Jean-Jacques Friboulet

Le pétrole va encore régner

La COP28 a adopté ses conclusions. Elle a refusé d’inscrire dans celles-ci la fin des énergies fossiles. Elle propose une simple déclaration d’intention: une transition vers l’abandon des énergies fossiles de façon juste, ordonnée et équitable. Combien de temps devrait durer cette transition, quand devrait-elle commencer, nul ne le sait. Cette durée est indéterminée alors que la maison brûle ainsi que le disait le président Chirac en 2002. Comment en est-on arrivé là?

Malgré les belles paroles des producteurs et des Etats, la production et la consommation des énergies fossiles, en particulier du pétrole, continuent de croître et nous conduiront dans les années 2030-2035 à une hausse des températures moyennes de 1,5°C. Au-delà, comme l’a énoncé la Conférence de Paris de 2015, c’est l’inconnu, car le réchauffement aura des conséquences non prévisibles. Or la réduction puis l’arrêt de la production des énergies fossiles est la condition sine qua non de la stabilisation du réchauffement de notre planète dans des limites acceptables. Comment expliquer l’absence d’une décision claire en la matière?

L’économie et la géopolitique nous aident dans cette compréhension. L’économie nous ramène aux années 1920-1930. C’est à ce moment que la production de pétrole a pris son envol suite aux progrès des industries mécaniques et de l’aviation. Les USA, la Russie et la Grande-Bretagne, gros producteurs de pétrole, ont gagné la deuxième guerre mondiale grâce à cette énergie, face à l’Allemagne qui en manquait cruellement.

Après la guerre on assiste au triomphe du pétrole dans les moyens de transport mais aussi dans la production des matières plastiques. Le mode de consommation venu d’outre atlantique implique une consommation frénétique de pétrole dans les années 1960-1970. Nos pays sont devenus complètement dépendants de cette forme d’énergie.

Le problème est devenu mondial aujourd’hui avec l’avènement de la Chine et de l’Inde à l’ère industrielle. Ces pays sont devenus de gros consommateurs de pétrole, d’autant plus que leur population aspire de plus en plus à un mode de vie occidental. Cette augmentation de la consommation pour plusieurs milliards d’habitants rend illusoire à court terme la réduction de la production d’or noir par les seules lois du marché c’est-à-dire par la confrontation de l’offre et de la demande. Pour ce faire, il faut une décision politique commune des grands Etats et des principaux pays producteurs: Etats-Unis, Chine, Inde, Russie, Arabie Saoudite et pays du Golfe Persique.

«Mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité, dit le philosophe chinois Lao-Tseu»

Et c’est là que le bât blesse. Ces pays, soit ne sont pas convaincus de l’urgence d’une réduction de la production de pétrole et à terme de son arrêt, soit y sont carrément hostiles comme l’Arabie Saoudite et la Russie. La Chine et l’Inde estiment qu’elles n’ont pas encore achevé leur développement et que c’est aux pays occidentaux de réduire aujourd’hui fortement leur consommation. La Russie a besoin de l’argent du pétrole pour conduire sa guerre contre l’Ukraine.

Les pays du Golfe sont assis sur un tas d’or qui leur donne les moyens d’investir partout dans le monde. Ils ne voient pas pourquoi ils devraient s’appauvrir volontairement et renoncer à un tel instrument de puissance. Enfin, les Etats-Unis sont divisés sur le sujet des énergies fossiles et n’ont plus la crédibilité nécessaire envers les pays du Sud.

Compte tenu de ces divisions et de ces oppositions, la conférence de Dubaï a donc décidé d’une simple transition vers l’abandon du pétrole. Qui contrôlera cette transition, qui en décidera la durée c’est-à-dire le début et la fin? Les conclusions de la COP28 ne le disent pas. Ces données essentielles sont laissées à la bonne volonté de ses membres.  Or, il nous reste peu de temps pour entrer dans une ère de sobriété, comme l’indique le pape François dans Laudate Deum. Bien sûr la sobriété exige une transition pour se mettre en place. Mais il faut commencer le plus tôt possible. En ce qui nous concerne pourquoi ne pas profiter du temps de l’Avent pour commencer ce qui est une véritable conversion. Mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité, dit le philosophe chinois Lao-Tseu. Nous pouvons appliquer avec joie cette maxime la veille de Noël.

Jean-Jacques Friboulet

20 décembre 2023

Beaucoup d'Etats ne sont pas prêts à abandonner rapidement la production pétrolière | © Arvind Vallabh/Unsplash
20 décembre 2023 | 07:16
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture : env. 3  min.
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