21 décembre 2017 : Portrait de Mgr Michel AUPETIT, nouvel archevêque de Paris. Paris (75), France.
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Mgr Michel Aupetit : «Nous devons réapprendre à être fils»

Au-delà de la question des abus, le cléricalisme est un mal pour l’Église. Dans son livre Paternité et cléricalisme (Ed. Artège), Mgr Michel Aupetit plaide pour envisager autrement la relation prêtre–laïcs, sachant que Dieu n’est pas Père à la manière des hommes.

Archevêque émérite de Paris depuis fin 2021, Mgr Michel Aupetit est actuellement membre du Dicastère pour les Évêques, à Rome. Il réside toujours à Paris, d’où il développe ses différents projets, dont la rédaction de son dernier ouvrage Paternité et cléricalisme, publié aux éditions Artège et sorti en mars 2023. Interview.

Dans votre livre, vous évoquez la complexité de la paternité…
Mgr Michel Aupetit: On nous appelle ‘Père’ ou ‘Monsieur l’abbé’. Alors ce qui m’a toujours taraudé, c’est cette phrase de Jésus: «N’appelez personne ‘père’, car il n’y a qu’un seul Père, qui est aux cieux». Que veut dire cette paternité? Comment est-elle apparue dans l’histoire et la société des hommes? Et, enfin, comment avons-nous compris que Dieu était Père? Ce qui n’est pas évident dans les autres religions. Jésus nous apprend aussi à dire Notre Père.

Le fait de se faire appeler ‘père’ serait une usurpation…
En tant que prêtres, cette paternité ne nous met pas en surplomb et ne nous donne aucun pouvoir, sinon de réaliser aujourd’hui par le Christ ce que le Père fait, c’est-à-dire, engendrer à la vie éternelle. Engendrer à la vie éternelle, par le don de la grâce que donnent les sacrements. C’est par cela que l’on manifeste l’unique paternité de Dieu.

«La vocation de tous les chrétiens est d’être au service de la vocation des autres.»

La fraternité est essentielle. Nous sommes tous fils et filles de Dieu. Pourtant Jésus ne nous appelle pas ‘frères’, mais ‘mes amis’. Je ne connais aucune autre religion où Dieu nous appelle ‘mes amis’. La fraternité est un premier pas, mais il faut choisir de devenir amis: de se mettre au même diapason spirituel que nos frères et sœurs, et d’être là au service des autres. La vocation de tous les chrétiens, et particulièrement des prêtres, est d’être au service de la vocation des autres. De faire émerger leurs charismes et talents.

Comment concevoir cette paternité de Dieu?
Dans la Bible, la figure paternelle de Dieu n’est pas seulement masculine. Chez Isaïe, Dieu est décrit comme une mère qui console. La miséricorde, rattachée à la paternité, c’est rahamim en hébreu, qui vient de Rehem, c’est-à-dire l’utérus, le lieu où la vie croît. La paternité de Dieu, «l’engendrement à la vie», se place aussi bien sur le plan féminin que sur le plan masculin.

«Si nous n’avons pas eu de bonnes relations avec notre père, la paternité de Dieu va mal passer».

En faisant une projection de notre propre papa, si nous n’avons pas eu de bonnes relations avec lui, la paternité de Dieu ne va pas bien passer. C’est pour cela qu’il ne faut pas penser la paternité de Dieu comme une projection de nos expériences personnelles. Il faut devenir père comme Dieu est père, que l’on soit père de famille ou prêtre, d’ailleurs. Dans le cas contraire, c’est une perversion et c’est là que s’installe le cléricalisme; lorsqu’on ne comprend pas cette paternité.

Quelle posture de ‘père terrestre’ le prêtre devrait-il adopter?
Le père d’un petit enfant a tout à lui apprendre et à lui donner des règles précises. Le père de l’adolescent va l’aider à trouver son identité. Les prêtres n’ont pas à être pères de cette manière. Comme père d’adulte, en revanche, le prêtre peut écouter, accompagner, encourager. Je crois que c’est cette paternité-là, si l’on s’en rapporte à la paternité humaine, qu’il faut que nous, prêtres, déployions.

Comment définissez-vous le cléricalisme?
Le cléricalisme, c’est confondre la fonction et la vocation. La vocation, c’est l’appel de Dieu. La fonction, c’est quelque chose dont je m’empare et que j’impose à tous. Une étude sur la santé des prêtres a été faite en France. Beaucoup sont en burn-out. Les raisons habituelles sont le surmenage ou la dépersonnalisation. Dans le cas des prêtres, les causes les plus fréquentes sont la mésestime de soi. Les prêtres accumulent des choses à faire, or quel est le moment où ils passent du temps gratuitement? La gratuité, c’est de permettre aux prêtres de vivre pleinement de vraies relations. 

«La personne du prêtre n’est pas plus sacrée que celle de tous ces frères».

Si le sacerdoce confère au prêtre d’être une présence sacrée du Seigneur, ce n’est pas pour cela que sa personne est plus sacrée que celle de tous ces frères. Même si nous sommes ordonnés au nom du Christ – et tout baptisé devrait pouvoir le constater –, c’est pour servir le Christ. Avant d’être prêtre, nous sommes diacres, c’est-à-dire au service des autres (en grec: diaconia). Il faudrait encourager à mettre en œuvre ce diaconat chez les séminaristes, non seulement en faisant des études intellectuelles, mais en allant dans des endroits où l’on s’occupe vraiment des personnes blessées ou en précarité. Non pour être en surplomb, mais pour vivre avec ces personnes et découvrir leurs richesses.

Mgr Aupetit (à Lourdes): «Le prêtre devrait se comporter comme un père d’adultes: être là pour écouter, accompagner et encourager | DR

Est-ce que la tentation du cléricalisme concerne aussi les laïcs ou les consacrés?
Heureusement, les laïcs reçoivent des missions. S’ils ne peuvent pas administrer des sacrements, ils peuvent être responsables de communauté. Cette responsabilité est un service. Que l’on soit prêtre, consacré ou laïc, si cette responsabilité n’est plus un service mais un lieu de pouvoir, c’est une cléricalisation.

Que répondre aux fidèles qui mettent, ou qui ont besoin de mettre le prêtre en surplomb?
La personne du prêtre n’est pas forcément sacrée. Ce qui est sacré, c’est l’acte du Christ en lui, c’est quand le Christ agit par lui pour faire du bien, pour donner la vie, les sacrements. L’humanité a toujours eu besoin de ‘sacré’, de quelque chose de plus grand qu’elle. Il ne faut pas enlever le sens du sacré, mais le réajuster sur l’œuvre du Christ qui est sacrée. Nous sommes tous sacrés, car nous sommes devenus enfants adoptifs de Dieu par notre baptême. Et quand nous sommes ordonnés, nous avons reçu un don de Dieu particulier pour servir nos frères dans une œuvre sacrée, mais non pour être sacralisés nous-même en tant que tel.

«Être père, ce n’est pas être possesseur de la vie que je transmets».

Quels seraient vos conseils pour combattre le cléricalisme ?
Nous devons d’abord réapprendre à être fils. Être fils, c’est reconnaître que je reçois ma vie d’autrui, et quand je deviens père, je me rends compte que je ne suis pas possesseur de la vie que je transmets. En tant que père de famille, je transmets la vie organique. En tant que prêtre, je transmets la vie éternelle.

Vous abordez aussi, dans votre livre, un équilibre à trouver entre les différents états de vie…
Quand nous sommes baptisés, nous sommes marqués par l’onction comme prêtre, prophète et roi. Or, dans l’Ancien Testament, ces trois fonctions étaient séparées. Le roi David n’est ni prêtre, ni prophète. Il y a bien un lien entre les trois, mais le peuple hébreu attendait un messie, qui serait prêtre, prophète et roi. C’est ce que nous, chrétiens, croyons que Jésus réalise véritablement – prêtre, prophète, roi – et c’est aussi ce dont nous sommes marqués à notre baptême.

«Prêtres, consacrés et laïcs : ensemble pour porter la mission.»

Il faut porter ensemble ces trois états de vie – prêtres, consacrés et laïcs – pour permettre justement de ne pas être dans un vis-à-vis clercs et laïcs pour se taper dessus, mais pour être ensemble afin de porter la mission. Trouver des règles pour travailler ensemble, de manière ajustée, sans posture, sans quelqu’un qui, a priori, doit commander.

Pour lutter contre le cléricalisme, une réflexion sur la relation homme-femme doit être menée…
J’avais fait entrer deux femmes dans le séminaire de Paris. Cela m’avait été reproché, parce que, disait-on, il n’y a que des prêtres qui peuvent former des prêtres. Mais pour le discernement des personnes, les hommes se limitent souvent à l’efficacité, alors que les femmes voient différemment et souvent plus loin. Il ne s’agit pas de prendre la place des uns pour la donner aux autres. Ce n’est pas une guerre des sexes.

«La femme est différente de l’homme, mais pas inférieure».

La femme révèle la part divine de l’homme qu’il a en lui et qu’il ne connaît pas. Et c’est vrai pour la résurrection, avec Marie Madeleine. La femme apprend aussi à l’homme à être père. Il n’y a pas de hiérarchie, la femme est différente de l’homme, mais pas inférieure. Comme en Dieu, dans la Trinité, chaque Personne est différente, sans que l’une soit plus grande que l’autre. Et c’est ensemble qu’ils font communion. Quand Dieu dit, «faisons l’homme à notre image, homme et femme», c’est justement pour une communion dans l’altérité.

Pour un couple marié, c’est évident. Pour les consacrés et les prêtres, dans leur relation avec les femmes, c’est différent et plus compliqué. Il faut réfléchir, de manière à avoir une véritable amitié ajustée, ce qui va nous permettre une communion spirituelle au service du peuple de Dieu. (cath.ch/gr)

AUPETIT Michel (Mgr),
Paternité et cléricalisme. Il faut repenser la relation entre laïcs et prêtre, éditions Artège, Perpignan, 2023.

21 décembre 2017 : Portrait de Mgr Michel AUPETIT, nouvel archevêque de Paris. Paris (75), France.
29 mars 2023 | 17:07
par Grégory Roth
Temps de lecture : env. 7  min.
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