Mgr de Raemy: «Les excuses ne suffisent pas à surmonter ce passé»
«Le projet continue car nous ne voulons pas tourner la page, mais au contraire ouvrir toutes les pages», a affirmé Mgr Alain de Raemy, administrateur apostolique du diocèse de Lugano, le 13 septembre 2023. L’évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) a commenté ainsi les résultats du projet pilote sur les abus sexuels dans l’Eglise en Suisse, publié la veille à Zurich, en donnant notamment des précisions sur la destruction d’archives dans le diocèse de Lugano.
Avec catt.ch
«Le plus choquant, c’est le silence assourdissant de tant de victimes qui n’ont pas pu parler, ainsi que tous les actes commis, qui sont en contradiction flagrante avec l’Évangile», a relevé Mgr de Raemy lors d’une conférence de presse, le 13 septembre, à Lugano. L’administrateur apostolique du diocèse était accompagné de Mgr Nicola Zanini, délégué de l’administrateur, de la juge Fabiola Gnesa, présidente de la commission diocésaine d’experts pour le traitement des cas d’abus sexuels dans l’Église, et de Luca Montagner, attaché de presse du diocèse.
Mgr de Raemy est devenu administrateur apostolique du diocèse de Lugano en septembre 2022, suite à la démission de l’évêque Valerio Lazzeri. L’évêque auxiliaire de LGF s’est donc exprimé en tant que responsable du diocèse italophone sur les conclusions du projet pilote sur les abus, dirigé par l’Université de Zurich et mandaté par les principales instances de l’Eglise catholique en Suisse. Les experts ont notamment identifié 1002 cas sur un période de 70 ans, impliquant 921 victimes et 510 auteurs.
Ne pas poser de «couvercle» sur les affaires
«Cette étude montre clairement à quel point les victimes ont souffert et souffrent encore. Ce sont des femmes et des hommes humiliés, traités avec un mépris déconcertant par des hommes d’Eglise qui se sont présentés comme des bergers mais qui, en réalité, ont agi comme des loups», a déploré Mgr de Raemy.
Alors que le rapport a également mis en lumière des efforts de dissimulation par des responsables ecclésiastiques, l’administrateur apostolique a fustigé «l’irresponsabilité de beaucoup, qui ont causé d’immenses souffrances aux victimes d’abus au détriment des auteurs, qui ont souvent réussi à s’en sortir (…) En essayant de sauvegarder la bonne réputation de l’Église, on a ainsi complètement négligé la dignité et l’intégrité physique et morale des victimes.» Ainsi, pour le prélat suisse, «de simples excuses ne suffisent pas à surmonter ce passé sur lequel on ne peut et ne doit pas poser de couvercle.»
Très rares signalements à Lugano
Le document de l’Université de Zurich met également en cause le diocèse de Lugano pour une pratique d’archivage peu claire, avant les années 2000, ainsi que pour la destruction de documents vieux de 100 ans. Une pratique qui aurait eu cours en particulier pendant l’épiscopat de l’évêque Giuseppe Torti (décédé en 2005), entre 1995 et 2003. La destruction de papiers privés de Mgr Eugenio Corecco (évêque de Lugano de 1986 à 1995, décédé en 1995) et d’autres documents est aussi mentionnée dans le rapport zurichois. Les chercheurs ont en outre brocardé le diocèse italophone en rapport aux très rares signalements de victimes et traces de cas dans les archives.
Lors de la conférence de presse à Lugano, Fabiola Gnesa a effectivement rappelé que la commission (diocésaine d’experts sur les abus, ndlr) n’avait enregistré que cinq cas. «Les victimes ont été reçues et écoutées avec beaucoup d’attention», a toutefois précisé l’avocate. Trois appels téléphoniques de personnes qui ne souhaitaient pas s’identifier auraient également eu lieu. Des chiffres très en deçà des autres diocèses de Suisse. Fabiola Gnesa a invité d’autres victimes potentielles à se manifester.
Archives au feu
Mgr Nicola Zanini a abordé de front la délicate question de la destruction des documents. D’après le rapport de l’Université de Zurich, Mgr Corecco aurait demandé à un prêtre, dans les derniers mois de sa vie, de supprimer des écrits «gardés dans ses tiroirs», c’est-à-dire dans son bureau privé, concernant d’autres prêtres. Les enquêteurs confirment avoir interrogé le collaborateur de l’ancien évêque, qui leur a assuré qu’il n’avait pas détruit de documents concernant des cas d’abus. Ces documents sensibles ne sont en effet jamais conservés dans le bureau de l’évêque, mais dans les archives secrètes.
Pendant l’épiscopat de Mgr Torti, un prêtre aurait également signalé à l’évêque qu’il avait détruit- selon lui par compassion – des documents concernant des prêtres sur une période d’un siècle. L’erreur n’étant pas tant d’avoir détruit les documents, une pratique autorisée par le droit canonique, mais de ne pas avoir créé un registre de ce qu’il avait enlevé, comme l’exige le droit canonique.
Mgr Zanini a toutefois précisé qu’aucune destruction de document n’avait eu lieu sous les épiscopats suivants de Mgr Pier Giacomo Grampa (2003-2013), de Mgr Valerio Lazzeri (2013-2022), ni pendant l’administration apostolique de Mgr de Raemy. Depuis la semaine dernière, tous les évêques suisses ont signé un accord selon lequel le passage du Code de droit canonique qui prévoit la destruction des documents ne sera plus appliqué.
Le rapport universitaire reconnaît que les archives du diocèse de Lugano sont en cours de réorganisation, avec l’apport d’un archiviste expérimenté et qualifié. Mgr Zanini a admis que la situation des archives était bien différente à l’époque de Mgr Corecco et Torti, le travail étant alors été confié à du personnel non qualifié. «Conformément aux souhaits des chercheurs, qui demandent plus de ressources pour ce travail, à partir du 1er octobre 2023, une personne à 60% commencera à travailler dans les archives, pour aider l’archiviste diocésain Don Carlo Cattaneo et son collaborateur actuel afin d’accélérer la réorganisation des archives», a assuré Mgr Zanini.
Mgr Raemy, «serein» quant à la procédure le concernant
A l’issue de la conférence, Mgr Alain De Raemy a invité à une réunion de prière, le 21 septembre, à Giubiasco. «Ce sera une prière d’intercession», a précisé Mgr De Raemy, «pour la conversion de la communauté ecclésiale, de ses mauvaises manières de vivre et de se comporter, et pour une aide décisive et durable pour toutes les victimes. Ce sera aussi l’occasion pour moi de rencontrer les personnes présentes et de me mettre à leur disposition pour les écouter et discuter avec elles.»
Par la suite, l’administrateur apostolique se rendra également dans chaque vicariat du diocèse avec le même objectif de rencontre et d’écoute des fidèles et de toute personne qui le souhaite.
Mgr de Raemy s’est rendu le soir du 13 septembre dans le studio de télévision du Quotidiano (RSILa1). Il y a répondu à une question sur l’enquête en cours de Rome concernant un certain nombre d’évêques suisses pour mauvaise gestion présumée de cas d’abus, indique catt.ch. L’évêque a assuré que le cas qui le concernait avait déjà été largement couvert par les médias en Suisse romande. Selon lui, l’affaire ressort maintenant uniquement parce que quelqu’un a demandé qu’elle fasse l’objet d’une enquête plus approfondie. Mgr de Raemy s’est dit serein quant à la procédure en cours. (cath.ch/catt/arch/rz)
Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.