J. R. Fracheboud: «Accueillir des chercheurs de Dieu est passionnant»
Le 10 septembre prochain marquera un tournant dans l’histoire du Foyer de Charité de Bex (VD) puisque le Père Jean-René Fracheboud, qui y a prêché des retraites durant 35 ans, quitte officiellement le lieu. Le chanoine de St-Maurice Guy Luisier lui succède. «Accueillir et rencontrer des ‘chercheurs de Dieu’ a été passionnant», explique-t-il.
«Le passage est assez rude, mais après ces longues années, j’aspirais aussi à un changement de rythme», indique le Père Jean-René Fracheboud qui a emménagé dans un appartement en ville de Monthey (VS) depuis fin 2022. Le prêtre, dont le rayonnement a dépassé le cadre du Foyer de Charité de Bex, ne conçoit pas sa «retraite comme une période où je ne ferai rien.» Il n’a pas l’intention de se murer dans le silence.
Outre quelques engagements dans la paroisse de Monthey: messes, baptêmes, enterrements, il continuera de prêcher, «d’une manière plus souple», notamment au foyer de la Flatière, près de Chamonix, en France voisine. Il accompagnera également des religieuses et répondra aux demandes d’autres foyers. Il revient pour cath.ch sur 35 ans de présence au Foyer de Charité de Bex.
Vous avez passé près de 35 ans au Foyer de Charité, qu’est-ce que vous en gardez?
Jean-René Fracheboud: Accueillir et rencontrer des «chercheurs de Dieu» a été passionnant. Les gens choisissent de venir au Foyer. D’une manière ou d’une autre, ils portent en eux un désir d’approfondissement de leur vie. Chaque rencontre est unique, le cœur de notre foi est un Dieu qui croit en l’homme, qui est venu le rencontrer, le sauver. J’ai pu vivre d’une manière très concrète cette passion en découvrant que Dieu n’est pas dans les nuages, ni extérieur, mais au cœur de l’humain avec les joies, les peines, les drames.
D’une manière plus concrète, quelle évolution avez-vous observé durant toutes ces années sur les retraitants qui sont passé à Bex?
L’évolution a été impressionnante. Au début, dans les années 1980/90, les gens qui fréquentaient le Foyer avaient un lien avec les communautés paroissiales. On avait à faire à des pratiquants qui éprouvaient régulièrement le besoin de s’arrêter pour éprouver leur mission. Depuis, les assemblées dominicales se sont réduites et les pratiquants réguliers se sont raréfiés. Il y a encore des gens engagés qui éprouvent le besoin de venir en retraite. J’ai observé un véritable glissement vers l’accueil de personnes qui reviennent d’un désert spirituel et qui ont tout à découvrir et qui sont en recherche de sens, de profondeur et de dignité. Cette évolution est très nette. De plus en plus de gens sont venus parce qu’ils étaient marqués par de grandes souffrances, par des problèmes d’identité, des cassures familiales, des difficultés professionnelles. Ils ont été amenés à s’interroger sur leur manière de vivre et la manière de trouver des forces pour continuer à mener le combat de la vie.
«J’ai observé un véritable glissement vers l’accueil de personnes qui reviennent d’un désert spirituel.»
Des gens plus en recherche spirituelle qu’en recherche de foi, de religion?
Cette recherche a plusieurs colorations. Quand on vit des drames, qu’on est confronté à la maladie, à la solitude ou à des échecs, on est appelé à se demander comment continuer. C’est assez fondamental. Derrière tout cela, ils se posent la question: «Qu’est-ce que je fais de ma vie? À quoi est-ce que je brûle ma vie?». Est-ce simplement pour se procurer un certain nombre de plaisirs et de satisfactions? Ou bien est-ce qu’il n’y a pas aussi une aspiration à rejoindre le fond du cœur qui est une recherche d’épanouissement et de plénitude? Le Christ est venu pour nous offrir un chemin de construction à ce niveau.
En 2015, à l’occasion des 45 ans du Foyer, vous disiez «Chaque année, il y a plus de monde, la fréquentation n’a cessé d’augmenter». Cette tendance s’est-elle poursuivie ces dernières années?
Au Foyer de Bex, en tout cas, la fréquentation a continué à être satisfaisante. On a vécu les années Covid, qui ont marqué un coup d’arrêt. Après la pandémie, on a ressenti quelques hésitations. Les gens ont eu de la peine à refaire une démarche. Nous avons aussi diversifié notre offre. A côté des retraites classiques, fondées sur l’intuition de Marthe Robin (qui a fondé les Foyers de Charité, ndlr), qui est de se mettre au contact de la Parole de Dieu, on a proposé des retraites itinérantes en montagne qui ont eu beaucoup de succès.
Nous avons aussi mis sur pied des marches en silence en montagne, une retraite l’été, une retraite en raquettes l’hiver. En réponse à des demandes, nous avons proposé des retraites «autrement», avec moins de prédication. Des gens ont exprimé un besoin de silence pour laisser une ou deux paroles résonner en eux. On a donc réduit la prédication au profit du silence, avec une possibilité de rencontrer le prédicateur et de vivre une retraite accompagnée.
Est-ce que cette évolution correspond aussi à la demande exprimée à l’Église de se mettre à l’écoute des gens?
L’écoute et l’accueil des gens tels qu’ils sont tout en leur donnant aussi la possibilité d’exprimer leurs attentes oriente les choses. Je vois que la prédication devient différente dès qu’on accueille les gens. Le rôle du père de Foyer ou de prédicateur est bien d’annoncer l’Évangile. Mais je passe aussi beaucoup de temps dans la journée à écouter les gens. La conjugaison des deux oriente ma prédication.
C’est aussi la chance d’une rencontre personnelle que les gens apprécient beaucoup dans un monde devenu tellement anonyme. Ces temps de rencontre personnelle avec les retraitants qui ouvrent leur cœur avec une confiance absolue m’ont touché. Ils m’ont parfois confié des souffrances très lourdes qu’ils portaient en eux depuis des années. J’ai assisté à des vraies libérations! Des guérisons qui ont permis à des gens de rebondir. A ce titre, la dimension du pardon est importante. Le sacrement du pardon est une expérience habituelle au Foyer de Charité. J’ai entendu de très belles choses à travers le sacrement de la réconciliation avec l’impression de voir des gens revivre parce qu’ils ont redécouvert un Dieu qui leur saute au cou comme le père de l’enfant prodigue.
«J’ai assisté à des vraies libérations! Des guérisons qui ont permis à des gens de rebondir.»
Comment expliquez-vous que cette recherche ne faiblisse pas dans les foyers alors que la pastorale ordinaire de l’Église s’essouffle?
La retraite offre un contexte qui permet de mieux ré-accueillir une parole. Quand je prêche en paroisse ou au foyer, j’annonce la même parole de Dieu. Je me rends bien compte que les gens qui choisissent de venir au foyer trouvent un contexte paisible et harmonieux où le silence donne une ouverture qui permet à chacun d’accueillir la semence de la Parole. Alors qu’à la messe, je dispose de peu de temps. Il y a des voies d’approche pour entrer dans nos profondeurs. Nous sommes ballotés par tous les vents. J’assiste à un éparpillement et une dislocation impressionnante de nos vies. Il faut descendre au fond de soi-même et pour cela, il faut du silence et du temps.
Des gens éloignés de l’Église y reviendraient plus facilement en passant par le Foyer?
Souvent les gens viennent au Foyer sur une recommandation de proches qui les ont encouragés à participer, à oser une telle expérience spirituelle. Parce qu’il faut risquer quelque chose pour venir en retraite: vu de l’extérieur, le silence peut faire peur. Il faut dépasser des craintes, des idées reçues, donc se mettre en condition pour vivre une expérience spirituelle. Cela suppose de descendre dans la profondeur de son être. Il y a plusieurs couches en nous. Si je ne vis qu’à la superficialité de mon être, dans la hâte et l’agitation, il est difficile d’être à l’écoute.
Vous avez prêché durant trois décennies. Par ce qu’ils vous ont confié, témoigné, les gens qui sont passés au Foyer vous ont-ils appris le Christ et la charité?
C’est sûr! On ressort différent de chaque retraite, le prédicateur y compris! Ce n’est pas simplement des idées qu’on délivre extérieurement. Pour moi, c’est une expérience vitale. Ma relation au Seigneur est marquée par toutes les rencontres vécues. Finalement, je ne suis plus celui que j’étais quand j’ai débarqué au foyer, il y a 35 ans. J’ai vécu un chemin de croissance. Aussi grâce à la prière, à l’écoute de la Parole, à la prise au sérieux des personnes en laissant l’Esprit de Dieu m’ouvrir davantage à ce qu’il voulait me révéler.
«Je ne suis plus celui que j’étais quand j’ai débarqué au foyer, il y a 35 ans. J’ai vécu un chemin de croissance.»
On peut imaginer qu’il vous a été parfois difficile de prêcher? Quand vous n’étiez pas en forme, pas d’humeur, comment avez-vous fait alors que tout le monde vous attendait?
J’ai vécu des retraites dans des périodes de sécheresse où effectivement la parole ne me disait plus rien. Quand il s’agissait de commencer une retraite dans cet état d’âme, c’était une épreuve. Je n’avais pas le choix, mais j’ai souvent remarqué, alors que je n’étais pas en forme et que je ne disais pas des choses substantielles, qu’il se passait tout de même quelque chose. L’animateur d’une retraite n’est pas le prédicateur, c’est l’Esprit-Saint! Je suis un médiateur et l’Esprit qui se sert de ce que je suis pour s’exprimer.
Parfois ce que j’ai dit était plus brillant ou plus terme, mais cela n’a pas empêché le Seigneur de parler. Même lorsque j’ai débuté des retraites difficiles où j’ai dû me secouer, assez rapidement avec la rencontre des gens, une paix revenait et le sentiment que quelque chose se passait malgré mes pauvretés. Il y a toujours eu une parole à laquelle se raccrocher pour se relancer.
Avez-vous rencontré le Christ?
Oui, je l’ai rencontré, j’ai vécu de lui. J’ai humblement été serviteur de sa Parole. Je peux dire sans triomphalisme que j’ai baigné dans la vie du Christ. Toutes ces retraites!… Il y a eu la prédication, l’annonce de la Parole, qui sont tellement importantes, mais aussi les eucharisties célébrées chaque jour, le sacrement du pardon: autant d’endroits privilégiés où j’ai touché la présence agissante du Seigneur qui nous habite et qui nous fait vivre.
«L’animateur d’une retraite n’est pas le prédicateur, c’est l’Esprit-Saint!»
Vous l’avez croisé dans ces retraitants?
C’est un regard à cultiver, à approfondir. Chaque être humain est visage de Dieu. Non seulement les proches, ceux avec lesquels on s’entend bien, mais aussi les vies particulièrement abîmées ou parfois des gens qui sont plus revêches au premier abord. Ils sont aussi enfants de Dieu. (cath.ch/bh)
> La Journée du foyer, dimanche 10 septembre dès 9h45: «Quelques raisons d’aimer le monde», prédication de Guy Luisier.