Estavayer: la «Crèche aux cinq sens», un évangile en trois dimensions

Inscrite dans «l’itinéraire des crèches», à Estavayer-le-Lac (FR), la «Crèche aux cinq sens » accueille les visiteurs à la Chapelle de l’hôpital, depuis le 26 novembre 2023. Au fil de ses 80 scènes de vie quotidienne, la structure monumentale déploie un univers entier, qui révèle maintes perles de sagesse bibliques.

«Là, c’est saint Pierre en train de pêcher», explique Créa Calame à cath.ch. «Accablé après la crucifixion, il est revenu pratiquer son activité de toujours, poursuit la co-créatrice de la «Crèche aux cinq sens». Parce que quand on fait face au chagrin et à la peine, il faut aller faire ce que l’on fait de mieux». Telle est l’une des histoires de vie qui parsèment la structure installée dans la petite église d’Estavayer-le-Lac. Au détour des marchés, des fontaines, des vignobles, voire des parties de pétanque, on peut découvrir également le fils prodigue, la Samaritaine, et encore d’autres figures de l’évangile, qui ont tous leur lot d’enseignement pour le visiteur.

«Joseph sera d’abord au bar»

«Car cette crèche est vivante», assure l’agente pastorale dans le canton de Vaud. C’est bien l’impression que l’on a en découvrant les plus de mille personnages très réalistes qui composent l’œuvre s’étendant sur 140m2. La crèche de style provençal est une structure vivante en perpétuel mouvement. Des personnages se déplacent en effet, au gré de leur histoire propre.

La Sainte Famille n’est ainsi pas encore présente. «Ils sont en route», précise Maurice Bianchi, l’autre créateur de l’œuvre. «Et Joseph sera d’abord au bar», plaisante-t-il. «C’est logique, Joseph est d’abord allé demander à l’auberge s’il y avait de la place.» Le petit Jésus n’apparaîtra bien sûr que dans la nuit du 24 au 25 décembre. Mais son «berceau» est déjà prêt. C’est le seul endroit où il y a de la paille dans ce monde miniature.

Chaque année, le lieu de la Nativité est différent. En 2023, Créa Calame et Maurice Bianchi ont bien évidemment voulu marquer les 800 ans de la première crèche de l’histoire, installée par saint François d’Assise, à Greccio. La nuit de Noël 1223, de retour de Bethléem, le Poverello installait, dans une grotte de ce village italien situé entre Assise et Rome, une scène reproduisant la naissance de Jésus. La «Crèche aux cinq sens» attend ainsi le nouveau-né au sein d’un décor minéral, dans un petit coin de forêt.

Permis de toucher

La crèche se nomme ainsi car elle offre aux visiteurs une expérience sollicitant tous nos moyens de perception. La vue est évidemment la première à profiter de la beauté du décor. Une douce musique, ainsi que le son de l’écoulement des fontaines apaisent aussi l’esprit. Diverses senteurs, notamment d’huiles essentielles, parviennent aux narines. Pour le sens du goût, des petits apéritifs sont proposés. Et, détail qui ravit les enfants, il n’est pas interdit, bien au contraire, de toucher. «Nous trouvons important que l’on puisse faire cette expérience tactile avec la crèche. Et, pour l’instant, nous n’avons eu aucun dégât», remarque Créa Calame.

L’agente pastorale et le musicien retraité Maurice Bianchi se connaissent depuis les bancs de l’école, dans le canton de Neuchâtel. Après s’être perdu de vue pendant des décennies, ils se sont retrouvés pour développer leur passion commune des crèches. Ils ont ainsi créé ensemble la «Crèche aux cinq sens», qui parcourt la Suisse romande depuis près de dix ans.

Cette année, l’imposante structure a été intégrée dans «l’itinéraire des crèches» que propose traditionnellement la ville d’Estavayer-le-Lac. Elle sera l’une des 89 installations visibles à travers toute la cité, jusqu’au 14 janvier 2024. De 50’000 à 80’000 personnes sont attendues dans les rues de la ville broyarde indique à cath.ch Marie-Christine Repond, de l’Union fribourgeoise du tourisme.

Réveiller nos âmes d’enfant

La «Crèche aux cinq sens» est le fruit d’un immense travail. Chaque année, Créa Calame et Maurice Bianchi y consacrent environ mille heures. Dans la Chapelle de l’hôpital, un échafaudage a été nécessaire pour placer le décor qui s’élève à neuf mètres. La structure utilise dix tonnes de matériel, gravier, sable ou encore mousse… Les deux créateurs y travaillent depuis septembre à raison de trois jours par semaine.

La crèche s’adapte toujours au lieu où elle s’expose. Sa taille varie. A Estavayer-le-Lac, un grand nombre de statuettes n’ont même pas été placées. Dans ce qui sera pour les deux créateurs un défi, leur structure sera installée prochainement à Morteau, en France voisine, dans un espace de 500 m2.

«Nous voulons que les visiteurs aient une expérience hors du temps et de l’espace, qu’en entrant ici, ils retrouvent leur âme d’enfant», lance Maurice Bianchi. Malgré le caractère religieux de l’œuvre, il ne s’agit aucunement de faire du prosélytisme, précise le musicien neuchâtelois. Tout le monde peut ainsi profiter de la visite pour les raisons qui lui sont propres.

La tendresse de Dieu

L’installation est émaillée de détails reflétant les points de vue de ses créateurs. Les rôles traditionnels entre sexes se retrouvent ainsi parfois bouleversés. Alors qu’un homme étend la lessive, une femme joue à la pétanque, au grand dam d’un spectateur qui, d’indignation, se prend la tête entre les mains.

Maurice Bianchi assure aussi qu’il s’agit de «lutter contre le Père Noël Coca-Cola». «On vit une époque d’envie et d’immédiateté. Mais la crèche, c’est l’attente, la création d’un désir, l’idée que tout arrive après maturation, en temps voulu.»

En déployant de nombreux animaux, la crèche se veut aussi dans l’esprit de saint François, qui nommait «frères» et «sœurs» les bêtes et les éléments.

Même sans volonté de prosélytisme, la foi est ainsi tout de même à la base de la démarche. Pour Créa Calame, «la Crèche aux cinq sens» est un «évangile en trois dimensions». Elle est convaincue de la pertinence de la crèche pour l’éveil spirituel de chacun. «Cela montre que Jésus est bien présent dans notre vie quotidienne, que ce n’est pas un personnage totalement abstrait qui est au ciel.» Les émotions suscitées par une crèche révèlent aussi, pour l’agente pastorale, des aspects essentiels de la foi. «Il y a dans l’image de la Nativité un intense sentiment de vulnérabilité, d’un Dieu qui se fait petit pour tous les hommes. Mais l’on y ressent aussi l’immense tendresse que Dieu a pour son fils et pour nous.» (cath.ch/rz)