«L’Église ne doit pas laisser les couples livrés à eux-mêmes»
Préparer les couples au mariage, c’est bien. Les accompagner ensuite c’est mieux. Telle est la conviction de Gabriella Gambino. Dans un entretien à I.MEDIA, la sous-secrétaire du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie revient sur l’attention que l’Église doit apporter aux couples.
Propos recueillis par Cyprien Viet/I.Média
Dans la lignée des deux assemblées synodales sur la famille menées au début du pontificat du pape François et de son exhortation apostolique Amoris Laetitia, publiée en 2016, le Vatican cherche à faire «infuser» de nouvelles pratiques dans l’accompagnement des couples, explique Gabriella Gambino, qui est elle-même mariée et mère de cinq enfants.
Dans cette perspective, les Itinéraires catéchuménaux pour la vie conjugale, publiés en juin 2022, présentent de nombreuses propositions pour inciter les paroisses et les mouvements chrétiens à accompagner les couples dans leur préparation au mariage et dans le déploiement de leur vie conjugale, dans une dynamique de fidélité et d’ouverture à la vie. Le Pacte familial mondial – ou Global Family Compact – publié en mai 2023, tout en élargissant les perspectives, prolonge également cette thématique en insistant sur la formation des couples et leur témoignage chrétien dans des sociétés pluralistes, et parfois indifférentes.
L’accompagnement des couples, avant et après le mariage, est-il une pratique pastorale nouvelle dans l’histoire de l’Église?
En soi, l’accompagnement pastoral de la célébration du mariage et l’aide aux époux pour mener une vie chrétienne étaient déjà prévus par le Code de Droit Canonique, mais en tant que «pratique pastorale», cela ne s’est imposé que récemment. Dans son exhortation Amoris Laetitia, le pape François invite l’Église à reconsidérer avec soin et attention le parcours des couples qui cherchent à vivre le sacrement du mariage. Le pape, faisant écho à Familiaris Consortio (exhortation apostolique publiée par Jean-Paul II en 1981, ndlr), voit dans cette pratique une clé pour aider les nouvelles générations à comprendre ce que les familles essayaient autrefois «normalement» de transmettre à leurs enfants, à savoir l’importance et la signification de se marier et de fonder une famille.
«Le mariage est une véritable vocation, comme le sacerdoce, qui exige un discernement adéquat avant, mais aussi après, pour accompagner les époux»
L’accompagnement sur la durée des couples n’était pas une nécessité imposée à l’attention de l’Église, car il se produisait spontanément dans la vie quotidienne des familles et des communautés chrétiennes. Aujourd’hui, la sécularisation et les défis anthropologiques et culturels qui influencent la vision que nos enfants ont du mariage et de la famille nous obligent, en tant qu’Église, à travailler différemment au niveau pastoral, en offrant un accompagnement spécifique, avant et après le mariage.
Il faut surtout une annonce différente, centrée sur la nécessité de faire comprendre que le mariage est une véritable vocation, comme le sacerdoce, qui exige un discernement adéquat avant le mariage, mais aussi après, pour accompagner les époux dans toutes les étapes de la vie conjugale. Nous ne pouvons plus préparer les couples uniquement à la célébration du rite, mais nous devons les accompagner dans la vie conjugale.
Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons réduire le nombre élevé de mariages s’avérant nuls qui sont encore célébrés aujourd’hui par manque de consentement. Il s’agit aussi de faire découvrir la beauté d’une vocation à des jeunes qui, autrement, choisiraient de vivre en concubinage, et de soutenir les époux dans le sacrement, en évitant qu’ils ne se séparent au bout de quelques années. Nous devons prendre soin des époux, tout comme nous prenons soin des prêtres et de leur vocation tout au long de leur vie.
«Les époux doivent avoir des rôles et des responsabilités dans les équipes pastorales dédiées à l’accompagnement du sacrement du mariage»
La responsabilité des prêtres dans l’accompagnement des couples devrait-elle être mieux prise en compte dans leur formation initiale, dans les séminaires, mais aussi dans leur formation continue?
Je voudrais tout d’abord souligner la complémentarité et la coresponsabilité, au sein de l’Église, entre le sacrement de l’ordre et le sacrement du mariage. Tous deux sont des dons que le Seigneur accorde «pour l’édification du peuple de Dieu». Les prêtres et les époux sont appelés à travailler ensemble, de sorte que l’accompagnement des couples n’incombe pas seulement aux prêtres, mais aussi aux époux, et c’est à cette fin que les époux devraient avoir des rôles et des responsabilités dans les équipes pastorales dédiées à l’accompagnement du sacrement du mariage.
Cela dit, il est certainement nécessaire d’assurer une formation permanente et adéquate des conjoints et des prêtres, comme le prévoient les Itinéraires catéchuménaux pour la vie conjugale. Tant dans les séminaires que dans les cours de formation pour les laïcs, il est nécessaire d’approfondir le sens du sacrement du mariage et de l’action de grâce.
J’insiste ensuite sur la nécessité pour les séminaristes d’avoir une expérience de la pastorale familiale dans les paroisses et les communautés, dès le séminaire, car il ne suffit pas d’étudier le sacrement du mariage en théorie pour pouvoir accompagner de manière adéquate les jeunes, les fiancés et les couples mariés. Le manque de formation, d’une part, et de pratique pastorale, d’autre part, est l’une des raisons pour lesquelles très peu de couples sont accompagnés spirituellement aujourd’hui.
De nombreuses études montrent que de plus en plus de jeunes ont peur de l’engagement. La mise en place d’un «catéchuménat du mariage» peut-elle être considérée comme une réponse à une crise spirituelle et anthropologique, ainsi qu’au risque d’effondrement démographique dans certaines régions du monde?
Le «catéchuménat matrimonial» est proposé comme un «remède à long terme» à la cause de ce que vous avez appelé une «crise spirituelle» et une «crise anthropologique», en offrant une vision chrétienne du mariage comme vocation, en commençant par les enfants, auxquels le mariage doit être explicitement annoncé. Le catéchuménat, en effet, en tant que chemin d’accompagnement dès l’enfance prévoit également une plus grande attention pastorale à l’éducation des enfants et des jeunes à la sexualité et à l’affectivité.
«Être chaste ne signifie pas être privé de quelque chose, au contraire, c’est la plus haute expression de notre liberté»
Il est urgent de promouvoir et de diffuser des programmes, déjà existants mais peu connus, pour aider les parents et les éducateurs à accompagner les enfants dans le développement d’une sexualité plus saine, équilibrée et sereine, clairement inscrite dans un horizon conjugal et d’ouverture à la vie. Les jeunes doivent pouvoir découvrir, avec le témoignage de couples chrétiens, que l’accueil de la vie dans le mariage est le plus grand cadeau qu’ils puissent recevoir. La peur d’avoir des enfants «au mauvais moment», pour des raisons économiques, sociales ou culturelles, et le recours à l’avortement et aux pratiques contraceptives doivent être affrontés par une formation intégrale des jeunes, d’une part dans le respect de la vérité de la sexualité humaine, et d’autre part dans le respect de toute vie humaine dès sa conception.
Dans les Itinéraires catéchuménaux pour la vie conjugale, nous pouvons lire : «La chasteté enseigne aux mariés les temps et les modes de l’amour vrai, délicat et généreux, et les prépare au don authentique de soi à vivre dans le mariage pour toute leur vie». Comment faire comprendre cette notion dans une culture qui valorise le concept de plaisir immédiat?
Être chaste ne signifie pas être privé de quelque chose, au contraire, c’est la plus haute expression de notre liberté par rapport à tout type de conditionnement, «c’est en effet le moyen privilégié d’apprendre à respecter l’individualité et la dignité des autres, sans les subordonner à ses propres désirs», est-il indiqué dans les Itinéraires catéchuménaux , qui relèvent aussi que «la chasteté doit être présentée comme une authentique ›alliée de l’amour’, et non comme sa négation».
Un passage de Patris corde (la lettre apostolique du pape François sur saint Joseph publiée en 2020, ndlr) nous permet de bien comprendre la portée de cette vertu : «La chasteté est le fait de se libérer de la possession dans tous les domaines de la vie. C’est seulement quand un amour est chaste qu’il est vraiment amour. L’amour qui veut posséder devient toujours à la fin dangereux, il emprisonne, étouffe, rend malheureux. […] La logique de l’amour est toujours une logique de liberté».
En effet, vivre l’engagement dans la chasteté libère les jeunes pour approfondir leur relation humaine, spirituelle et affective et pour prendre des décisions sans conditionnement et sans illusions induites par une intimité physique totalisante, qui en réalité ne correspond pas à un choix total et définitif, qui n’a pas encore été fait.
«La célébration des anniversaires de mariage est un témoignage fort de fidélité pour les jeunes et la communauté»
Peut-on ou doit-on encourager un rituel de «renouvellement des vœux de mariage» après 5 ans, 10 ans, 50 ans, etc. dans la liturgie de la messe dominicale pour montrer que l’amour durable existe et lui donner un fondement spirituel, communautaire et social?
La célébration des anniversaires de mariage, en particulier des anniversaires les plus importants,ainsi que la proposition de renouveler les vœux de mariage, sont indiquées dans les Itinéraires catéchuménaux comme un outil pastoral à privilégier. C’est un moment où les époux peuvent à nouveau exprimer, avec un engagement renouvelé, leur promesse mutuelle, en se sentant partie intégrante d’une communauté qui célèbre et partage la joie de leur cheminement.
En ce sens, ils sont aussi un témoignage fort de fidélité pour les jeunes et la communauté. Les couples doivent avoir le courage de demander à célébrer ces anniversaires et à vivre des moments privilégiés pour renouveler leurs vœux de mariage. Malheureusement, dans la vie pastorale de l’Église, ils ne sont pas très courants, et c’est à nous, laïcs, d’encourager leur pratique. (cath.ch/imedia/cv/bh)