Mgr Erwin Kräutler: «Le prochain pape pourrait convoquer un concile»
Déjà lors du synode sur l’Amazonie en 2019, Mgr Erwin Kräutler, évêque émérite de Xingu, au Brésil, s’était engagé pour des réformes. Le prélat d’origine autrichienne porte aujourd’hui un regard critique sur le processus synodal: «Il n’en sortira rien».
Propos recueillis par Jacqueline Straub, kath.ch, adaptation Grégory Roth
L’évêque de 84 ans s’exprime sur la violence policière, le manque de prêtres, la nécessité de femmes prêtres, et le fait qu’il se présente souvent comme un homme marié. Interview de kath.ch qui a rencontré Mgr Erwin Kräutler à la fin de son séjour autrichien, quelques jours avant qu’il rentre au Brésil.
Vous êtes né et avez grandi à Koblach, dans le Vorarlberg. Comment les habitants du village voient l’évêque que vous êtes devenu lorsqu’ils le croisent dans la rue?
Mgr Erwin Kräutler: Ici, je suis simplement Erwin. Récemment, j’étais à l’hôpital. Un homme âgé du village voisin était allongé à côté de moi. Quand il m’a demandé où je vivais, je lui ai répondu: «au Brésil». Il m’a alors dit: «Mgr Kräutler vit aussi au Brésil». Cela m’a fait sourire. Plus tard, je lui ai bien sûr révélé mon identité.
Après deux années en Autriche, vous êtes reparti au Brésil. Qu’est-ce qui vous tient tant à cœur en Amazonie?
Les gens, tout simplement. Et c’est là qu’est ma place. Même si le Voralberg est aussi très beau, bien sûr.
Comment se passait votre ministère d’évêque ‘globe trotter’?
Je n’étais dans ma maison épiscopale que quelques semaines par année. Le reste du temps, je l’ai passé à rencontrer les habitants de l’Amazonie. Je me déplaçais avec un petit bateau, sur lequel je pouvais tendre mon hamac. La plupart du temps, je passais deux jours dans une communauté: j’y célébrais l’eucharistie et je confirmais des jeunes. Ensuite, je repartais, pour essayer d’en visiter le plus possible. Même si les gens ne voient un prêtre en moyenne qu’une fois par an.
«Je n’étais dans ma maison épiscopale que quelques semaines par année. Le reste du temps, je l’ai passé à rencontrer les habitants de l’Amazonie.»
Comment étiez-vous accueilli par les communautés?
C’était toujours une fête. J’étais embrassé par tout le village. Et on me demandait toujours où se trouve ma femme. Comme jeune évêque, j’ai dit une fois que je n’étais pas marié. Alors le chef du village m’a regardé bizarrement. Il ne pouvait tout simplement pas comprendre, car le concept de célibat ne correspond pas à la réalité de leur vie. Alors, par la suite, j’ai toujours dit que ma femme était loin, très loin. Les villageois trouvaient dommage que je vienne seul mais, au moins, il n’y a plus eu de réactions étranges.
Vous évoquiez le fait que de nombreuses communautés ne voient un prêtre qu’une fois par an. Comment y remédier?
Dans mon diocèse, 80 à 90 % des catholiques ne célèbrent l’eucharistie qu’une fois par an. C’est un scandale. La solution serait d’ordonner des prêtres parmi des hommes et des femmes qui ont fait leurs preuves dans les communautés ecclésiales. On pourrait ainsi célébrer l’eucharistie chaque dimanche.
«Dans mon diocèse, 80 à 90 % des catholiques ne célèbrent l’eucharistie qu’une fois par an.»
Lors du synode sur l’Amazonie, vous aviez, justement demandé cela, avec plusieurs autres évêques…
Oui, car le pape François nous avait déclaré – à nous les évêques – avant le synode: ‘Faites-moi des propositions courageuses’. Mais, pour finir, il ne l’a pas accepté, ce qui m’a vraiment frustré et déçu. Lors du synode, 80% des évêques ont voté en faveur des viri probati et du diaconat des femmes. Il est inconcevable que le pape François n’en ait pas fait mention dans son exhortation apostolique. Un confrère, très, très traditionnel, m’a dit: «J’ai quatre hommes mariés que je peux ordonner immédiatement. Je ne comprends pas pourquoi nos demandes n’ont pas été mis en œuvre».
Quel regard portez-vous sur l’actuel processus synodal de l’Église?
Il n’en sortira rien. A part des frais, rien n’a été fait. Le problème, c’est que tous les thèmes de réforme ne sont pas abordés. A mon avis, les réformes d’avenir seraient l’ordination d’hommes mariés dans un premier temps, puis le diaconat féminin. L’ordination des femmes serait l’étape suivante.
«Le problème, c’est que tous les thèmes de réforme ne sont pas abordés.»
François dit que les femmes ne doivent pas être ordonnées pour être protégées du cléricalisme.
Pour moi, c’est incompréhensible. Il y a des hommes non ordonnés en Amazonie qui sont bien plus cléricaux que les femmes qui dirigent des communautés. Je ne connais aucune femme ‘cléricalisante’. Aucune.
Jean Paul II avait pourtant dit qu’il ne pouvait pas y avoir de femmes prêtres.
Le pape polonais n’a malheureusement pas réalisé que les femmes ont aujourd’hui un tout autre statut. Autrefois, il n’y avait même pas de femmes dans les études de théologie. Aujourd’hui, le monde est différent et nous avons besoin de femmes, y compris dans les fonctions officielles. Ce n’est pas logique que ce soient des hommes très âgés qui conçoivent la théologie de la femme.
Comment avez-vous perçu cette période sous le pontificat de Jean Paul II?
La première fois que je l’ai rencontré, il m’a demandé combien de prêtres j’avais. Je lui ai répondu: 16. Il m’a dit que c’était trop peu pour cette grande surface et m’a demandé comment je m’organisais. Je lui ai expliqué qu’il y avait aussi des laïcs qui faisaient fonctionner les communautés ecclésiales de base. Quand il m’a dit qu’il trouvait bien que l’Église soit du côté des pauvres, cela m’a irrité, car je savais qu’il a lutté longtemps contre la théologie de la libération.
«Ce n’est pas logique que ce soient des hommes très âgés qui conçoivent la théologie de la femme.»
En tant qu’évêque, vous avez pris le parti des pauvres. A quel moment vous êtes-vous senti le plus en danger?
J’ai survécu à un attentat dirigé contre moi, mais pas mon chauffeur. Cela a été incroyablement douloureux. De même, lorsqu’une religieuse proche a été assassinée à cause de son engagement en faveurs des pauvres, j’ai été menacé de mort à cause du soutien que j’ai essayé d’apporter aux enquêteurs.
Pourquoi des criminels s’en prennent-ils à vous?
Mon engagement en faveur des pauvres et de l’environnement ne plaît pas aux puissants qui les exploitent. D’autre part, j’ai dénoncé des personnes influentes d’Altamira pour abus sexuels sur des enfants et prostitution enfantine. Une adolescente de mon diocèse a été violée par des hommes haut placés. Les parents m’en ont parlé. Je suis allé à la police. Et après mon témoignage, les chaînes de télévision étaient déjà devant le poste de police. J’ai dit devant les caméras que ces hommes étaient des monstres. Le soir, le chef de la police est venu me voir et m’a dit que j’étais sous protection policière. Je ne l’ai d’abord pas accepté, mais il m’a convaincu que des criminels voulait attenter à ma vie. Depuis 2006, il y a toujours deux policiers à mes côtés.
D’autres engagements ont fait de vous la cible de puissants ?
Oui, lorsque je me suis engagé pour les indigènes contre la construction d’un barrage [celui de Belo Monte, ndlr]. Ou quand des ouvriers agricoles n’avaient pas été payés pendant neuf mois, alors qu’ils avaient livré leur récolte, ils ont organisé un blocus routier. Je n’étais pas favorable à leur action, mais je les ai soutenus sur place. Lorsque la police est arrivée, nous nous sommes assis dans la rue, épaule contre épaule. Même lorsqu’ils ont utilisé des gaz lacrymogènes – et il y avait beaucoup de femmes, de femmes enceintes et des enfants – les gens ont tenu bon. Les policiers m’ont tiré hors du groupe et m’ont battu. Alors les gens ont crié: «Laissez-le, c’est notre évêque».
Quel a été votre plus beau moment en tant qu’évêque?
Le plus beau moment a certainement été lorsque les droits des peuples indigènes du Brésil ont été inscrits dans la Constitution. Car je me suis battu pour cela pendant de nombreuses années. A ceux qui pensent que l’Église ne doit pas être politique, je leur réponds que même si je restais silencieux, je serais quand-même politique. Dans tous les cas, quand il s’agit de lutte pour les droits de l’homme, il faut être politique.
«Le plus beau moment a certainement été lorsque les droits des peuples indigènes du Brésil ont été inscrits dans la Constitution.»
Comment le changement doit s’opérer dans l’Église?
J’ai vécu le Concile Vatican II quand j’étais jeune. Ce fut un printemps pour l’Église. Ce printemps est à nouveau nécessaire. Les initiatives que le pape François a lancées, l’Église ne peut pas les annuler. Mais ce sera au prochain pape de convoquer un concile.
Benoît XVI avait déclaré que l’avenir de l’Église ne se situe plus en Europe, mais sur d’autres continents. Qu’en pensez-vous?
Lorsque je célèbre une messe le dimanche dans la cathédrale avec 400 personnes, je me demande où sont les milliers d’autres fidèles. Chez nous, au Brésil, ce n’est pas si florissant non plus – même si certains réactionnaires de chez nous prétendent le contraire. De plus, en Amérique latine, de nombreux catholiques se tournent vers les sectes parce qu’ils n’ont pas accès à la célébration de l’eucharistie – à cause du manque de prêtres provoqué par Rome. Il est temps que les choses changent enfin. (cath.ch/kath/gr)
25 ans au Brésil
Né en 1939 en Autriche, Mgr Erwin Kräutler a été, de 1981 à 2015, évêque de Xingu, le plus grand diocèse du Brésil, en superficie. En 2010, il a reçu le prix Nobel alternatif pour son engagement en faveur des droits de l’homme des populations indigènes d’Amazonie et pour son combat pour la préservation de la nature. GR