, aumônier de prison dans le canton de Fribourg. L’abbé, qui se rend régulièrement dans son pays natal, rappelle que les prêtres possèdent toujours une très forte autorité morale, spécialement dans les milieux ruraux.

Des prêtres hypocrites?

La Pologne a été longtemps perçue comme un bastion de la foi dans un monde occidental se déchristianisant à grande vitesse. Le rôle qu’elle a joué face au communisme a cimenté son pouvoir dans le pays. Des lézardes semblent toutefois se former depuis plusieurs années sur les murs de la «citadelle». La Pologne ne serait-elle finalement pas si différente des autres nations européennes?

L’église Mariacki, à Cracovie, l’un des hauts lieux du catholicisme en Pologne | © Jorge Lascar/Flickr/CC BY 2.0

Même si encore plus de 80% des Polonais se considèrent comme catholiques, le fait est qu’un nombre croissant de personnes vivent mal la rigidité des règles ecclésiastiques. «Les gens voient que beaucoup de prêtres prêchent une morale très stricte, alors qu’ils ont en même temps des comportements pas du tout chrétiens, qu’ils fréquentent des femmes, qu’ils boivent, qu’ils font tout pour s’enrichir», assure Renata. «Je pense que de plus en plus de personnes ne supportent plus cette hypocrisie. Même si, pour encore beaucoup de gens, surtout des personnes âgées, et dans les petits villages, le prêtre c’est Dieu en personne et on ne peut rien dire contre lui.»

Une Eglise «politisée»

Mais si l’Eglise possède encore une influence notable dans la population, certains doutent que son socle de confiance soit vraiment solide. «Il me semble qu’une grande partie des Polonais qui vont à la messe ne sont pas vraiment croyants, affirme Krzysztof à cath.ch. Ils y vont juste à cause de la pression sociale et par tradition.» L’ingénieur, qui réside en Suisse depuis moins d’un an, a grandi dans un village de Pologne avant d’aller vivre dans une grande ville proche. Il connaît donc deux mondes aux visions très différentes de l’Eglise. «Dans les villes, de nombreux jeunes, et des personnes au niveau d’éducation plus élevé, se détournent de l’Eglise, assure-t-il. Pour eux, c’est une structure non seulement archaïque mais complètement politisée.»

«La prêtrise est parfois perçue comme un débouché professionnel porteur»

Renata

Une évolution dont un signe a certainement été la défaite électorale du parti Droit et Justice (PiS), lors des élections parlementaires, en octobre 2023. La formation conservatrice a toujours pu bénéficier du soutien de l’Eglise, et vice-versa. Mais le PiS, qui était au pouvoir depuis 2015, a été battu par la Plate-forme civique (PO), principale formation d’opposition menée par Donald Tusk, à la tête de la Coalition civique.

La prêtrise pour devenir riche?

La formation libérale et pro-européenne a adopté une attitude beaucoup moins favorable à l’Eglise que le PiS . «On parle d’un agenda de sécularisation», note le média allemand katholisch.de (février 2024). Outre la libéralisation de l’avortement et la légalisation des partenariats entre personnes de même sexe, le nouveau gouvernement veut réformer le financement de l’Eglise. Le «fonds de l’Eglise», avec lequel l’Etat paie les pensions et autres assurances sociales du clergé, doit être remplacé par un système de dons volontaires. Un changement toutefois plus symbolique que fondamental, explique à katholisch.de le philosophe et journaliste Ignacy Dudkiewicz. Car le fonds ne représente qu’une petite partie du financement total de l’Eglise.

«L’on peine même à trouver des prêtres polonais pour venir travailler en Suisse»

Kornelius Politzky

En l’absence d’impôts ecclésiastiques, les services de l’Eglise, en Pologne, sont payants, selon le système du casuel. Mais certains prêtres pratiquent des tarifs excessifs ou récoltent de l’argent tous azimuts. Des scandales d’enrichissement personnel indus éclatent ainsi régulièrement dans la presse. «En Pologne, la prêtrise est parfois perçue comme un débouché professionnel porteur, commente Renata. Il est évident que certaines personnes y sont avant tout attirées par l’appât du gain.»

Les scandales d’abus sexuels et de dissimulation, qui ont défrayé la chronique polonaise ces dernières années, ont également largement écorné l’image de l’Eglise. Plusieurs évêques du pays ont été récemment écartés par François en rapport à la mauvaise gestion de cas d’abus. La dernière démission en date a été celle de Mgr Andrzej Dziuba, évêque de Lowicz, au centre de la Pologne.

Le sacre de Radio Maryja

Kornelius Politzky reconnaît la perte d’influence de l’institution sur le plan politique. «L’Eglise est devenue quasi silencieuse, alors qu’avant elle s’exprimait beaucoup. Je pense que les évêques et les prêtres se sentent perdus, décontenancés face à la nouvelle situation», affirme le prêtre. Il remarque qu’une certaine grogne est apparue contre les autorités de l’Eglise, notamment parce qu’elles n’ont pas soutenu la révolte actuelle des agriculteurs.

Pour autant, l’aumônier d’origine polonaise ne constate pas une baisse d’influence dans la population, en tout cas au niveau de la pratique. «Lors des dernières messes auxquelles j’ai assisté en Pologne, les églises étaient plus pleines que jamais.» Il note toutefois une chute des vocations. «Il manque beaucoup de relève dans les séminaires. L’on peine même à trouver des prêtres pour venir travailler en Suisse.»

Manifestation en faveur de la chaîne de télévision Trwam, fondée par Tadeusz Rydzyk, en Pologne | © Piotr Drabik/Flickr/CC BY 2.0

Le gouvernement Tusk a également fait décroître la visibilité de l’Eglise dans les médias. Alors que le PiS mettait l’agenda ecclésial largement en avant dans les services publics, le nouveau pouvoir entend donner aux canaux nationaux une tonalité beaucoup plus laïque. Une situation qui ne plaît pas forcément à la frange conservatrice de la population. «Beaucoup de personnes ne regardent plus les chaînes de télévision publiques. Elles se tournent maintenant vers des médias indépendants tels que Telewizja Trwam ou Radio Maryja«, assure Kornelius Politzky.

Ces deux médias, dirigés par Tadeusz Rydzyk, sont depuis longtemps un élément incontournable du paysage catholique polonais. Ce prêtre rédemptoriste, très influent, «poursuit un agenda anti-moderniste, conservateur et nationaliste, sceptique vis-à-vis de l’Occident, de l’Union européenne, du libéralisme et de tout changement culturel», analyse Ignacy Dudkiewicz.

L’ascension des «Guerriers de Marie»

De cette influence, seraient nés certains mouvements controversés, tels que les «Guerriers de Marie» (Wojownicy Maryi). Ce groupe aurait une soixantaine de branches en Pologne, avec plus de 5000 membres, et des ramifications dans d’autres pays européens, dont la Suisse. Les «Guerriers» organisent notamment des contre-manifestations lors d’événements pro-LGBTQ, pro-avortement, en faveur des réfugiés ou d’autres idées «libérales» de l’Occident.

«Les évêques polonais ont rejeté la déclaration Fiducia supplicans«

Le mouvement, qui s’est propagé de manière fulgurante, est accusé de dériver vers l’extrême droite radicale et de développer des aspects sectaires. «Certains évêques sont pour et d’autres contre, relève l’abbé Politzky. J’ai rencontré récemment des ‘Guerriers de Marie’ en Suisse. Ils m’ont paru sympathiques et normaux. Mais il est aussi évident que ce sont des fondamentalistes.»

Le prêtre polonais admet que le fondamentalisme progresse dans son pays, avec notamment une augmentation des messes selon le rite pré-conciliaire. «Je pense que c’est en partie dû à l’enseignement catholique, analyse l’aumônier de prison. Dans les universités et les séminaires, la philosophie chrétienne a auourd’hui beaucoup moins d’importance qu’à l’époque. En grande partie parce que l’on ne trouve pas les personnes pour l’enseigner. Cela provoque certainement des manques dans la culture religieuse.»

Fermeture et ouverture

Pour Krzysztof, la Pologne vit aujourd’hui un fort phénomène de polarisation, qui touche la société et l’Eglise. «Il y a d’un côté des personnes qui ne veulent plus entendre parler de l’Eglise et qui deviennent souvent non croyantes, et de l’autre une population qui se crispe sur ses habitudes et ses traditions. Le dialogue est parfois difficile entre les deux.»

«L’Eglise polonaise est finalement comme beaucoup d’autres, traversée par de multiples sensibilités»

Pour Kornelius Politzky, la stupeur qui règne dans l’Eglise en Pologne est aussi due au fait que «beaucoup de prêtres ne se reconnaissent pas dans certaines avancées du pape François.» Les évêques polonais ont notamment rejeté la déclaration Fiducia supplicans (décembre 2023) autorisant la bénédiction des couples irréguliers. Ils ont souligné que les actes sexuels hors mariage sont «toujours une violation de la volonté de Dieu».

Mais l’Eglise polonaise est finalement, comme beaucoup d’autres, traversée par de multiples sensibilités. Des courants plus «franciscains» existent, et les idées de réforme circulent. En janvier 2024, Mgr Stanislaw Gadecki, président de la Conférence épiscopale, avait ainsi parlé d’une «ouverture au dialogue et de la recherche de réponses aux questions de la société.»

Renata estime en tout cas que les prêtres du pays devraient mieux prendre en considération la vie réelle des personnes et cesser d’appliquer l’enseignement chrétien de manière aussi fermée. «Mon expérience avec l’Eglise m’a fait prendre beaucoup de distance avec l’institution», assure-t-elle. Tout en précisant ne pas avoir perdu la foi, elle craint que cela puisse être «différent pour certains jeunes qui ont conscience que beaucoup de prêtres ne prennent pas en compte leurs besoins et n’ont même pas de réelles convictions chrétiennes.» (cath.ch/katholisch.de/arch/rz)

L'Eglise en Pologne fait face à de sérieux défis | photo: un monument à Varsovie © Keystone
10 mars 2024 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 7  min.
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