Le Vatican, nid d’espions?
Le «procès Becciu», dont la dernière phase doit se dérouler fin août 2023 au Vatican, se veut la vitrine du «grand nettoyage» de l’administration du petit Etat. La procédure a toutefois révélé une véritable «culture de l’espionnage», dont le solide ancrage au sein de la Curie apparaît problématique.
«Je l’ai fait, et je le referais si nécessaire». La phrase lancée en mars 2023 lors du procès dit «de l’immeuble de Londres» par l’actuel substitut de la Secrétairerie d’Etat du Vatican, Mgr Edgar Pena Parra, a provoqué des froncements de sourcils chez de nombreux observateurs. Le haut fonctionnaire du Vatican voulait parler de ses activités investigatives douteuses dans le cadre de l’affaire de malversation financière qui agite le micro-Etat depuis quelques années. Des démarches comprenant notamment des surveillances illégales de personnes impliquées.
L’image du Vatican en jeu
Mais pourquoi le prélat vénézuélien de 58 ans, nommé par le pape François en 2018, paraît-il si serein et confiant sur ses manquements aux réglements internes? Il ne l’a certes pas expliqué, le procès ne portant pas sur cet aspect particulier de l’affaire.
Mais les rapports des nombreuses heures d’auditions ont donné un éclairage inédit sur les modes de fonctionnement au sein de l’administration vaticane. Ils esquissent un univers où bien souvent «la fin justifie les moyens», et où le cadre légal apparaît au mieux comme une ligne de conduite à appliquer seulement «en temps normal».
«Le procès a produit des témoignages instructifs, en dépeignant notamment le Vatican comme une sorte de ‘foyer d’espionnage’»
Le Vatican est, depuis des décennies, connu pour ses scandales de corruption. Un phénomène à mettre bien sûr en relation avec l’environnement italien dans lequel le micro-Etat est inséré. Le tissu socio-économique dans certaines parties de la Péninsule intègre, encore de nos jours, des fonctionnements «alternatifs» au regard de l’Etat de droit. Le Vatican a naturellement subi cette influence. Mais «la tête de l’Eglise» a le devoir d’être un modèle de moralité, également sur le plan financier. Le rétablissement de cette image est l’une des missions endossées par François en montant sur le Trône de Pierre.
Procès «vitrine»
Le «procès Becciu», qui a mis pour la première fois des hauts fonctionnaires du Vatican sur le banc des accusés, est censé ainsi être le fer de lance de cette nouvelle «tolérance zéro» sur les malversations financières.
Ouvert en juillet 2021, la procédure vise dix personnes, dont le cardinal Angelo Becciu, ancien substitut de la Secrétairerie d’Etat. Les dix personnes ont été inculpées pour avoir utilisé «l’argent du pape» dans des investissements opaques concernant un immeuble de Sloane Avenue, à Londres.
Le procès en est à sa dernière pause, avant que les avocats de la défense ne fassent leurs plaidoiries après les vacances d’août et que les juges ne se réunissent pour examiner leur verdict.
Espionnage tous azimuts
Mais, alors que les juges et les avocats sont préoccupés par les éléments liées à des actes d’accusation tentaculaires, le procès a également produit des témoignages instructifs, en dépeignant notamment le Vatican comme une sorte de «foyer d’espionnage», remarque le vaticaniste américain Ed Condon dans une analyse du média The Pillar.
L’une des histoires les plus saillantes concerne un «ping-pong» d’accusations d’espionnage entre d’un côté le premier auditeur général du Vatican, Libero Milone, et de l’autre le cardinal Becciu et le chef de la Gendarmerie vaticane, Domenico Gianni. Libero Milone, qui se décrit comme celui qui a «découvert le pot aux roses», a été remercié par son chef de l’époque, Angelo Becciu, en 2017. Le cardinal a expliqué son licenciement par le fait que l’auditeur aurait espionné les affaires financières privées de hauts fonctionnaires du Vatican, dont lui-même.
Une accusation que Libero Milone a démentie, affirmant qu’il ne faisait que «suivre l’argent», selon le mandat que lui avait confié le pape de réorganiser les finances curiales et mettre fin aux décennies de corruption et de scandales qui avaient entaché les pontificats précédents.
Libero Milone a assuré que son bureau était sur écoute et que les ordinateurs et les téléphones de son équipe étaient sous surveillance. Des observations qu’il a signalées à la police de la Cité du Vatican, sans obtenir de réponse. Une passivité qu’il a expliquée par le fait que le chef de la police, Domenico Gianni, était lui-même visé par son enquête. Ce dernier a ensuite démissionné pour des raisons indépendantes de l’affaire.
Les méthodes «peu catholiques» du cardinal
Le cas a mis en lumière, entre autres, que le cardinal Becciu n’était pas complexé de faire appel à des réseaux de renseignements personnels. Cette orientation a même pris un tour rocambolesque avec les informations délivrées sur Cecilia Marogna. Cette analyste géopolitique autoproclamée a travaillé pendant des années comme «agent secret privé» du cardinal. Elle aurait notamment agi comme intermédiaire pour la libération d’une religieuse enlevée au Mali. Une opération prétendument approuvée par le pape. Ce qui a été démenti à la fois par les services de renseignement italiens et par le pape François.
«La réalité inconfortable est que le procès actuel a mis à nu une culture d’espionnage privé»
Ed Condon
Cecilia Marogna a également déclaré avoir constitué pour le prélat sarde des «dossiers» sur les manquements moraux privés de hauts fonctionnaires du Vatican. Travail pour lequel ni elle ni le cardinal n’ont fourni de justification légale, note Ed Condon. L’Italienne a également, au cours du procès, fait des déclarations digne de romans de gare, en affirmant avoir des liens avec des affaires aussi diverses que la «Loge P2», la disparition d’Emmanuela Orlandi, ou encore les ‘Vatileaks’.
Au cours du procès, il a en outre été découvert que le cardinal Becciu avait organisé des enregistrements secrets du pape lui-même discutant de secrets d’État – un crime grave en vertu des lois sur la sécurité nationale de la Cité du Vatican.
Les substituts se suivent et se ressemblent
Autant de relents «sulfurés» qui ont fini par arriver aux narines du Saint-Père, provoquant la démission d’Angelo Becciu, en 2018. Le pape l’a alors remplacé au poste de substitut de la Secrétairie d’Etat par l’archevêque Edgar Peña Parra. Il était plutôt logique, à ce moment-là d’imaginer le Vénézuélien en grand chevalier blanc redresseur de tort. Or, ce dernier «semble avoir suivi de près les traces de son prédécesseur», relève The Pillar.
Des méthodes peu orthodoxes de Mgr Parra, qui n’est pas sur le banc des accusés, sont en effet apparues dans le processus d’enquête sur l’immeuble de Londres. Sans entrer dans les détails de cette affaire très complexe, il est apparu que l’actuel substitut aurait engagé des prestataires extérieurs pour le protéger d’une éventuelle enquête interne et pour organiser la surveillance électronique extra-légale d’autres fonctionnaires à des fins de représailles.
Mais plutôt que de nier ces allégations ou de présenter une excuse pour avoir agi en dehors de la loi, le Vénézuélien a totalement assumé ses agissements, assurant même être prêt à les réitérer.
Quel Etat de droit?
Ed Condon s’étonne ainsi que, pour le moment, aucune mesure n’ait été prise ni aucun chef d’accusation retenus contre le substitut, ni contre les autres «maîtres espions» de la Curie. «Qu’est-ce que cela nous dit sur l’état de l’État de droit au Vatican?», s’interroge ainsi le journaliste américain. Dans le cas d’Angelo Becciu, il est possible que l’accusation estime avoir déjà suffisamment de charges contre le cardinal et qu’il faille laisser le procès en cours se dérouler avant de décider d’en ajouter de nouvelles.
«Tant que des fonctionnaires pourront se vanter de bafouer la loi et de poursuivre leurs propres opérations de renseignement privé, certains concluront que rien n’a réellement changé au Vatican»
Ed Condon
«Mais la réalité inconfortable est que le procès actuel a mis à nu une culture d’espionnage privé, d’écoutes illégales et de mépris désinvolte de l’État de droit au plus haut niveau du pouvoir au Vatican», commente Ed Condon. Et tout cela dans une «relative impunité».
Test fondamental
Alors que de nombreux observateurs du Vatican ont qualifié le procès «d’historique» et de test fondamental du système judiciaire de la cité-État, la culture de l’espionnage mise en lumière par le procès «soulève de réelles questions quant à la crédibilité du gouvernement dirigé par le Saint-Siège», relève le vaticaniste.
Si les procureurs parviennent à obtenir des condamnations, en particulier à l’encontre du cardinal Becciu, certains considéreront cela comme la preuve que la réforme et la responsabilité sont enfin arrivées au Vatican. «Mais tant que des fonctionnaires comme Edgar Peña Parra pourront se vanter de bafouer la loi et de poursuivre leurs propres opérations de renseignement privé, d’autres en concluront que rien n’a réellement changé au Vatican», conclut Ed Condon. (cath.ch/thepillar/ec/arch/rz)