Chemin de Cluny: deux temples «romans» 4/6
Je trouve le temple au centre du village de Corcelles (NE), rue de la cure. On y accède, à l’est, par un escalier qui donne sur le jardin entouré de haies. Les employés de la voirie achèvent de toiletter les abords du temple, le gazon et les parterres de fleurs. La souffleuse finit par se taire et le lieu retrouve son calme. Le soleil est entré en résistance dans un ciel qui se voile inexorablement.
L’entrée dans le temple procure une agréable sensation de fraicheur alors que la matinée est déjà chaude. Me voici au départ de l’étape Corcelles – Bevaix, sur le chemin de Cluny.
Je me trouve à l’endroit où était autrefois établi un petit prieuré, fondé en 1092 par «un certain Humbert». La documentation décrit l’homme comme un «personnage important» qui fit don à l’abbé de Cluny, entre autres, de l’église qui se dressait là à l’origine, de l’usage des forêts, de terres agricoles, d’un droit de levée de filets dans le lac et de serfs.
Les bâtiments comprenaient l’église originelle et la maison du prieur qui se trouvait à l’emplacement de la cure actuelle. Là vivaient le prieur et une dizaine de moines. En 1220, le monastère passa au couvent de Romainmôtier. Les prieurs y résidèrent jusqu’au milieu du 15e siècle. Souvent absents, ils mirent leurs biens en amodiation (sous-traitance des activités liées au prieuré). Vers le 16e siècle, les bâtiments, sans véritable entretien, tombèrent en ruine.
Un curé devenu pasteur?
La réforme prêchée le 23 octobre 1530 par Guillaume Farel amena la sécularisation du monastère et ses biens furent partagés entre les sires de Neuchâtel, seigneurs du lieu, et ceux de Colombier. L’église devint un temple.
La légende veut que le dernier curé de Corcelles en fut aussi le premier pasteur. Une confusion sur le nom de Jean Droz en est sans doute à l’origine. La nomination par Farel, en 1532, de Jacques Lecoq comme pasteur est en revanche avérée. (Pour aller plus loin: Robert/Les 900 ans de la paroisse de Corcelles-Cormondrèche).
L’abside romane a été remplacée au 12ème siècle par un chœur quadrangulaire. Le clocher de l’église se dresse dans le village avec ses abat-sons. On peut aussi remarquer les fonts baptismaux romans. La nef a été complétée d’une chapelle due à la famille Barillier au 15e ou au début du 16e siècle. Vu de l’extérieur, le temple enchâssé dans le jardin et collé à la cure, paraît petit, l’intérieur est en fait assez spacieux.
Je quitte le temple pour laisser la voiture à la gare. Je me fie au gps de mon smartphone pour trouver un itinéraire qui s’approche le plus de celui proposé sur le site des Chemins de Cluny. Le chemin n’est pas balisé et je n’aurai pas le temps de parcourir les 15 km de cette étape. Je trouve 8,8 km en presque deux heures. Une bonne alternative… d’autant qu’il fait chaud. Le soleil ne se conforme pas à la météo qui le prévoyait faiblissant au fil de la journée.
Un beau panorama
A la sortie de Corcelles, le gps m’envoie sur la route cantonale. Fréquentée en ce début d’après-midi, elle est bruyante, certes, mais elle offre un beau panorama sur les vignes et le lac de Neuchâtel. La route file en parallèle du littoral. Je bifurque vers Colombier et j’y trouve un peu de calme. En direction de Boudry, je quitte rapidement Colombier, mais le trottoir laisse place à un talus, puis il faut marcher sur la chaussée. Cela se complique quand deux murs assez hauts, délimitant des parcelles de vignes, bordent la chaussée qui est devenue étroite. Je n’ai plus de visibilité dans les courbes et, surtout je ne suis pas vu des automobilistes. Trop dangereux. Je dois faire demi-tour.
Le gps s’obstine à me donner cet itinéraire. Un rapide examen de la carte ne donne pas d’autres solutions que de prendre le train pour éviter de refaire le chemin jusqu’à la route que j’ai quittée trois quarts d’heure plus tôt. En deux minutes, je suis dans les hauts de Boudry. Belle vue sur les vignes et les montagnes. Le chemin passe l’Areuse et serpente au milieu du vignoble où l’on s’active malgré la chaleur. Le bruit de l’eau qui s’écoule procure un peu de fraicheur. Le vert vif des feuilles tranche avec le ciel blanchâtre. L’itinéraire que je suis n’a quasiment pas de tronçon à l’ombre et, malgré un voile de nuages, le soleil tape. Une autre voie était possible au départ de Corcelles, plus à l’ouest et, semble-t-il, plus proche de la forêt. J’aurais peut-être eu moins chaud.
Une bonne montée, unique difficulté d’un parcours très facile, m’amène sur un plateau, au milieu des champs. Je longe la voie ferrée et j’entre à Bevaix vers 15h. Le gps n’a pas menti sur l’estimation du temps de trajet, malgré le détour.
Une abbaye en ruines
J’ai rendez-vous au café-restaurant du Cygne avec Jacques Laurent, le président du conseil de la paroisse réformée de Bevaix. Le jeune retraité, énergique et chaleureux, évoque d’emblée l’histoire du temple dont l’origine est étroitement liée à l’abbaye de Bevaix, historiquement antérieure, située à un kilomètre à l’est. Nous nous y rendons.
Ce qui est à l’origine un prieuré est fondé en 998 par Rodolphe, probablement apparenté à la famille des rois de Bourgogne. Après l’approbation du prieuré, dédié à saint Pierre puis plus tard à saint Étienne, par l’évêque de Lausanne, Rodolphe le remet à l’ordre de Cluny. Il dote ce prieuré d’importants territoires non seulement à Bevaix, mais également à l’entrée du Val-de-Travers, dans l’ancienne commune de Brot, ainsi qu’au Val-de-Ruz, à Saint-Martin.
Malgré les terrains et l’exploitation de vignes, le monastère ne connaît pas le développement espéré. En difficultés financières et sans protecteur fort, il est rattaché à l’abbaye de Romainmôtier vers 1139. Faute d’entretien, le prieuré tombe en ruines et demeure inoccupé à partir du XVe siècle. Un tremblement de terre en 1605, suivi d’un incendie, achève de ruiner les bâtiments.
Il ne reste quasiment rien de l’église, excepté un pan de mur rougi par la chaleur du feu. «C’est de la pierre d’Hauterive et cet aspect rougi atteste de l’incendie», indique Jacques Laurent. Il a appelé Alexandre Dubois, actuel locataire des lieux qui nous reçoit pour une visite au débotté. «Ce qui fut l’église est actuellement une grange qui a été construite en 1644», explique notre hôte. Le cloître a fait place à une cour d’entrée. En 1577, une maison est construite pour le vigneron. Elle sera reconstruite en 1894, puis fera place en 1949 à une belle salle de réception utilisée par le Conseil d’État neuchâtelois pour ses invités de marque. L’ensemble a gardé l’appellation d’abbaye.
«Le lieu a été repris par l’État de Neuchâtel en 1665 qui en a fait un fermage. Différentes familles s’y sont succédé. Notre famille exploite le domaine depuis 1864», précise Alexandre Dubois en faisant le tour des bâtiments. La vue sur le lac et les vignes en contre-bas est imprenable.
Une église issue du prieuré
En revenant au temple de Bevaix, on fait un nouveau saut dans le temps. Ce qui est devenu un temple au passage à la réforme, en 1631, fut bâti entre 1505 et 1506 au moment où le prieuré est tombé en ruine. Les pierres ont notamment servi à l’édification de l’église et des éléments ont été réutilisés: «le baptistère, une niche, des arcs de voûte, la clé de voûte du chœur et le beau portique d’entrée de style roman proviennent de l’église du prieuré», précise Jacques Laurent. Le village s’est ensuite développé autour de l’église.
En quittant le lieux, mon hôte fait remarquer que la grille qui donne accès au jardin, autrefois un cimetière, date de 1760 et des murs d’enceinte ont été ajoutés. Mon périple s’achève à la gare de Bevaix. Le train me ramène à Corcelles, point de départ de mon étape. (cath.ch/bh)
La via Cluny en Suisse romande
La nouvelle exposition CLUNY #TOUSCONNECTÉS, à l’abbatiale de Payerne, met en valeur le réseau formé par les sites liés à la célèbre abbaye française. L’occasion pour cath.ch de vous proposer sa série d’été, qui fera découvrir diverses étapes de la «Via Cluny» en Suisse romande.