Mgr John Nienstedt, archevêque émérite de Saint-Paul Minneaoplis au Etats-Unis | capture d'écran Youtube
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Etats-Unis: le jugement d’un évêque par Rome pose des questions

Après une longue enquête de plusieurs années portant sur des allégations d’inconduite sexuelle contre Mgr John Nienstedt, le Saint-Siège a conclu, au début janvier 2024, que l’ancien archevêque de Saint-Paul Minneapolis, aux Etats-Unis, n’a pas commis de crimes canoniques, mais a agi de manière ‘imprudente’. En conséquence, il reste soumis à des restrictions dans l’exercice de son ministère sacerdotal. Un verdict qui interroge les observateurs américains.  

La décision de Rome concernant Mgr Nienstedt a suscité beaucoup de questionnements et de commentaires aux Etats-Unis sur la capacité du Siège de traiter efficacement les cas d’évêques accusés d’abus ou de dissimulation d’abus. Verdict ambigu, manque de transparence, lenteur du procès, les reproches sont nombreux.

Contraint à la démission en 2015

Mgr Nienstedt avait été en 2015 l’un des premiers évêques américains à être contraint à la démission pour avoir bâclé des enquêtes sur des abus sexuels. Le procureur du Minnesota avait accusé l’archidiocèse de ne pas avoir protégé les enfants des abus d’un prêtre pédophile reconnu coupable et condamné à cinq ans de prison pour avoir violenté deux garçons.

Accusé d’inconduite sexuelle

Mgr Nienstedt a en outre été accusé d’avoir lui-même eu des comportements sexuels inapproprié avec des hommes adultes et des mineurs. En 2013, il avait été mis en cause dans une affaire d’attouchement sur mineur, avant qu’un procureur estime pas suffisamment fondées les accusations portées contre lui.

En 2016, son successeur, l’archevêque Bernard Hebda, a transmis au Vatican des allégations selon lesquelles Mgr Nienstedt aurait invité deux mineurs dans une chambre d’hôtel en 2005, lors d’un rassemblement de jeunes en Allemagne, pour qu’ils changent de vêtements mouillés, et qu’il se serait ensuite déshabillé devant eux et les aurait invités à faire de même. À l’époque, Mgr Nienstedt était évêque de New Ulm, dans le Minnesota.

Mgr Nienstedt a toujours nié les allégations d’inconduite portées contre lui, insistant sur le fait qu’il était resté fidèle à son célibat sacerdotal. En 2018, Mgr Hebda lui avait interdit à de célébrer la messe et d’avoir un ministère public dans l’archidiocèse jusqu’à ce que les allégations soient résolues.

Rome reprend la main

En 2019, le pape François a publié le motu proprio Vos estis lux mundi pour déterminer les procédures à suivre pour juger les évêques coupables d’abus ou de dissimulation d’abus. Le cas de Mgr Nienstedt interroge aujourd’hui sur la mise en œuvre de cette procédure par le Saint-Siège.

Coupable d’imprudences

Mgr Hebda a indiqué dans un communiqué qu’il avait été récemment informé de la conclusion de l’enquête. Le Dicastère pour la doctrine de la foi, responsable pour les crimes sexuels, et le Dicastère pour les évêques ont conclu que les preuves disponibles ne permettaient pas d’établir des violations de la loi de l’Eglise, de sorte que toute allégation de ce type contre Mgr Nienstedt était ‘infondée’. Toutefois, plusieurs cas d’actions ‘imprudentes’ ont été mis en lumière et bien qu’aucune d’entre elles ne justifie une enquête plus approfondie ou des sanctions, les instances romaine ont décidé, avec l’accord du pape, que des mesures administratives contre Mgr Nienstedt étaient justifiées.

En conséquence, Mgr Nienstedt ne peut exercer aucun ministère public dans la province de Saint-Paul et Minneapolis, qui couvre les Etats du Minnesota et du Dakota. Il ne peut pas vivre dans la province. Il ne peut pas non plus exercer de ministère en dehors de son diocèse de résidence sans l’approbation de l’évêque local – et seulement après que le Vatican en ait été informé.

Mgr Nienstedt reste archevêque

Mgr Nienstedt, qui reste archevêque, vit en toute discrétion dans le Michigan, a déclaré Tom Halden, porte-parole de l’archidiocèse. Dans un communiqué, le prélat a déclaré qu’il avait ‘coopéré pleinement’ à toutes les enquêtes. Il a ajouté qu’il avait demandé au Saint-Siège de clarifier les actions ‘imprudentes’ qu’il aurait commises.

En effet, le Saint-Siège ne semble avoir donné aucune indication quant à la nature des ‘imprudences’ reprochées à Mgr Nienstedt et qui lui valent ces sanctions administratives. S’agit-il de comportements personnels inappropriés ou de négligences ou d’erreurs dans des décisions en tant qu’évêque? Nul ne semble le savoir. Nombre d’observateurs ont dénoncé un manque flagrant de transparence de la part des instances romaines qui continueraient de pratiquer un culte du secret obsolète.

Le deuxième interrogation porte sur la lenteur de la procédure. Alors que les premières allégations remontaient à 2013, l’annonce du jugement ne tombe qu’au début 2024, sans aucune justification d’un tel délai.

En outre enfin, le fait d’interdire tout ministère à Mgr Nienstedt dans un périmètre déterminé ne semble pas cohérent. Il pourrait ainsi commettre de nouveaux actes ‘imprudents’ dans d’autres régions où il ne serait pas connu. L’effet préventif serait alors annulé.

Plus de questions que de réponses

Selon le site catholique The Pillar, Mgr Hebda s’est taillé une réputation d’intransigeance parmi les évêques américains, en matière d’abus cléricaux, celle d’un enquêteur diligent et d’un évêque qui n’a pas peur d’être transparent. Son mandat a été marqué dès le début par l’assainissement de situations scandaleuses dans sa province. L’affaire Nienstedt ne serait pas la première où Mgr Hebda cherche à dire toute la vérité et trouve le Siège apostolique comme un partenaire réticent.

La résolution de l’affaire Nienstedt semble ignorer l’une des leçons les plus importantes de ces dernières années, poursuit The Pillar. A savoir que la transparence concernant des délits commis par des ecclésiastiques contribue à donner aux victimes de fautes similaires la confiance nécessaire pour se manifester. «Il semble peu probable que des résolutions nébuleuses aient cet effet.»

L’association de victimes SNAP (Survivors Network of those Abused by Priests) a relevé dans un communiqué que l’enquête laissait plus de questions que de réponses. Selon le groupe, ignorer ou tolérer les comportements de Mgr Nienstedt ne fait qu’encourager une culture corrompue au sein de l’Église, où les membres du clergé et du personnel peuvent fermer les yeux, sachant que les conséquences pour eux seront minimes s’ils sont pris. (cath.ch/ag/mp)

Mgr John Nienstedt, archevêque émérite de Saint-Paul Minneaoplis au Etats-Unis | capture d'écran Youtube
25 janvier 2024 | 10:19
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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