La volonté et l’engagement
Permettez-moi d’être légèrement centrée sur les événements de vie qui m’ont occupée ces derniers temps. Le mariage. Je me suis mariée. A dire vrai, je me suis remariée.
Jadis pour ma part le mariage semblait un engagement impliquant deux volontés poussées par un amour désireux de surmonter toutes les épreuves de la vie, ensemble. De surcroît, lorsque ce mariage était placée sous la bénédiction de Dieu, alors tel un troisième fil indestructible, le recours à Dieu incitait à ne pas succomber au divorce à la moindre première anicroche. Force est de constater que dans mon cas, j’avais tort. En tant que ministre du culte, l’Eglise bernoise nous dénomme encore Verbi Divini Ministra (pour une femme), en tant que croyante ayant toujours le nez plongé dans la Bible, j’aurais tant aimé ne pas connaître de divorce.
C’est un échec. L’échec de la volonté, un manque d’opiniâtreté, une défaillance dans la détermination. Comment une Verbi Divini Ministra en charge d’accompagement de mariages et de couples n’a-t-elle pas su se prémunir de cette séparation? Serait-ce, comme le dit la sagesse populaire, le cordonnier le plus mal chaussé? Peut-être pas. Ce serait plutôt cette capacité d’accepter de se tromper. D’accepter être faillible en dépit de notre volonté de ne pas l’être.
Ce théologien que je chéris et cite souvent Paul Tillich définit la foi comme une acceptation radicale. L’on peut faire appel à Dieu, être certaine de faire confiance à Dieu et rater cependant des moments-clefs de sa vie. Ne pas tenir un engagement tenu devant Dieu et avec l’aide Dieu. Se tromper et, sans intention préméditée, se planter.
«Pourtant dans ma foi, je crois que Dieu me pardonne et m’accepte telle que je suis»
L’injonction de réussir notre vie est tellement prégnante. Jean Calvin ne voyait-il pas le succès dans les affaires comme une forme de bénédiction divine? Vous toutes et tous avez traversé des heures de déprime, à l’instar des psalmistes nos questions voire nos plaintes ont été adressées à Dieu.
Vous le sentez, c’est confus. Il y a cette espérance donnée dans la foi de tout pouvoir franchir avec l’aide de Dieu. Et il y a dans la foi cette prise de conscience que malgré tout souvent nous n’y parvenons pas. Loin d’être un bouclier, la foi en Dieu s’avance comme une lumière sur nos écarts. Loin d’être un socle, la foi en Dieu est le lieu de la reconnaissance de notre impéritie.
Et je crois comprendre mieux la définition de la foi proposée par Tillich. Elle emprunte l’apparence d’une tournure de phrase un peu alambiquée. En réalité elle est intense et aiguë. Croire, écrit-il, c’est accepter d’être accepté en se sachant inacceptable.
Inacceptable à mes yeux une pasteure qui divorce. Quel exemple? Quel message? Pourtant dans ma foi, je crois que Dieu me pardonne et m’accepte telle que je suis, avec ce que j’ai fait, je fais et je ferai.
«Une vie existe parce qu’elle persévère et pas simplement parce qu’elle existe»
Qui suis-je pour décider de ce que Dieu accepte ou non, pardonne ou non, sanctifie ou non? En Christ, la grâce est venue nous annoncer cette bonne nouvelle. Nous sommes «rachetés», ressuscités dans nos quotidiens par le Christ.
En se penchant vers un autre philosophe, Spinoza, apprécié des esprits libres, l’on peut entendre une autre forme de réponse. Exister, vivre, être sur terre est une succession d’instant, une kyrielle de présents. Aucun ne se duplique, ni ne se calque sur le précédent. Certains présents, donc certains événements sont qualifiés par nos soins d’échec, d’autres de succès. Mais ils se suivent sans jamais se ressembler quels qu’ils soient. Évidemment nous retenons en mémoire ce que nous avons vécu, principalement, hélas, les moments les plus difficiles. Comme moi qui focalise sur l’échec de ma parole exprimée lors de la bénédiction de mon premier mariage. Spinoza me console dans la lecture personnelle que je fais de sa notion de persévérance.
En tant que personne, nous existons parce que nous sommes la somme de notre passé, de nos expériences bonnes ou mauvaises. Nous conservons cette mémoire de la vie dans nos cellules et dans nos mémoires. Néanmoins, dit-il, au-delà de cette simple addition de nos heures et de nos années, nous sommes non seulement la somme de nos années mais surtout la persévérance. Dans le sens où nous perséverons.
J’ai échoué à mon premier mariage. Je suis la somme de ces années passées avec mon ex-mari. Mais je persévère. Je réitère. Je poursuis la vie. J’investis encore dans l’amour. Je crois encore en la bénédiction de Dieu sur mon nouveau couple. J’espère toujours pouvoir tenir mon engagement jusqu’à ce que la mort me sépare de mon mari.
Une vie existe parce qu’elle persévère et pas simplement parce qu’elle existe. Notre volonté, notre engagement à nous jeter dans le monde, avec l’assurance d’être acompagné.e, fait de nous de personnes qui existent.
Nadine Marschner (Manson)
4 octobre 2023
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