Brésil: l’Église se mobilise dans une Amazonie asséchée
Dans une Amazonie frappée par une sécheresse historique, la Commission pastorale de la terre (CPT) et le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) s’efforcent d’être présents au côté des populations rurales et autochtones.
Jean-Claude Gerez, en Amazonie
Lucelino da Silva Oliveira regarde d’un air désolé un cratère de terre rouge de plusieurs mètres de diamètre et de profondeur. «Jamais, j’ai pensé que j’allais vivre cela un jour, explique ce quadragénaire. Normalement, en Amazonie, l’hiver commence dès le début du mois d’octobre et il pleut intensément plusieurs heures par jour. Mais là, en un peu plus de cinq semaines, on a eu à peine trois ou quatre brèves averses. En fait, il n’a quasiment pas plu depuis la fin du mois d’avril dans la région». Ce trou, comme les autres qu’il a creusé en deux ans, sert d’habitude à emmagasiner l’eau afin de tenir pendant la saison sèche. «Tout est asséché, souffle t-il. On n’a même pas assez d’eau pour boire, cuisiner et se laver. Et impossible de planter du maïs ou du manioc! La terre est trop dure et trop sèche, soupire ce père de quatre enfants. Ça fait plusieurs années que les pluies ont tendance à prendre du retard. Mais là, c’est la catastrophe!»
La menace de l’élevage intensif
Bienvenue à Nova Granada, à deux heures de route de Rio Branco, la capitale de l’État de l’Acre, au sud-ouest de l’Amazonie brésilienne. «Cette terre de 1600 hectares est un ‘assentamento’ (occupation de terres appartenant à l’État brésilien) sur lesquelles nous nous sommes installés en février 2021 avec 70 familles de petits agriculteurs, explique Luís Almeida de Oliveira, ancien ‘saigneur d’hévéa’ (cueilleur de caoutchouc naturel) de 62 ans et leader de la communauté. Nous sommes cernés par trois grands propriétaires terriens, dont les terres sont exclusivement dédiées à l’élevage extensif de bovins et qui veulent à tout prix nous chasser pour étendre encore d’avantage leurs pâturages.»
Mais les petits agriculteurs de Nova Granada résistent et entendent faire valoir leurs droits. Quitte à affronter, comme c’est le cas depuis le début, les menaces verbales et physiques de leurs voisins. Et s’en remettre à une Justice qui semble, depuis le retour de Lula au pouvoir en janvier dernier, un plus encline à mettre un terme à l’impunité des «fazendeiros».
Camions citernes
Dans cette démarche, ils peuvent compter sur l’appui de Joao Nunez, agent de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), une organisation liée à la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), créée en octobre 1975 pour travailler au côté du monde rural. «Notre objectif est d’aider les petits agriculteurs à s’organiser pour défendre leurs droits», explique ce septuagénaire au regard malicieux, qui s’est engagé dès la fin des années 1970 dans cette «mission prophétique». Symbole d’une Église «hors des murs» chère au pape François, «la CPT essaie d’accompagner les populations rurales modestes dans leurs quête essentielle: celle d’avoir un lopin de terre pour nourrir leurs familles. Nous assurons également un accompagnement juridique et social et, lorsque c’est nécessaire, nous tachons de répondre à des besoins précis.»
«Nous avons demandé la démarcation de nos terres en 2000, mais les années passent et nous ne voyons rien venir»
Seu Edivaldo
Et cette année, Joao Nunez a fort à faire. À Nova Granada, l’agent de la CPT s’efforce de répondre à l’urgence. «Nous essayons de sensibiliser la municipalité d’Acrelândia (auquel l’assentamento de Nova Granada est administrativement rattaché, ndlr) sur l’urgence d’affréter des camions citernes remplis d’eau, explique t-il. Mais convaincre les élus -proches des grands propriétaires terriens- est compliqué. Et l’accès est difficile, car la route est en très mauvais état.» Autre démarche, demander aux services sociaux de l’État de l’Acre la distribution de «cestas basicas» aux familles, des paniers contenant des produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité. «C’est une réponse à une situation d’urgence, regrette Joao Nunez. Et si le dérèglement climatique dépasse largement les frontières de Nova Granada, l’attribution des terres par l’Institut national de colonisation et de la réforme agraire (INCRA) permettrait de financer des infrastructures permettant aux petits agriculteurs d’affronter un peu mieux la sécheresse.»
Déforestation, brûlis, sécheresse
La reconnaissance des terres est aussi le cœur du problème pour les indigènes Jamamadi qui vivent à plus de 300 kilomètres plus au nord, près des rives du Rio Purus, l’un des affluents de l’Amazone. «Nous avons demandé la démarcation de nos terres en 2000, explique Seu Edivaldo, le cacique du village de Lurdes. Mais les années passent et nous ne voyons rien venir.» Pire, les grands propriétaires terriens, installés illégalement sur les terres qui appartiennent officiellement à l’État brésilien, détruisent chaque année des dizaines d’hectares de forêt primaire. «Ils déboisent, brûlent, clôturent et plantent du ‘capim’ (herbe à pâturage) avant d’installer leur bétail, explique Joaquim Jamamadi, le vice-cacique. Cela entraîne l’assèchement de nos igarapés (petites rivières poissonneuses qui prennent leurs sources et s’écoulent sous le couvert forestier) et met en danger la vie de nos familles.»
Sandra Lima da Silva sait bien tout cela. Membre du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) du diocèse de Rio Branco, cette souriante quinquagénaire s’est engagée il y a dix-huit ans au sein de cette organisation créée en 1972 par la CNBB pour «articuler, organiser et subventionner le travail de l’Eglise au côté des peuples autochtones.» Respecté par l’ensemble des peuples indigènes du Brésil pour son engagement et sa loyauté, «le CIMI n’est pas là pour évangéliser, rappelle Sandra Lima da Silva. Mais pour respecter les aspirations et la culture de ces populations en les écoutant et en les orientant pour que leurs droits soient respectés.» Mais la situation actuelle des seize familles qui vivent dans le village de Lurdes est devenue une urgence, comme le souligne Amilton, qui ne peut même plus chasser.
Démarcation des terres
«Comme les points d’eau sont asséchés, le gibier est parti», se désole ce solide gaillard de 36 ans. Et pour la pêche, c’est encore pire. «Ici, normalement, il y a un lac, explique t-il en montrant un étang, à la surface duquel flottent des dizaines de poissons morts. Ils ont été asphyxiés car le soleil a réchauffé l’eau.» Pour Roberval, le pire est sans doute l’eau stagnante dont il faut faire usage pour boire et se laver. Le sexagénaire au physique noueux présente d’ailleurs de larges plaques rouges sur la peau. Après s’être lavé, on sent des démangeaisons partout sur le corps, surtout sur le ventre… Et pour les enfants, c’est pire… Je pense que c’est à cause de l’eau stagnante. Et c’est la même chose quand on boit: les démangeaisons dans la gorge nous font tousser. Sans compter les incendies volontaires des fazendeiros.»
«La seule réponse valable est la fin de la déforestation et des incendies volontaires»
Sandra Lima da Silva
José Franck, climatologue au sein de la Commission Pro Indien de l’Acre, le confirme. «Ces incendies volontaires se propagent sans contrôle car, à cause de la sécheresse, la forêt tropicale est de moins en moins humide. Résultat, la population de nombreux villages souffrent de problèmes respiratoires.» Le village de Lurdes n’y échappe pas. «Lorsque des incendies volontaires sont allumés, les enfants et les personnes âgées souffrent particulièrement, regrette Seu Edivaldo. Mais nous n’avons nulle part où aller.»
«Nous tâchons de répondre aux urgences, en alertant notamment le Service de santé des indigènes (SESAI)», explique Sandra Lima da Silva. Mais les demandes sont nombreuses et le niveau très bas des cours d’eau limite la mobilité des équipes médicales. «La seule réponse valable est la fin de la déforestation et des incendies volontaire, insiste t-elle. Pour cela, il faut accélérer le processus de démarcation des terres des peuples indigènes. C’est le seul moyen de protéger efficacement la forêt amazonienne et ses habitants.» (cath.ch/jcg/rz)