À Francfort, au cœur de la machine synodale allemande
Le chemin synodal allemand s’est officiellement clos le 11 mars 2023, un peu plus de trois ans après son lancement. L’agence I.MEDIA, qui a assisté à la cinquième et dernière session, raconte l’atmosphère de cette assemblée qui a suscité de l’inquiétude à Rome et dans d’autres parties du monde.
C’est le bâtiment de ‘KAP Europa’ qui a été choisi pour accueillir pendant trois jours la dernière manche du ‘Synodale Weg’. Cet immeuble, moderne et tout en verre, se trouve aux pieds des célèbres gratte-ciels de Mainhattan, surnom donné à Francfort sur le Main pour souligner son statut de capitale financière de l’Union européenne.
Catering permanent et à volonté, distribution gratuite de Bible, équipements électroniques derniers cris, organisation millimétrée: l’événement de l’Église allemande, réputée très riche, n’a rien à envier à une convention organisée par une entreprise cotée en bourse. Sur décision de la Conférence des évêques d’Allemagne (DBK), le chemin synodal allemand bénéficie de fait d’un budget de 2,3 millions d’euros par an depuis 2020.
Les quelque 220 membres du chemin synodal sont présents. Une centaine d’observateurs de la société civile et religieuse allemande ou internationale ont aussi été conviés. Toutes les conférences épiscopales des pays voisins, sauf celle des Pays-Bas, ont par ailleurs envoyé un délégué. L’événement mobilise aussi une centaine de volontaires et une centaine d’employés des différents organismes catholiques allemands. Enfin, 80 journalistes sont venus couvrir l’événement.
Dans la salle du chemin synodal
À l’entrée du bâtiment, tous ont été accueillis le premier jour par d’importants groupes de pression venus adresser leurs messages aux membres du chemin synodal. Pour rentrer, tous doivent passer entre la banderole «Ne faites pas votre Luther» estampillée d’un portrait de Benoît XVI, des drapeaux LGBT et un panneau «l’Église universelle n’est pas Rome». Chacun distribue ses prospectus, crie ses slogans et côtoie son adversaire sans le moindre signe d’agressivité.
Quatre étages plus haut, la salle qui accueille les discussions a été aménagée comme un parlement anglais. Disposés à côté d’une estrade où siègent les modérateurs, responsables désignés et intervenants, les membres du chemin synodal, divisé en deux groupes, se font face. Leur placement est déterminé par ordre alphabétique, afin d’effacer toute structure hiérarchique entre les évêques, prêtres ou laïcs lors des discussions.
Ici, on parle de «chemin synodal» mais jamais de «synode», forme contrainte par le droit canonique que les évêques allemands ont volontairement refusé de convoquer pour maintenir une certaine indépendance vis-à-vis de Rome et permettre aux laïcs de voter.
Omniprésence du vote
La dimension démocratique est centrale: tous ont le même de temps de parole, minuté, et toutes les phases du chemin synodal sont encadrées par un règlement qui a été voté au début du synode. Presque tout ce qui se dit dans cette salle est soumis au vote. Pour demander une pause, pour changer une virgule dans un texte, pour prolonger les travaux dans la soirée: on vote, quitte à perdre parfois du temps à respecter les lourdeurs procédurales.
Les résultats sont adoptés à la stricte majorité pour les questions d’ordre réglementaire. Concernant les ›textes d’action’, il faut atteindre les deux tiers des suffrages pour entériner les documents qui manifestent la volonté du chemin synodal. Dans ce dernier cas, le vote des évêques doit aussi atteindre les deux tiers, sinon, il s’agit d’un véto.
Les consignes sont passées avant chaque scrutin: «Si vous votez en faveur de la motion d’amendement, pressez: ‘1’ pour oui. Sinon votez ‘2’ pour non ou ‘3’ pour vous abstenir». L’abstention joue un rôle important: les évêques y ont recours à plusieurs reprises pour manifester leur refus sans toutefois vouloir bloquer le passage des textes. Ces derniers sont pour la plupart adoptés à plus de 90% des voix. À chaque fois, les résultats sont diffusés sur des écrans géants.
Un système de vote électronique par boîtier sophistiqué et – très fiable – a été mis en place par une compagnie prestataire. Interrogé par un confrère journaliste qui lui demandait s’il était possible de truquer les résultats, un des ingénieurs en charge des nombreux scrutins a répondu avec le sourire: «Seulement si vous pouvez payer plus cher que la Conférence des évêques!»
Un débat démocratique structuré
L’agenda est respecté avec grand sérieux, malgré des retards liés à la grande participation aux discussions. Ainsi, les interventions, limitées à deux minutes, passent à une minute trente puis à une minute – après décision prise par le biais d’un vote, bien entendu.
Chaque texte – une quinzaine – est présenté par les membres du «Forum» en charge du sujet, puis commenté par un rapporteur l’ayant rédigé, et enfin, les amendements sont présentés. Le texte peut être renvoyé en seconde lecture, sur décision majoritaire. S’ensuit une longue séquence de discussions pendant laquelle chaque intervenant donne son avis sur le texte ainsi que des consignes de vote. Enfin vient le vote des amendements, un à un, puis du texte dans son ensemble.
La stratégie a toute sa place durant cette séquence: certains expliquent pourquoi ils font des concessions pour forcer l’autre partie à en faire à son tour. Les participants peuvent aussi décider de voter pour rendre public un scrutin – cela sera systématiquement fait pour chaque vote de texte.
Des règles spécifiques existent pour limiter la parole dans le cas des discussions sur les abus, pour éviter de traumatiser les victimes, même si dans l’ensemble, les discussions sont toujours respectueuses et argumentées.
De rares respirations
Quelques moments spirituels sont organisés, notamment au début et à la fin de chaque journée. Ils sont guidés par un prêtre et une laïque. Ces derniers sont souvent accompagnés d’un ensemble musical composé de trois jeunes catholiques qui chantent des psaumes et des textes de Karl Barth sur une musique électronique douce. Au milieu de la seconde journée, une messe a été célébrée par «l’équipe d’animation spirituelle» dans la salle des discussions.
Le rythme de travail est très intense: on débat parfois pendant près de trois heures sans interruption et les pauses sont limitées. Des interventions d’observateurs de pays étrangers, venant d’Italie, d’Australie, de Tanzanie ou d’Inde notamment, viennent s’intercaler entre les séquences de discussions. Enfin, des activités artistico-spirituelles ou festives sont organisées dans la soirée. (cath.ch/imedia/cd/rz)