Humanæ Vitæ, encyclique contestée mais «prophétique»
La « dimension prophétique » de l’encyclique Humanae Vitae, doit être réinvestie pour faire face aux défis anthropologiques actuels, estime le cardinal Luis Ladaria Ferrer, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi. L’encyclique publiée par Paul VI en 1968, surtout connue pour avoir établi le refus de la pilule contraceptive par le Magistère, était au centre d’un colloque organisé les 19 et 20 mai 2023 à l’université Augustinianum, à Rome.
Plus de 400 personnes provenant de 10 pays, parmi lesquelles de nombreux Français, participent à cette rencontre organisée autour du thème ›Mon corps m’appartient – Humanae Vitae : l’audace d’une encyclique sur la sexualité et la procréation’. Le colloque n’est pas directement promu par le Vatican mais il est organisé par la Chaire de bioéthique Jérôme Lejeune, basée en Espagne, avec des antennes en France et en Argentine.
Dans une lettre lue au début du colloque par la journaliste Costanza Miriano, le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, a encouragé le développement d’une pédagogie vouée à expliquer efficacement cette encyclique souvent incomprise.
Le cardinal italien a relevé « la distance entre les interrogations du magistère de l’Église à l’égard de la génération de la vie et le vécu quotidien de la société en général », en soulignant que les interrogations sur « l’éthique sexuelle » ont été nombreuses dans les réunions de préparation au Synode actuel.
En remarquant le « renouvellement des perspectives » entretenu actuellement par certaines associations théologiques, le cardinal Zuppi a invité les participants à ce colloque à affronter ces questions « dans une perspective d’ensemble et avec la nécessaire attention aux changements qui se sont réalisés ces dernières décennies, pour réaffirmer la vérité de l’Église ».
Dans le contexte des bouleversements culturels et technologiques qui ont transformé « l’ordre naturel de la procréation », le cardinal Zuppi a invité à réfléchir à partir d’Humanae Vitae pour « favoriser la compréhension du lien entre la sexualité, l’amour conjugal et la génération, qui est apparu plus clairement à la lumière de la perspective personnaliste », a-t-il souligné.
La « radicale actualité » de Humanæ Vitæ selon le cardinal Ladaria
Seul responsable de la Curie romaine physiquement présent au colloque, le cardinal Luis Ladaria Ferrer, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF), a pour sa part souligné que Humanae Vitae offre « une doctrine que nous ne devons pas seulement conserver, mais qui se propose pour être vécue ».
Il a ainsi relevé la « radicale actualité » de l’encyclique de Paul VI pour faire face aux défis anthropologiques actuels, alors que la pensée contemporaine tend à promouvoir un « dualisme, dans laquelle le corps se trouve réduit à une pure matérialité » et devient un « objet susceptible de manipulation ».
Ainsi, après la baisse des naissances et la multiplication des avortements, l’euthanasie en vient à s’imposer dans certains pays au nom d’une fausse idée de la « compassion » qui ne s’exprime plus en combattant la maladie mais en « éliminant le malade », s’est attristé le cardinal Ladaria Ferrer, qui a vu son propre pays d’origine, l’Espagne, légaliser l’euthanasie en 2021.
Dans le même mouvement de fond qui se constate dans de nombreux pays occidentaux, l’idéologie du genre et le transhumanisme promeuvent une « exaltation de la liberté, sans relation avec la vérité », présentant « le désir et la volonté comme les garants ultimes des décisions humaines », a expliqué le cardinal. Il a vu dans la diffusion de ces modes de pensée l’expression d’une « anthropologie anhistorique, qui cherche seulement le moment présent, une anthropologie du carpe diem».
Le contrepoint de Mgr Paglia
Dans un entretien à Vatican News, Mgr Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la Vie, qui n’a pas participé au colloque alors qu’il est responsable de ces thèmes au Vatican, s’est pour sa part dit « d’accord avec tous les passages d’Humanae Vitae ». Il a cependant invité à relire cette encyclique « de manière transversale », à la lumière de la pastorale familiale promue par ses successeurs, notamment le pape François dans Amoris Lætitia.
L’archevêque italien a demandé de ne pas focaliser le débat sur « la pilule », dont il a rappelé qu’elle était perçue au sein d’une partie du monde catholique comme « le mal absolu dans les années 1960 ». Il a considéré que « la spirale des conflits, des armes », ou encore « la protection de l’environnement » représentent aujourd’hui « des défis encore plus grands » pour « la vie de l’humanité entière ».
Une nouvelle génération découvre Humanae Vitae
Interrogée par I.MEDIA, Aude Dugast, porte-parole francophone de ce colloque, remarque la « belle surprise » de voir de nombreux jeunes participants, venus seuls ou, pour certains, en couple ou en famille. « Ils ont trouvé dans cette anthropologie de l’amour, du corps, de la famille, une pensée qui leur parle, qui les fait vibrer, qui leur donne un chemin pour la vie », se réjouit-elle.
D’autres jeunes sont venus par curiosité et découvrent « quelque chose de nouveau pour eux, car cette nouvelle génération n’a pas vécu l’idéologie soixante-huitarde. Ils sont donc très réceptifs », souligne Aude Dugast. Si une intervenante, la théologienne Michele Schumacher, a souligné le risque de « schisme silencieux » manifesté par des sondages qui montrent une banalisation de la contraception, une créativité se fait jour parmi les jeunes catholiques pour remettre en lumière les exigences liées à la transmission de la vie.
Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, considère qu’aujourd’hui, « au début du XXIe siècle, nous sommes davantage concernés par cette encyclique ». Reconnaissant que ce texte suscite encore de nombreux débats au sein de l’Église, il considère que « c’est normal qu’il soit critiqué. Mais il n’est jamais trop tard pour essayer de le faire comprendre », confie-t-il.
Il rappelle que cette encyclique « ne se réduit pas à une interdiction de la contraception. C’est un texte sur le langage de l’amour, qui doit tenir son discours jusqu’au bout. Si on retire à ce langage sa signification, on arrive à des dérives », souligne-t-il.
Les débats actuels sur la démographie et la baisse des naissances, un thème récemment abordé par le pape François lors des États généraux de la natalité en Italie, montrent aussi la « portée prophétique » de l’encyclique Humanae Vitae, selon Jean-Marie Le Méné.
Paul VI y souligne notamment « le très grave devoir de transmettre la vie », sur deux arguments essentiels : une raison spirituelle, car « les enfants de Dieu sont appelés à faire des enfants de Dieu », mais aussi une raison naturelle : « l’homme a besoin de perpétuer son espèce », insiste Jean-Marie Le Méné. (cath.ch/imedia/cv/mp)