Le pape François a accordé une longue interview à la Radio Suisse Italienne (RSI) | capture d'écran RSI
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Pape François: «Les Suisses ont une très belle humanité»

Dans une interview exclusive donnée le 12 mars 2023 à la Radio-Télévision Italienne (RSI), le pape François s’est montré très élogieux vis-à-vis de la Suisse. Il a également expliqué les raisons de son attention aux pauvres et aux migrants, tout en dénonçant le fléau de la guerre, de la cupidité ou encore de la pédophilie.

La Suisse «a une personnalité propre, mais universelle», a déclaré le pape François au journaliste tessinois Paolo Rodari. L’équipe de la RSI a disposé de plus de trois quarts d’heure pour interroger le Saint-Père, à la résidence Ste-Marthe, sur des sujets très divers, avec comme fil rouge les 10 ans de son pontificat.

Au-delà des thèmes déjà abordés dans de précédentes interviews, il s’exprimait pour la première fois sur ce que lui inspire la Confédération helvétique. «J’aime les Suisses», a-t-il ainsi assuré. «C’est curieux: chaque région a sa propre personnalité, les Tessinois sont plus proches de nous (de l’Italie, ndlr), ceux qui viennent de Genève sont plus Français, et ceux qui viennent de la partie alémanique ont encore une autre personnalité. Mais tous sont bons, les Suisses ont une très belle humanité», a-t-il assuré.

«Nous sommes tous pécheurs»

Jorge Mario Bergoglio a raconté s’être rendu une première fois en Suisse lorsqu’il étudiait en Allemagne. Il a passé une seconde fois les frontières helvétiques lors de sa visite au Conseil Oecumémique des Eglises (COE), à Genève, en 2018. Il assure que son opinion favorable envers les Suisses lui vient en particulier de son contact avec les gardes. «L’autre jour, j’étais avec un bon groupe qui travaille à la construction de la nouvelle caserne pour les gardes du Vatican, a-t-il expliqué. Il y avait deux anciennes présidentes suisses, dont Doris Leuthard, des ‘gens bien’» (l’autre «présidente» était Ruth Metzler, ndlr).

N’exclure personne

De manière générale, le pontife a affirmé aimer rencontrer les personnes et échanger avec elles. Il regrette ne pas pouvoir le faire aussi souvent depuis qu’il est pape. «Je marchais beaucoup, a-t-il assuré à Paolo Rodari. Dans les banlieues, je prenais le bus. Je prenais le métro, le bus, toujours avec des gens».

Il a rappelé sa «préférence pour les laissés-pour-compte, les nécessiteux», notamment les migrants. C’est en se rendant à Lampedusa, l’île italienne où débarquent de nombreux migrants, au début de son pontificat, qu’il s’est pleinement rendu compte du «drame de la Méditerrannée».

«C’est à cela que servent les guerres, à tester les armements»

Le pape a ainsi souhaité que l’Église n’exclue personne. Il a déploré que «des personnes dressent encore des murs», pointant du doigt les «hommes d’Église, des femmes d’Église qui marquent la différence, qui créent une distance». Pour François, c’est «un peu la vanité du monde, de se sentir plus juste que les autres». Parce que «nous sommes tous pécheurs», a-t-il rappelé.

Le mal de l’empire

Le pape a, comme dans de nombreux autres entretiens, fustigé la guerre et le commerce des armes. Il a répété ce qu’un expert un jour lui a dit: «Si pendant un an on ne produisait plus d’armes, le problème de la faim dans le monde serait résolu. C’est un marché. On fait des guerres, on vend de vieilles armes, on en teste de nouvelles… (…) C’est à cela que servent les guerres, à tester les armements. S’ils testaient des choses de promotion humaine, sur l’éducation et la nourriture, sur la médecine…ce serait bien».

«Jésus dit qu’on ne peut pas servir deux seigneurs. (…) soit vous servez Dieu, soit vous servez l’argent»

Le pape François a rappelé sa disponibilité pour aller à Moscou «si Poutine me donnait une fenêtre de négociation». «Mais il y a là tous les intérêts impériaux, a-t-il regretté. Non seulement de l’empire russe qui est un empire depuis l’époque de Pierre II, de Catherine II, mais aussi des intérêts d’autres empires. Il existe encore des empires, et justement, le principe de l’empire, c’est de mettre les nations au second plan». Une tendance qui va à l’encontre de «ce que devraient être les Nations unies».

Le journaliste de la RSI Paolo Rodari s’est entretenu avec le pape François | capture d’écran RSI

Au-delà de l’Ukraine, le pape a tenu a relever «le conflit au Yémen, qui dure depuis plus de dix ans. La Syrie, depuis plus de dix ans. Les pauvres Rohingyas du Myanmar qui souffrent.» Pour le Saint-Père, «l’Esprit de Dieu ne guide aucune guerre», et il n’y a pas de «guerre sainte».

Le diable entre par les poches

Le Saint Père a déploré le pouvoir de l’argent. «Le pire ennemi de l’homme, ce sont les poches. Le diable entre par les poches. J’ai toujours été frappé par le fait que Jésus dise qu’on ne peut pas servir deux seigneurs. (…) Il dit soit vous servez Dieu, soit vous servez l’argent. (…) Lorsqu’une personne ne sait pas utiliser l’argent à bon escient pour l’éducation, pour la famille, pour aider les autres, et qu’elle l’utilise de manière égoïste, elle finit mal, elle finit sans Dieu, loin de Dieu, avec un Dieu qui est sa poche».

«Le prêtre est là pour faire grandir, pour sanctifier et non pour ruiner une vie»

Le pontife s’est également inquiété du changement climatique, citant les paroles d’un des plus grands scientifiques italiens: «Je me bats pour cela parce que je ne veux pas que ma petite-fille, qui est née la semaine dernière, vive dans un monde invivable d’ici 30 ans». Le pape a appelé à défendre les deux «poumons» que sont le Congo et l’Amazonie. «La déforestation est un crime», a-t-il lancé, déplorant que «nous ne sommes pas éduqués à prendre soin de la création. Nous devons apprendre à le faire. Ce n’est pas facile mais il faut avoir de la tendresse pour la création, la terre mère comme l’appellent les aborigènes».

Il s’est aussi indigné contre les abus sexuels dans l’Église, tout en relevant que ceux-ci avaient également lieu dans les familles et divers domaines de la société. «S’il n’y avait ne serait-ce qu’un abus, ce serait déjà une infamie, parce que le prêtre est là pour faire grandir, pour sanctifier et non pour ruiner une vie». Le pape s’est inquiété du fléau de la pornographie infantile, appelant à dénoncer systématiquement les cas aux autorités.

Un pontificat «en grâce»

Interrogé sur la Réforme protestante, il a assuré que l’Église avait «toujours besoin d’être réformée». «Avec de la bonne volonté, Luther et Calvin ont vécu des moments difficiles lorsqu’ils se sont séparés de l’Eglise et maintenant, grâce au dialogue œcuménique, nous faisons d’eux des frères. Grâce à Dieu, nous pouvons prier ensemble, nous pouvons faire la charité ensemble, nous pouvons voyager ensemble, cela progressivement».

Il a considéré les notions de «progressistes» et «conservateurs» dans l’Église comme «des simplifications». «C’est une façon de réduire la réalité. La réalité est beaucoup plus riche que cela», a-t-il éclairé.

Lors de l’interview, le Saint-Père est revenu de manière plutôt positive sur son pontificat, affirmant que s’il ne devait en garder qu’un mot, ce serait «la grâce». «La grâce de Dieu fait tout. (…) Je sens chaque jour que le Seigneur m’aide si je suis ouvert. Si je me ferme, il ne m’aide pas», a assuré le 266e pape de l’Eglise catholique. (cath.ch/rsi/rz)

Pour lire ou regarder l’interview (en italien)

Le pape François a accordé une longue interview à la Radio Suisse Italienne (RSI) | capture d'écran RSI
13 mars 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
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