B. Schubiger: «Il faut se rendre compte des manques dans la pastorale»
Retrouver le sens profond, mystique, de l’Eglise. Tel est l’appel lancé par l’abbé Bernard Schubiger à travers son dernier livre Les cinq doigts de la pastorale. Pour le prêtre fribourgeois, cela passe notamment par la réalisation des cinq essentiels de la vie chrétienne.
«Un outil pour le bon fonctionnement des équipes pastorales (EP)». C’est ainsi que Bernard Schubiger décrit son livre Les cinq doigts de la pastorale, publié aux Editions St-Augustin (2022). Une réflexion qui va toutefois bien au-delà du simple «manuel pour agents pastoraux». L’abbé âgé de 66 ans et actif dans l’équipe de formation du canton de Fribourg, et dans l’aumônerie des personnes en situation de handicap (COEPS) renvoie à des problématiques profondes touchant l’Eglise toute entière, telles que la relation entre service et pouvoir, un thème également central pour le Synode actuel à Rome.
Pourquoi cette image des «cinq doigts»?
Bernard Schubiger: Cela vient en partie du constat qu’il y a encore dans l’Eglise trop de grandes théories abstraites. Une bonne image est beaucoup plus parlante que des mots. J’ai emprunté l’idée des cinq doigts à la pédagogue québécoise Nancy Gaudreau, qui l’utilise pour imager la bonne gestion d’une classe. J’ai mis cela en relation avec les cinq essentiels de la vie chrétienne que sont la vie de prière, la vie fraternelle, la vie d’évangélisation, de charité et de formation. J’énumère également les cinq doigts de la bonne gestion d’une EP, que sont les ressources, l’organisation du ministère et de la vie spirituelle, la charte, la vision, et enfin les projets nouveaux.
Quel constat est à la base du livre?
Je voudrais tout d’abord mettre en garde: ce livre n’est pas un modèle à suivre, il esquisse seulement des pistes de réflexion. Des choses me sont apparues au fil de mon service dans diverses équipes pastorales. J’ai distingué un certain nombre de manques. Les prêtres, les agents pastoraux, mais également les paroissiens, ont parfois encore une vision très limitée de l’Eglise après Vatican II. On voit surtout l’aspect institutionnel, organisationnel et hiérarchique. Mais on oublie souvent le sens profond, mystique, de l’Eglise. Mon opinion est que si l’on continue de «faire ce que l’on a toujours fait», on va droit dans le mur.
«Ce que j’ai surtout vu, ce sont des EP où chaque individu tire les ficelles de son côté»
Ainsi, le premier chapitre développe une vision renouvelée de l’Eglise selon le Concile Vatican II à partir des six figures: Pierre (la hiérarchie), Jacques (l’institution), Paul (l’aspect charismatique et l’évangélisation), Jean (l’aspect mystique et la vie intérieure), Marie (la mère de l’Eglise), Marie-Madeleine (le modèle du disciple et le discernement).
Quelles ont été vos expériences dans ce domaine?
Je dois souligner que j’ai écrit ce livre «en creux». Je me dois d’être humble et de dire que je n’ai finalement jamais fait ce que j’aurais dû faire, vivre et expérimenter dans les EP où j’ai oeuvré. Même si j’ai essayé de transmettre le sens profond de l’Eglise par ma façon d’être. En tant que curé modérateur, je n’ai pas assez insisté sur certains aspects, parce que je n’en étais simplement pas conscient.
Mais ce ce que j’ai surtout vu c’est une difficulté à réaliser pleinement les cinq essentiels; ce sont des équipes où chaque individu tire les ficelles de son côté, où l’on a toutes les peines du monde à avoir ne serait-ce qu’une vie commune, chose absolument indispensable pour fournir un bon travail pastoral.
L’EP doit être un modèle pour la communauté. Si nous-mêmes ne nous réunissons peu ou pas pour partager, manger ensemble, prier ensemble, dans la gratuité, il ne faut pas s’attendre à ce que la communauté paroissiale ait elle-même une vie fraternelle.
Quel aspect est au centre de la bonne gestion d’une EP?
C’est l’acquisition ensemble d’une vision commune. Elle vient de ce que l’on a pu mettre en place ensemble. Mais cela prend du temps, demande que l’on fasse l’effort de se connaître. Combien de membres d’une EP connaissent vraiment les autres, avec leurs compétences, leurs talents et leurs charismes? Moi, j’aime tout d’abord demander aux agents pastoraux comment cela se passe dans leurs familles, avec les maris, femmes, enfants, je ne m’intéresse pas en premier lieu à leur travail, à leur ministère.
Il faut donc renforcer ‘l’essentiel’ de la vie fraternelle…
Oui. Et cela apparaît également dans la gestion des conflits. Il est important, selon moi, que les membres établissent une charte des relations fraternelles. J’ai connu des EP où on s’écrivait des courriels qui étaient des règlements de compte. Ce n’est pas possible. Un courriel sert à informer.
«Il n’est pas sain de trop attendre du Synode»
Pour régler des conflits, on se rencontre et on se parle entre quatre yeux. C’est le principe de la correction fraternelle. Mais cela se vit trop souvent mal dans l’Eglise. Souvent parce que le supérieur a beaucoup de peine à se mettre au même niveau que son interlocuteur. Dans notre Eglise fribourgeoise, mais pas seulement, lorsqu’il y a un conflit, trop souvent, le supérieur qui a le «pouvoir» – parce qu’il a transformé son service en pouvoir – a le dernier mot.
C’est finalement le problème du «cléricalisme», tant décrié par le pape François…
Pas dans le sens littéral, car celui-là n’est pas forcément exercé par des clercs. Au contraire, le «cléricalisme» est très souvent le fait de laïcs. Il vient de la confusion entre le service et le pouvoir. Notre ministère n’est jamais un pouvoir. Nous sommes au service de nos frères et soeurs, de l’Eglise, du Christ. Il y a tout l’aspect d’un service d’autorité aussi dans un sens horizontal et non pas hiérarchique, qu’il faut davantage trouver.
C’est une question qui sera de manière sûre traitée au Synode…
Oui et c’est une bonne chose. Mais en même temps, il n’est pas sain de trop attendre du Synode. Nous ne devons pas toujours tout attendre du niveau supérieur. Il faut déjà commencer à agir à notre niveau, c’est cela un vrai synode. En fait à tous les niveaux, que ce soit du diocèse, de la paroisse, de l’EP ou au niveau personnel. Car rien ne peut finalement se faire sans une conversion intérieure de chacun et pas seulement des structures.
«Les jeunes ne comprennent rien à la messe»
Pour moi, aucun changement majeur n’est possible sans l’expérience de l’Esprit Saint. Le grand danger est de décider par nous-mêmes ce qui nous paraît bon et juste. L’esprit Saint nous aide à bien choisir ce qui est adapté à la situation et aux personnes et nous donne la force et le dynamisme pour le réaliser avec Lui.
Vous voyez également des manques dans la vie d’évangélisation…
Quand je parle avec d’autres membres de l’EP, il y a une toujours une question qui me brûle les lèvres quand ils ont des enfants adolescents ou jeunes adultes: participent-ils encore à l’Eglise? Je ne suis pas étonné que la moitié me répondent ‘non’. Et lorsqu’on cherche pourquoi, on découvre très vite que c’est parce que l’Eglise telle que nous la pratiquons est en décalage avec la société d’aujourd’hui. Les jeunes, par exemple, ne comprennent rien à la messe. Il faut prendre le temps de leur expliquer, de répondre à leurs questions et de la vivre à leur niveau. Nous avons besoin d’EP ancrées dans la réalité de leur lieu.
Notre tâche d’évangélisation est également d’inventer de nouveaux chemins pour aller à la rencontre de notre société, à la rencontre des personnes en marge. D’abord pour les écouter, ensuite pour leur faire voir tout ce qu’ils vivent déjà de l’Evangile alors qu’ils se croient loin de Dieu.
«Chacun devrait pouvoir agir selon ses charismes, ses talents, ses compétences»
C’est quelque chose qui manque dans beaucoup d’EP. L’argument pour ne pas le faire est souvent: «on est tellement occupé, on n’a pas le temps». Mais c’est bien commode, on se laisse noyer par «tout ce qu’il faut faire» pour éviter de se poser les questions sur les véritables tâches de nos ministères. On fait trop de catéchèses, de liturgie, et pas assez de diaconie, de charité et surtout d’évangélisation. Il faut sortir de l’Eglise, comme le dit le pape François.
Le problème est-il plus présent dans l’Eglise en Suisse qu’ailleurs?
Je pense que particulièrement en Suisse, nous avons ce changement à vivre. Parce que évidemment, nous sommes des spécialistes de la démocratie. On délègue des représentants pour décider à notre place. Mais dans l’Eglise, on ne peut pas déléguer notre responsabilité de baptisés. Nous sommes tous appelés à la sainteté, et ça on ne peut pas le déléguer. A la base de la vie chrétienne et du travail pastoral, il y a donc, comme je le disais, une nécessaire conversion intérieure.
Ce n’est pas déjà ce que demande l’Eglise?
Je ne dis bien sûr pas que l’on ne fait rien de bon dans l’Eglise. Il y a de nombreuses très bonnes initiatives, notamment en Suisse romande. Mais je voudrais mettre en garde contre le danger de l’uniformisation. Certes nous faisons des ‘orientations pastorales’, qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais qui ne donnent pas envie de les mettre en pratique.
Et le grand danger avec les orientations, c’est d’en vouloir une seule pour tout le monde. Alors qu’il faut accepter une diversité en fonction d’une part de la réalité locale et, d’autre part, de la réalité des membres de l’EP. Chacun devrait pouvoir agir selon ses charismes, ses talents, ses compétences. C’est un point sur lequel j’insiste particulièrement dans mon livre. On ne peut pas imposer de l’extérieur une façon de faire. La conviction doit venir de l’intérieur, sinon, cela ne porte aucun fruit. (cath.ch/rz)
Bernard Schubiger a fait ses études de théologie à l’Université de Fribourg et à l’Institut d’études théologiques (IET) à Bruxelles. Il exerce depuis 35 ans son ministère dans diverses paroisses du diocèse de LGF.