Travaux d’Hercule pour le système bancaire
La Commission d’enquête parlementaire(CEP), récemment nommée, est chargée de faire la lumière sur la débâcle du Crédit suisse et les éventuelles responsabilités publiques en la matière. C’est un travail extrêmement difficile car il s’agit d’expliquer pourquoi la législation qui a fait suite à la crise financière de 2008 n’a pas fonctionné, mais aussi de se prémunir contre une éventuelle faillite de l’UBS, faillite que la Suisse n’aurait pas la capacité d’assumer.
Pour répondre aux deux questions, il faut revenir à l’essence même du métier de banquier. Celui-ci est un intermédiaire entre les déposants et les emprunteurs. Il collecte des dépôts pour les placer avec intérêts.
Le plus grand risque de ce métier est la fuite des déposants et donc le retrait des dépôts. C’est ce qui s’est passé pour le Crédit suisse en deux vagues, d’abord durant l’automne 2022, puis en février et mars 2023. Une telle sortie des dépôts marque une profonde défiance. Elle est le signe que la banque a manqué à ce qui fait le fondement du métier c’est-à-dire le respect des déposants. C’est un comportement gravement immoral et signe d’une lourde incompétence. Malheureusement, il n’existe aucune loi qui sanctionne l’immoralité et l’incompétence en la matière.
Cette dérive, qui a consisté à placer l’argent des dépôts dans des placements qu’il faut qualifier de «casinos», a pris naissance aux Etats-Unis dans les années 1980 avec la déréglementation des marchés financiers. Est apparue alors une finance fondée sur des modèles statistiques de probabilité, complètement déconnectée de la réalité de l’économie. Cette déconnexion était justifiée par les grandes banques parce qu’elle rapportait beaucoup d’argent. Celui-ci était devenu une fin en soi et non un moyen de développement. Nous payons aujourd’hui cette déconnexion et ce déni de la réalité qui a accéléré de façon exponentielle les écarts de richesse à l’intérieur des pays.
Que peut proposer la CEP face à ce constat? Une première recommandation serait de limiter les incitations à l’immoralité comme les super-bonus que se sont versés les dirigeants du Crédit suisse au cours des 10 dernières années (32 milliards). L’argent facile est à l’évidence un pousse-au-crime. Mais malheureusement, les conseils d’administration et les assemblées d’actionnaires ne sont pas un garde-fou contre les super-bonus dans le cas des grandes banques multinationales. Il est donc nécessaire que l’organisme chargé de la supervision des banques (la FINMA) puisse limiter les bonus en fonction des résultats réels des institutions.
«En tant qu’instrument de paiement, la monnaie est un bien public»
Une autre recommandation serait la suivante. La FINMA pourrait prendre des mesures d’urgence en cas de crise, mesures allant jusqu’à la sanction des banques. Mais cette idée est illusoire. En cas d’effondrement d’une banque, la seule institution qui a les moyens de réagir avec promptitude et de rassurer les déposants est la Banque Nationale. Ce fait a été déjà été constaté en 2008 pour l’UBS. Il l’a été de nouveau pour le Crédit suisse. Dans le cas d’une fuite des dépôts, des interventions de la FINMA ne seraient pas à la mesure du problème.
La dernière recommandation possible serait la séparation de la banque en deux sociétés coiffées par une holding. D’une part une banque de détail qui se livrerait aux opérations courantes de prêt et de dépôt. Cette banque bénéficierait de la garantie de la Banque Nationale. D’autre part une banque d’investissement qui placerait l’argent des clients qui le souhaiteraient sur les marchés financiers internationaux, mais qui ne bénéficierait pas de cette garantie. En conséquence, cette banque serait obligée d’avoir une gestion du risque rigoureuse car elle agirait sans filet étatique.
Cette recommandation serait combattue par les milieux financiers car elle conduit à une réduction sensible de la part de la finance spéculative dans le bilan de la banque. Elle irait donc à l’encontre du mouvement de dérégulation des marchés financiers qui s’est développé dans les années 1980-1990. Elle a pourtant un précédent: les réformes du président Roosevelt en 1933 pour stabiliser le dollar et enrayer la cascade de faillites qui minaient le système financier américain. Les banques de dépôt se sont vues interdire d’intervenir en bourse. Roosevelt avait raison dans le contexte de son époque et ses mesures ont atteint leur but. En tant qu’instrument de paiement, la monnaie est un bien public. L’Etat a le devoir de protéger la valeur du franc d’éventuels défauts bancaires.
Jean-Jacques Friboulet
26 juillet 2023
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