Nadine Manson

L'inhumain est humain

Longtemps je trouvais cet adjectif parlant: inhumain. Face à l’inadmissible, alors comme un dédouanement moral, l’on qualifiait d’inhumain telle exaction ou tel comportement.

Ainsi une espèce de détachement s’opérait entre l’atrocité de la chose jugée et soi-même. C’est inhumain donc loin de ce que je suis, moi l’humaine.

De surcroît si je suis de celle qui condamne cet acte et le classe dans la catégorie de l’inhumain, alors sans nul doute je ne fais pas partie et je m’extrais de toute solidarité avec cette inhumanité. Je n’appartiens pas à l’inhumanité, la preuve je la dénonce et je définis par la même ce qu’est la véritable humanité.

La lecture du livre de l’archéologue et anthopologue Ludovic Slimak, paru en mai 2023, intitulé Le dernier Néandertalien, a aiguillonné mon décryptage de notre humanité. Il avertit dès les premières pages que son ouvrage sera teinté de tristesse. Amusant, me suis-je dit. En quoi, un archéologue grattant la terre pour y découvrir de vieux os, pourrait-il aboutir à un triste constat. Qu’y aurait-il en jeu de si actuel qui puisse être qualifié de triste? Surtout que j’avais choisi son essai suite à un article affirmant que cet anthropologue Slimak révolutionnait les acquis et représentations des scientifiques.

En fait, la révolution venait plus de sa révélation: avoir écrit clairement et  sans ambages sur cette théorie – déjà défendue par nombre de ses pairs et collègues. Vous savez, c’est l’air du temps! Depuis des mouvements tels que MeToo, BlackLivesMatter, notre époque déconstruit des conventions et des habitudes ancrées profondément dans nos schémas de pensée et nos traditions de vie. Cette déconstruction n’est cependant pas inédite. Elle couvait. De nombreux adeptes la défendaient mais écrasés par la majorité qui pensait autrement, elle n’avait pas voix au chapitre. Que ce soit la question du statut des femmes ou celle du racisme. Des partisans ont toujours été défenseurs de ces causes, ils n’avaient simplement ni le pouvoir ni l’audience. Tout comme les humanités plus égalitaires qui ont croisé Sapiens et l’ont payé de leur extinction.

«Le Sapiens choisit les cas où la violence semble gagner sur toute autre forme de relation»

Slimak, lui, se permet de revisiter les origines de la suprématie de l’homo sapiens, le mal nommé. En effet, ce Sapiens, triste constat, ne prévaut pas face aux autres espèces humaines en raison de sa sagesse, nullement mais en raison de sa violence. De sa capacité, devrais-je plutôt dire, de sa propension à écraser l’autre dans la violence. Une autre espèce se développe et prône une égalité entre les genres (la découverte de vestige humain autour des rites funéraires appuie ce constat) le Sapiens l’écrase violemment et instaure cette terrible loi du plus fort.

Slimak précise que le Sapiens est un imitateur. Il reproduit ce qu’il voit. C’est-à-dire qu’il apprend en observant. Et le Sapiens choisit les cas où la violence semble gagner sur toute autre forme de relation. Semble gagner, là, notre actualité entre Poutine et le monde prend tout son sens. La violence est un mode privilégié par le Sapiens, il veut, il prend avec violence.

Triste constat.

Et comme si la désolation de ce jugement n’était pas suffisante, Slimak ajoute que le Sapiens dans sa volonté de reproduction des actes dominants, dans son besoin de se standardiser confère à notre humanité, certes sa force la plus profonde, mais a contrario également son talon d’Achille. Cette nature du Sapiens, notre nature humaine victorieuse de toutes les autres humanités anéanties par notre violence annonçait les horreurs en devenir et les dystopies les plus sombres.

«Les Dix Commandements, le sommaire de la loi, sont des flammèches d’espoir face à un Sapiens ivre de domination»

Seul l’humain peut faire disparaître l’humain, conclut-il. L’inhumain est bien humain. J’ai achevé le livre de cet archéologue avec un arrière-goût amer dans la gorge. Les inégalités entre genre, les inégalités liées à la couleur de peau, tout cela repose sur cette nature du Sapiens. Mon Dieu! La terre, notre monde au lieu de s’abîmer en guerre et de s’épuiser en discrimination et violence en tous genres, notre monde aurait pu utiliser son énergie à développer le bien-être, notre science serait-elle plus avancée parce que tournée vers autre chose que la domination? Ces questions resteront des énigmes.

Une consolation a alors éclos: les Dix Commandements. A la lumière de ce triste constat de Slimak, ces Dix Commandements – presque ringardisés dans nos sociétés occidentales obsédées par le rendement – ces Dix Commandements me sont apparus comme une brèche dans la nature profonde du Sapiens. Le sursaut de lucidité face à la violence innée et démesurée de notre humanité. Heureusement, tu ne tueras point, parce que le Sapiens tue pour s’approprier les choses qu’ils convoitent. C’est sa nature !

Je ne peux pas prouver Dieu. A mes yeux, pourtant, une telle sagesse insufflée dans une nature humaine originellement si violente, barbare et sauvage relève de la grâce divine. Des femmes et des hommes ont été touchés, visités par une autre manière d’exister, d’être en relation, de considérer le monde. Et les Dix Commandements, le sommaire de la loi, sont des flammèches d’espoir face à un Sapiens ivre de domination.

Nadine Manson

16 août 2023

Selon certains anthropologues, l'homme de Néandertal aurait été exterminé par l'homo sapiens | © Gianfranco Goria/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0
16 août 2023 | 07:40
par Nadine Manson
Temps de lecture : env. 4  min.
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