Aux Etats-Unis, les prêtres voleurs ont souvent sévi  durant des années | DR
Suisse

Pourquoi des prêtres volent-ils?

La chronique est régulièrement défrayée par des cas de prêtres coupables de vols ou de détournement de l’argent de l’Eglise. Comment ces gardiens de la foi en arrivent-ils à trahir le 7e commandement de Dieu?

Pourquoi les prêtres volent-ils? Telle est la question sur laquelle s’est penchée une très sérieuse étude américaine. Ses conclusions valent peu ou prou pour l’Eglise universelle.

Les prêtres qui volent sont souvent motivés par le ressentiment, l’envie et la volonté de couvrir d’autres manquements moraux, estime une récente étude américaine, publiée dans le numéro de janvier-juin du Journal of Forensic and Investigative Accounting et recensée par le site catholique The Pillar.

Si la confiance accordée aux prêtres et la faiblesse des organes de surveillance facilitent le passage à l’acte, on ne peut pas cependant considérer que la profession attire particulièrement les escrocs.

Les chercheurs Robert Warren et Timothy J. Fogarty ont rassemblé des informations sur les délits financiers commis par des prêtres catholiques américains au cours des six dernières décennies. Ils ont examiné les facteurs environnementaux et personnels, afin de comprendre comment les curés peuvent être tentés par la criminalité financière dans leurs paroisses.

Le triangle de la fraude

Leur analyse porte sur le cas d’une centaine de prêtres reconnus coupables de vols ou d’escroquerie depuis 1963  aux Etats-Unis. L’étude vise à évaluer les délits à la lumière de ce que les chercheurs appellent le «triangle de la fraude»: pression, opportunité et rationalisation. 

«Les prêtres ont la possibilité de voler non seulement une fois, mais aussi de continuer au fil du temps»

Plus de 90% des prêtres exerçaient un ministère paroissial au moment où ils ont commis leurs délits, d’un montant moyen de près de 230’000 dollars, sur une période moyenne de six ans.

Dans tous ces cas, notent les auteurs, l’occasion de voler correspond aux conditions d’activité des prêtres exerçant un ministère paroissial, avec non seulement la possibilité d’agir une seule fois, mais aussi de continuer avec succès au fil du temps.

L’analyse retient quatre méthodes principales:»Prendre directement de l’argent de la collecte dominicale ou du tronc des pauvres; contraindre des paroissiens âgés et vulnérables (principalement des femmes veuves) à donner de l’argent à la paroisse ou au prêtre personnellement sous divers prétextes; détourner des chèques à l’ordre de la paroisse vers des comptes non paroissiaux; se faire rembourser indûment des dépenses personnelles sur les finances paroissiales.

Une détection et une prévention trop faibles

Les auteurs pointent la faiblesse des moyens de prévention et d’enquête au sein de l’Eglise. Le droit canonique donne au curé le contrôle exclusif des finances de la paroisse, même s’il est obligé de les utiliser pour le bien de la communauté. Ainsi, il peut unilatéralement ouvrir des comptes bancaires, distribuer des fonds et vendre des biens.

«La détection est laissée au hasard. Seuls 29,5 % des cas de fraude ou de vol ont été découverts au cours de contrôles financiers»

Les conseils paroissiaux, composés de bénévoles, ont tendance à assurer un contrôle uniquement formel, approuvant systématiquement les actes du prêtre considéré comme une personne au-dessus de tout soupçon, indique le rapport. Du côté des responsables diocésains, on attend des paroisses qu’elles soient autonomes. Elles ne font dès lors pas l’objet de contrôles réguliers.  

Selon le rapport, la détection est laissée au hasard. Seuls 29,5 % des cas de fraude ou de vol ont été découverts au cours de contrôles financiers au niveau de la paroisse ou d’un audit diocésain de routine. Près de la moitié des cas étudiés ont été révélés par des dénonciateurs, des opérations d’infiltration ou des enquêtes extérieures.

Les données suggèrent que la prêtrise n’attire pas les fraudeurs intentionnels, ni ceux qui sont prédisposés au vol. Les cas examinés ont eu lieu après une moyenne de plus de deux décennies dans le ministère, et à un âge moyen de 52 ans.  

Le premier vol

Dans la population générale, les facteurs qui peuvent pousser à commettre un premier délit financier sont une nécessité matérielle soudaine, comme la perte d’un emploi et la difficulté à subvenir aux besoins essentiels d’une famille. Mais ces éléments ne concernent pas, a priori, les prêtres catholiques.

«Dans plus de la moitié de cas, il s’agit d’obtenir un train de vie supérieur et de donner l’apparence de la réussite matérielle»

Il faut donc chercher les motivations ailleurs. Le besoin de ressources financières pour couvrir d’autres manquements moraux, généralement d’ordre sexuel, revient dans près de 12% des cas. De l’argent a été prélevé pour soutenir des «relations illicites». Les dettes de jeu apparaissent dans 8,4% des cas.

Mais en dehors des besoins aigus, il s’agit, dans plus de la moitié de cas, d’obtenir un train de vie supérieur et de donner l’apparence de la réussite matérielle.

Le ressentiment personnel, première cause de vol

Bien qu’aux Etats-Unis, les prêtres diocésains bénéficient d’une série d’avantages, notamment le logement et la pension, l’assurance maladie, une indemnité de voiture et un plan de retraite, leur niveau de rémunération les place à peine au-dessus du salaire minimum pour un travail assez exigeant et précédé de longues études, relève le rapport. D’où parfois un sentiment d’injustice et d’envie. Le prêtre voleur estime alors ne prendre que ce qui lui est dû.

Beaucoup de ces prêtres ont utilisé les gains mal acquis pour acheter une deuxième ou une troisième maison. Dans un petit nombre de cas, les prêtres ont déclaré qu’ils essayaient d’assurer leur propre retraite. 

«Quelques prêtres ont utilisé leurs gains mal acquis pour soutenir des membres de leur famille ou des organisations caritatives»

Dans la mesure où les curés se considèrent souvent comme des ›entrepreneurs indépendants’, ils sont plus enclins à s’opposer à l’autorité hiérarchique au nom d’une vision personnelle de ce qui est dans le meilleur intérêt de leur ›clientèle’, note l’enquête.

Parfois au profit d’actions caritatives

Dans un petit nombre de cas, les fonds paroissiaux volés et détournés n’ont pas été utilisés au profit du prêtre qui les a perçus. L’étude rapporte les cas de sept prêtres qui ont utilisé leurs gains mal acquis pour soutenir des membres de leur famille ou des organisations caritatives à l’étranger.

Crime et châtiment

Les auteurs soulignent que même lorsque les prêtres sont pris et condamnés, les longues peines sont l’exception plutôt que la règle. Dans de nombreux cas, les prêtres ne font l’objet que de mesures disciplinaires de la part des autorités ecclésiastiques. Près d’un tiers de ceux qui ont été condamnés au pénal ont ensuite pu reprendre leur ministère. «L’opportunité est favorisée par la conscience probable que ceux qui sont détectés ne seront pas sévèrement punis et qu’il n’y aura pas de conséquences importantes pour leur réputation», relève l’étude.

Selon les conclusions du rapport, les clercs criminels financiers ont en commun l’isolement, la désaffection à l’égard du ministère et une relation désordonnée avec les structures ecclésiastiques. Outre la nécessité d’améliorer les mécanismes de contrôle et de responsabilité financière, l’étude souligne l’importance d’une formation spirituelle et personnelle continue des prêtres tout au long de leur ministère. (cathch/thePillar/mp)

Quelques cas en Suisse

Si l’enquête concerne les Etats-Unis, ses conclusions peuvent assez bien s’appliquer à quelque cas survenus en Suisse ces dernières années.
Un escroc de haut vol
Un de cas les plus flagrants de prêtre malhonnête en Suisse est celui de l’ancien official du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). Il a été condamné en juin 2011 à 30 mois de prison, dont dix ferme, pour escroquerie, abus de confiance et faux dans les titres. Ce Péruvien d’une soixantaine d’année avait détourné entre 1993 et 2001 un demi million de francs, aux détriments de l’évêché de LGF, de la Fondation Marguerite Bays, de sa pupille et de couples souhaitant faire reconnaître la nullité de leur mariage. On a également appris qu’il avait falsifié ses diplômes universitaires. Devant la gravité des faits, il a été renvoyé de l’état clérical en 2010.

Il est facile de subtiliser l’argent des quêtes | DR


Un prêtre tessinois a volé ses propres parents
Plus proche dans le temps, un prêtre tessinois a été condamné le 9 mars 2022 par le Tribunal de Lugano à 33 mois de prison, dont six ferme. Le curé de Cadro, près de Lugano avait soutiré plus de 800’000 francs à des institutions et à ses propres parents. Une grande partie (500’000 francs) de l’argent a été versée à un ami du prêtre, avec lequel il entretenait une relation. Celui-ci a dépensé la somme au jeu. L’ami en question a été condamné dans un procès séparé à vingt mois de prison avec sursis.
Accro au jeu
L’ancien curé de Küssnacht (SZ), accro aux tables de jeu, passera par la case prison. Le tribunal correctionnel de Lucerne l’a condamné le 27 juin 2022 à une peine de trois ans de prison dont six mois ferme pour escroquerie par métier, faux dans les titres et abus de confiance. Entre 2009 et 2018, le curé, âgé de 51 ans, avait soutiré des prêts d’un montant total de 3,3 millions de francs à environ 70 personnes. Un argent qu’il avait dilapidé au Casino de Constance.
Gestion déloyale
Pour des montants bien moindres, on parle ici de quelques milliers de francs, le Ministère public valaisan a ouvert, en mai 2022, une enquête pour gestion déloyale des intérêts publics contre le curé du val d’Hérens. C’est le diocèse de Sion qui a prévenu la justice. Le diocèse avait été alerté lui-même par le secrétariat de ces paroisses, qui a constaté de possibles irrégularités lors du dernier contrôle des comptes. 
Des emprunts ‘caritatifs
Dans un registre un peu différent, un religieux établi à Fribourg avait emprunté, de 2010 jusqu’à sa mort en 2012, à ses amis et connaissances, plusieurs dizaines de milliers de francs pour venir en aide à des personnes toxicomanes en difficulté contre l’illusoire promesse d’un héritage. MP

Aux Etats-Unis, les prêtres voleurs ont souvent sévi durant des années | DR
10 avril 2023 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 7  min.
escroquerie (13), Etats-Unis (539), Prêtre (131), vol (33)
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