Soeur Alessandra Smerilli, religieuse salésienne, participe au Synode | © Vatican Media
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Sr. Alessandra Smerilli: «Le pape François brise des murs»

La religieuse Alessandra Smerilli est la femme la plus «puissante» du Vatican. Elle encourage les femmes à ne pas se cacher. Entretien sur l’économie, les changements dans l’Eglise et la place des femmes avec celle qui est «numéro deux» du dicastère pour le Service du développement humain intégral.

Jacqueline Straub – kath.ch/Traduction et adaptation Bernard Hallet

Que pensez-vous du synode qui se tient à Rome?
Alessandra Smerilli: Je crois que le Synode peut être une expérience d’espérance chrétienne. J’espère aussi qu’il sera rempli de l’Esprit Saint, afin que nous soyons transformés en ce que Jésus-Christ demande à l’Église et à tout le Peuple de Dieu aujourd’hui.

Quelles sont vos espérances et vos attentes vis-à-vis du Synode?
Ce n’est pas seulement l’assemblée. Le synode est aussi un voyage de l’Eglise. Le processus synodal a commencé au niveau local. Il est maintenant sur la scène mondiale. Ensuite, il continuera. J’espère que le synode sera un vrai moment de discernement.

C’est à dire?
Le discernement se manifeste dans le fait que les gens peuvent entrer avec des idées et en sortir avec d’autres. Si c’est un temps de discernement, alors tout ce qui en sort est un chemin et un signe de la présence de l’Esprit Saint dans l’Eglise.

«J’espère que le synode sera un vrai moment de discernement.»

Pensez-vous que le Synode apportera des changements structurels dans l’Église catholique?
Le changement se produit quand il y a une masse critique de personnes qui veulent le changement. Donc, si le Synode réussit à nous amener sur ce chemin de conversion, il peut, comme le dit le pape François, lancer un processus qui peut conduire au changement.

Vous avez participé au Synode des jeunes en 2018. Qu’est-ce qui a changé depuis?
Il y a plus de femmes invitées à l’assemblée synodale actuelle que dans les synodes précédents. Les femmes ne sont pas seulement des auditeurs, elles expriment aussi leurs opinions. Déjà au Synode de la Jeunesse, il y avait une demande pour plus d’égalité des droits – et maintenant encore. C’est une bonne chose.

Vous êtes la «numéro deux» du dicastère pour le Service du développement humain intégral. Comment cela vous concerne-t-il?
C’est très beau, très fascinant et aussi très exigeant, parce qu’il y a de la liberté d’action et en même temps, il y a beaucoup de travail dans notre département, c’est pourquoi il est nécessaire de bien travailler avec tout le monde. Je suis heureux de pouvoir contribuer à ce débat.

Vous êtes la femme la plus haut placée du Vatican. Quel message voulez-vous transmettre aux autres femmes?
Tout ou presque est possible. Les femmes ne doivent jamais se décourager. De plus, les femmes n’ont pas besoin de cacher leurs propres capacités. Les femmes cachent parfois quelque chose. Mais l’Église a besoin des talents des femmes.

En tant que l’une des rares femmes à occuper des postes à responsabilité au Vatican, vous êtes sûrement aussi très exposée.
Je suis très visible au Vatican, justement parce qu’il y a très peu de femmes à des postes de décision importants. Mais je suis sûre qu’il n’est pas exclu qu’à l’avenir beaucoup d’autres femmes occupent de tels postes.

«Tout ou presque est possible. Les femmes ne doivent jamais se décourager.»

Vous travaillez à la curie depuis deux ans. Aviez-vous rêvé secrètement d’un tel poste?
J’ai travaillé comme économiste et je n’étais pas intéressée par travailler au Vatican. Je ne l’aurais pas imaginé non plus. Mais j’ai reçu un coup de téléphone du pape François. J’ai compris que je ne pouvais pas refuser. J’ai un devoir envers l’Eglise, envers les gens.

Vous travaillez au dicastère du développement. Quelles sont vos fonctions?
Notre dicastère a une vaste mission. Notre mission est d’être en dialogue avec les Eglises locales et les différents ministres qui, dans le cadre de leur activité, encouragent le développement. Nous recherchons des réponses aux défis. Nous nous appuyons sur la doctrine sociale de l’Eglise. Notre objectif est de permettre aux personnes ou aux communautés de se développer. Nous avons toujours le sentiment de ne pas en faire assez. Mais en même temps, nous voyons que notre travail d’accompagnement des Eglises locales est porteur d’espoir.

Le 4 octobre, le Pape François a publié Laudate Deum. Vous en réjouissez-vous?
L’urgence de protéger notre planète demeure. C’est pourquoi je suis heureuse que le pape François mette à nouveau ce thème au centre de sa prédication. Il y a beaucoup d’efforts de la part de l’Eglise – mais aussi de la part de la société et de la politique – pour une véritable conversion écologique. Mais il reste encore beaucoup à faire. L’exhortation qui vient d’être publiée veut être un nouveau départ sur notre chemin, en soulignant tout ce qui a changé depuis 2015. C’est pourquoi je pense que nous avons besoin de cette lettre, surtout pour revitaliser le chemin dans lequel nous nous trouvons.

Vous étiez professeur d’économie et vous êtes une experte dans ce domaine. Comment trouvez-vous la déclaration du pape François «L’économie tue»?
Je crois que nous avons vu ces dernières années que le système économique actuel engendre l’exclusion. Les inégalités dans le monde augmentent à tous les niveaux. Les paroles du pape François sont donc plus vraies que jamais. Cela ne signifie pas que nous rejetons l’économie ou les marchés, mais que nous voulons ramener les marchés et l’économie à leur destination première.

«Nous avons besoin de cette lettre [Laudate Deum], surtout pour revitaliser le chemin dans lequel nous nous trouvons.»

C’est à dire?
Une économie centrée uniquement sur le profit est un problème. Parce que cela se fait au détriment de tant de besoins des gens, en particulier des plus vulnérables. Pensez à la santé. Si c’est le profit qui l’emporte, il n’y a plus de recherche de médicaments pour des maladies qui ne sont pas rentables. C’est un drame auquel nous assistons aujourd’hui. Nous devons y travailler.

Le pape François ne cesse de dénoncer cette exclusion.
Exactement. Il a des situations concrètes, des visages, des noms devant lui. Je crois que c’est un cri collectif venant de presque toutes les parties du monde. Il y a de l’exclusion, il y a des gens qui meurent à cause de l’économie. Pensez à toute l’exploitation, y compris des ressources naturelles.

Le pape François ne se contente pas de dénoncer les mauvaises tendances de l’économie, il critique aussi les mauvaises caractéristiques de l’Eglise catholique, comme le cléricalisme. Je crois que le premier pas à faire dans l’Église est de ramener le sacerdoce à sa vocation première. Le sacerdoce ne doit pas être un facteur discriminatoire. (kath.ch/cath.ch/js/rz/bh)

Une religieuse salésienne
Née en 1974, Alessandra Smerilli est titulaire d’un doctorat en économie politique obtenu à l’université La Sapienza de Rome et d’un doctorat en économie générale réalisé à l’université de East Anglia (Royaume-Uni). La religieuse a été choisie en 2019 par le pape François pour devenir conseiller de l’État de la Cité du Vatican, une première pour une religieuse.
Très investie dans l’organisation du forum The Economy Of Francesco d’octobre 2020, la salésienne de 46 ans défend une économie qui inclut le soin de la personne et s’inspire de «l’éthique du care» (soin, ndlr) promue par la philosophe Jennifer Nedelsky. Depuis mars 2020, elle était donc coordinatrice du groupe de travail sur l’économie de la Commission vaticane Covid-19, établie par le pape François. BH

Soeur Alessandra Smerilli, religieuse salésienne, participe au Synode | © Vatican Media
23 octobre 2023 | 13:54
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
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