Abus sexuels: L'Eglise protestante de Suisse s'interroge
L’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) a mis en place le 12 janvier 2024 une task force sur la question des abus abus sexuels dans le cadre ecclésial. L’objectif est d’examiner le lancement potentiel d’une enquête nationale similaire à celle de l’Eglise catholique dont les premiers résultats ont été publiés le 12 septembre dernier. Rita Famos, présidente de l’EERS a fait le point avec Protestinfo.
Propos recueillis par Lucas Vuilleumier, Protestinfo
Alors que l’Eglise protestante d’Allemagne (EKD) s’apprête à publier le 25 janvier les résultats d’une enquête la concernant, l’Eglise suisse s’interroge au sujet d’une démarche similaire. Il s’agit en outre d’élaborer des consignes en matière de communication et de renforcer les procédures de dénonciation au sein des Eglises cantonales.
Plusieurs médias romands ont affirmé que l’EERS était déjà en train d’enquêter sur les potentiels abus perpétrés en son sein. Est-ce le cas?
Rita Famos: Non, l’EERS n’est pas en train d’enquêter. Nous sommes en train de voir si et comment il est possible, au sein de notre organisation fédéraliste, d’élaborer un état des lieux solide avec nos Eglises membres.
Ne serait-ce pas une bonne chose que des chercheurs externes mènent l’enquête?
Oui. En règle générale, ces études sont confiées à l’extérieur, et cela serait la meilleure solution pour notre Eglise. Non seulement car l’accès aux archives n’est pas aisé dans le monde réformé, ces dernières n’étant pas centralisées, mais également pour garantir l’indépendance de l’étude.
Dans quel but organiser une task force suisse, avant la publication des résultats de l’EKD sur ses affaires internes d’abus sexuels?
Par cette rencontre, l’EERS souhaite informer les Eglises membres sur la conception de l’étude de l’EKD et mettre en évidence les différences par rapport à d’autres études. Afin de pouvoir comparer et tirer des conclusions pour nous et nos Eglises membres, il est important de connaître les différences entre les approches de l’étude de l’EKD, l’étude pilote de l’Université de Zurich pour l’Eglise catholique romaine en Suisse, l’étude sur l’Eglise catholique française par une commission indépendante (CIASE) ou l’étude de la Fédération protestante de France (FPF), intitulée «Les violences sexuelles et spirituelles dans le protestantisme». C’est dans ce contexte que nous discuterons de questions spécifiques et que nous nous accorderons sur la suite à donner.
Avez-vous donc déjà des informations sur les résultats de l’enquête allemande?
Non, nous ne connaissons que la conception et le dispositif de l’étude sur les abus de l’EKD. Elle se compose de six sous-projets thématiques qui visent à une analyse globale des structures protestantes et des conditions systémiques qui favorisent la violence sexuelle et l’abus de pouvoir. Parmi ces sous-projets, les aspects suivants sont notamment traités: les spécificités protestantes susceptibles de faciliter les abus et les facteurs organisationnels et systémiques les favorisant ou les empêchant.
Ces résultats pourront-ils être extrapolés à la situation réformée en Suisse ou les situations sont-elles incomparables?
Nous ne pourrons nous prononcer à ce sujet qu’après avoir pris connaissance de l’étude en détail. Une différence importante réside certainement dans les grandes œuvres diaconales, le service social de l’EKD. En font partie environ 30’000 offres d’institutions dans le domaine du travail social, de la santé et de l’aide à la jeunesse et à l’éducation. En Suisse, nous ne disposons pas d’institutions comparables dans les Eglises réformées. Nous espérons toutefois obtenir des impulsions utiles et complémentaires aux autres offres et domaines d’organisation de l’Eglise.
Dans une interview donnée à la SRF en décembre, vous avez dit que 15% des Eglises réformées de Suisse n’étaient pas encore dotées d’un dispositif contre le harcèlement et les abus sexuels. Le seront-elles bientôt?
Sur les 25 Eglises membres, 19 disposent actuellement d’un concept de protection. Les six autres sont sur le point d’en être dotées. L’EERS s’attend à ce que toutes les Eglises membres disposent d’un concept de protection d’ici à fin 2024. Comme toutes les Eglises grandes et moyennes ont déjà établi un tel dispositif, environ 95% des réformés de Suisse se trouvent donc actuellement dans des Eglises où des concepts de protection sont en vigueur. (cath.ch/protestinfo/lw/mp)
Signalement: «l’accès aux informations est primordial»
Du côté de la Suisse romande, seule l’Eglise réformée évangélique du Valais (EREV) ne dispose pas encore d’un concept de protection contre le harcèlement et les abus sexuels. «Dans notre Eglise, qui est très petite et où tout le monde se connaît, il nous semble qu’un système de signalement peut suffire. Nous travaillons pour en mettre un en place très prochainement», informe le pasteur Gilles Cavin, son vice-président.
En matière de protection des personnes, il s’agit de distinguer deux plans d’intervention. A savoir à l’interne (formations de prévention ad hoc, protocole d’intervention, impératifs RH dont l’exigence du fameux casier judiciaire pour tout employé, etc.), mais aussi à l’externe pour le recueillement des signalements par un organe indépendant.
Actuellement, l’ensemble de ces dispositifs cantonaux spécifiques est facilement accessible sur le site internet des Eglises réformées romandes, à l’exception de l’Eglise protestante de Genève (EPG). «La procédure de signalement n’est actuellement pas disponible sur notre site internet», confirme Flore Brannon, sa chargée de communication. «L’ensemble des ministres est formé à la procédure. Toute personne peut faire un signalement soit aux ministres et personnes formées ou à un membre de la gouvernance. Elle sera immédiatement orientée vers un prestataire de service externe.»
Pour l’ancienne présidente de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV) Marie Claude Ischer, la question de «l’accessibilité de ces informations est primordiale». Dans le sillage de l’affaire Locher – le président de l’EERS accusé au printemps 2020 «d’atteinte à l’intégrité sexuelle, spirituelle et psychologique» sur une employée –, la Vaudoise avait dirigé la Commission d’enquête interne, qui avait également débouché sur l’établissement de «Directives relatives à la protection de l’intégrité personnelle au sein de l’EERS». Anne-Sylvie Sprenger (Protestinfo)