Le culte des reliques de St-Maurice inscrit au patrimoine suisse
Le culte des reliques des martyrs en Agaune, à St-Maurice, a intégré le 22 août 2023 la liste des traditions vivantes de Suisse établie par l’Office fédéral de la culture. La préservation de la procession à travers les siècles et l’attachement de la population à son égard ont plaidé en sa faveur, explique l’ethnologue Isabelle Raboud-Schüle.
Depuis plus de 1500 ans, l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais, entretient le culte des reliques du saint militaire Maurice et de ses compagnons de la légion thébaine. Ces reliques viennent principalement des sièges épiscopaux de la vallée du Rhône, mais aussi d’Irlande, d’Italie et de Terre Sainte. Chaque 22 septembre, jour de la Saint-Maurice, la châsse du saint (le reliquaire contenant les restes du martyr agaunois) figure au centre de la procession des fidèles dans le bourg.
Les chanoines de l’abbaye œuvrent activement pour préserver et mettre en valeur ce patrimoine cultuel et culturel. Une visée qui rencontre l’aval de la population locale et du canton du Valais et qui vient de recevoir une reconnaissance fédérale. Cette tradition a en effet intégré la Liste des traditions vivantes en Suisse.
L’entrée 112 de l’inventaire
En signant en 2008 la Convention du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, la Confédération s’est engagée à faire l’inventaire de ce patrimoine sur son territoire et de favoriser son maintien. En collaboration avec les cantons, l’Office fédéral de la culture a établi en 2012 la Liste des traditions vivantes en Suisse.
Celle-ci a été réactualisée en 2017 en tenant compte des propositions de la population et vient de l’être à nouveau. Avec 29 nouvelles entrées, la liste compte désormais 228 traditions. Et à l’entrée 112, on trouve dorénavant «le culte des reliques des martyrs en Agaune».
La demande est partie de l’Abbaye de St-Maurice elle-même. Elle a ensuite été étudiée par le Service culturel du Valais, qui l’a présentée à son tour à Berne. Membre de la Commission suisse pour l’UNESCO, Isabelle Raboud-Schüle explique toutefois que ce n’est pas la manifestation religieuse en tant que telle qui est ainsi valorisée, mais une tradition culturelle toujours vivante.
Durée dans le temps et soutien populaire
Ce culte des reliques perdure sans interruption dans la ville valaisanne depuis plus de 15 siècles, l’âge de l’abbaye. La population de la ville, et plus largement du canton, lui est très attachée. Ces mêmes critères avaient été mis en avant lors de l’inscription sur la liste suisse de la Fête-Dieu à Savièse, dans le Valais, ou de la Saint-Nicolas à Fribourg, précise Isabelle Raboud-Schüle.
«Dans le cas de St-Maurice, la préservation des châsses et du rite de la procession est supervisée par les chanoines. Mais ceux-ci sont de moins en moins nombreux. Le dossier présenté par le Service culturel du Valais indique que la population du lieu est vraiment motivée à préserver une tradition dont elle est fière. La transmission du culte des reliques est maintenue aujourd’hui grâce aux laïcs, pratiquants ou pas, qui participent à la procession. Cela dépasse le rite religieux et cela crée du lien entre la société civile et la société religieuse», commente l’ethnologue.
Un avis partagé par Alexia Coutaz, responsable de la culture et du patrimoine à l’abbaye, qui a porté le projet. «St-Maurice est inscrit dans l’ADN cantonal. S’il n’y avait pas une volonté populaire de préserver ce lieu et le culte des reliques, ceux-ci n’auraient jamais traversé 1500 ans. C’est le culte le plus ancien d’Occident dans un même lieu!»
Un sentiment d’identité et de continuité
Pour faire partie du patrimoine culturel vivant, une tradition doit forcément rester stable, tout en trouvant un nouvel écho au sein d’une population. Le texte de la Convention de l’UNESCO insiste sur cet aspect. «Le patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.»
Être inscrit sur la liste des traditions vivantes de Suisse n’est donc pas un achèvement. L’avant et l’après, autrement dit l’ensemble du processus, a son importance. En tant qu’ancienne directrice du musée gruérien de Bulle, mandaté par le Canton de Fribourg pour répertorier ces traditions dans le canton, Isabelle Raboud-Schüle en témoigne: «Une demande d’inscription est forcément accompagnée de recherches historiques. Souvent une association se crée autour du projet, pour tenir à jour les connaissances, les transmettre et les valoriser. Un réseau se met en place, qui permet à la tradition de perdurer tout en évoluant. Les historiens et les musées y jouent un rôle actif. Ils font beaucoup pour valoriser ce patrimoine auprès du grand public et des acteurs culturels.»
L’ouverture aux autres traditions
Bien sûr, poursuit-elle, cette reconnaissance officielle procure de la fierté à une région, un pays, mais elle permet aussi de porter l’idéal qui sous-tend la Convention de l’Unesco. «L’intérêt est de créer une solidarité entre porteurs des différentes traditions. Que chacun reconnaisse les traditions des autres et essaye de comprendre quel sens elles ont pour une population donnée.» (cath.ch/com./lb)
Le carillon valaisan reconnu comme une tradition vivante suisse
A l’entrée 35 de la Liste des traditions vivantes de Suisse établie par l’Office fédéral de la culture, figure dorénavant le carillon valaisan, encore pratiqué dans certains clochers du canton. «Toutes les cloches du clocher, en moyenne de 3 à 6, sont configurées pour sonner à la volée, et en même temps, une corde de traction peut être attachée à leur battant. (…) Les cordes se rejoignent en un point central du clocher. À partir de là, un sonneur de cloches peut jouer des séquences mélodiques ou rythmiques sur toutes les cloches reliées. Les cordes des battants peuvent être actionnées avec les mains, mais aussi avec les coudes ou avec des pédales», détaille un document publié sur le site du canton du Valais. «La proximité de l’aire culturelle romane et la piété catholique à la campagne ont peut-être contribué au désir d’utiliser les cloches pour jouer des mélodies. (…) Les chants sont en partie inspirés par le chant grégorien, pour la plupart simples et populaires, et pouvaient donc également être joués sur des cloches sans grand appareil polyphonique. Dans les régions protestantes par contre, de telles traditions ne se trouvent guère.» LB