"Les séminaires ne doivent pas être des usines à prêtres déjà beaux et prêtes", explique le cardinal Lazarus You Heung-sik, ici en 2021 | © Vatican Media
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Le cardinal You veut faire souffler un vent asiatique sur l'Église

Actuel préfet du dicastère pour le Clergé, le cardinal Lazarus You Heung-sik a publié le 1er mars 2023 Comme la foudre venant de l’Est, un court livre-entretien sur son parcours de laïc, de prêtre et d’évêque en Corée du Sud. Disponible seulement en italien aux éditions San Paolo, l’ouvrage est salué par le pape François, qui en signe la préface.

En août 2022, alors que le pape François lui remet la barrette cardinalice, Lazarus You lui déclare: «Je suis prêt à donner ma vie pour vous et pour l’Église». En recevant l’habit rouge, couleur du sang du martyre, le Coréen revient en fait aux origines de sa propre foi, mais aussi de la foi des catholiques coréens.

Lazarus You est en effet originaire d’une région de Corée où le catholicisme est apparu spontanément: quelques laïcs ont commencé à lire des ouvrages du missionnaire Matteo Ricci, puis se sont convertis. Pour beaucoup, ils furent martyrisés.

Fasciné dès son enfance par ces ›pionniers’ du catholicisme coréen, en particulier par saint André Kim, le jeune Lazarus You, originaire d’une famille très pauvre et non croyante, décide de se convertir à 16 ans, avant de convertir à son tour sa famille et ses amis. «Quand les autres voient notre joie de chrétiens, ils sont contaminés», affirme le cardinal, dont le sourire a été remarqué à la Curie.

Les conversions comme les siennes, explique-t-il, ont été nombreuses en Corée du Sud, le catholicisme étant perçu comme une alternative crédible à une culture où le confucianisme a été remplacé par un très fort matérialisme et par l’individualisme. Il remarque que, contrairement à l’image qu’on peut se faire des chrétiens en Occident, les chrétiens coréens sont reconnus dans leur pays pour avoir «beaucoup contribué à la croissance des idées de parité et de dignité de toutes les personnes».

Pour un séminaire plus ouvert sur le monde

À 18 ans, Lazarus You décide de devenir prêtre, poussé par des religieuses. Aujourd’hui responsable des séminaires du monde entier au sein de la Curie romaine, le cardinal revient dans son livre sur sa propre expérience de formation. Il confie avoir traversé une «crise» quand il s’est rendu compte que le séminaire ne correspondait pas à l’idéal qu’il avait envisagé.

Il explique avoir résolu cette tension en dehors du séminaire, lors d’une rencontre à Frascati (Italie) du mouvement des Focolari, qu’il a rejoint. Il en conclut alors que le séminaire doit être pensé comme un lieu «comme les autres» et non pas un «petit monde» fermé sur lui-même. «Les séminaires ne doivent pas être des usines à prêtres déjà beaux et prêts», insiste-t-il.

Le Coréen, qui a par la suite dirigé le séminaire de Daejeon, de 1998 à 2003, prône un retour à la «centralité de la Parole» dans une formation qu’il veut plus libre et moins «autoritaire». Il demande en outre que des femmes et des laïcs interviennent régulièrement dans les séminaires, et que soient prises en compte la maturité humaine et l’affectivité des séminaristes au cours de leur formation.

Cléricalisme et sacerdoce

Ordonné en 1979, Lazarus You affirme avoir vécu ce sacrement comme une «mort» afin de se donner pleinement à sa mission pour Dieu et pour les autres. Il considère que le prêtre ne doit pas avoir une «vision idéalisée» de son sacerdoce mais l’adapter au contexte social et culturel auquel il se trouve confronté, avec «patience».

Le cardinal You met en garde contre «la nostalgie du traditionalisme» derrière lequel se cache le «désir de retourner à une société dans laquelle le prêtre était ‘quelqu’un’». Il invite les prêtres à «avoir le courage» d’être à «contre-courant» d’une vision dans laquelle leur «autorité s’accompagne toujours de signes visibles de pouvoir et de richesse».

Les prêtres, insiste enfin le préfet, doivent faire attention à ne pas s’épuiser à la tâche, et renoncer à tout contrôler dans leur paroisse. Pour cela, ils doivent apprendre à vivre «en réseau» et non «au centre» de leur communauté.

Un évêque engagé qui n’a jamais connu son père

En 2003, le pape Jean-Paul II nomme le père You évêque coadjuteur de Daejeon – il en devient l’archevêque en 2005. Dans son ministère épiscopal, il explique avoir particulièrement travaillé à se montrer proche de ses prêtres afin de «partager vraiment la vie diocésaine».

En tant qu’évêque, Mgr You s’engage fortement en faveur du dialogue entre les deux Corées et franchit plusieurs fois la frontière avec des délégations de la Caritas coréenne, ce qui le fait passer en Corée du Sud pour un «évêque rouge» dans certains milieux. Il est aussi un grand promoteur d’un voyage du pape au delà du 38e parallèle nord.

Dans son livre, le cardinal se confie sur son père, qu’il n’a jamais connu car il a disparu quelques jours après sa naissance en 1951, en pleine guerre de Corée. Si ce dernier a été présumé mort au combat, il pourrait en fait avoir rejoint la Corée du Nord, envisage-t-il, apportant un éclairage nouveau sur son engagement.

Un cardinal asiatique au chevet du catholicisme occidental

En 2021, le pape François l’appelle à Rome pour prendre la tête du dicastère pour le Clergé. Il dit avoir été marqué lors de ses premières rencontres avec des évêques européens par leur préoccupation et leur souffrance face à la déchristianisation que connait leur pays et l’oppose au christianisme asiatique dans laquelle l’Église parvient, selon lui, à faire rencontrer «foi et culture».

Mgr Lazarus You Heung-sik, archevêque de Daejeon, à une ordination en 2022 | © Vatican Media

«Nous sommes appelés à retrouver la vigueur et l’enthousiasme d’une nouvelle annonce de l’Évangile», affirme-t-il aux évêques occidentaux, reconnaissant néanmoins qu’il n’y a pas de «recettes faciles» pour cela. Il déplore que le christianisme soit souvent trop concentré sur les normes et «aspects extérieurs et organisationnels», ce qui lui fait perdre «sa saveur».

Le cardinal You invite donc les chrétiens à faire «un peu d’autocritique» et à se mettre à l’écoute de son époque pour trouver des nouvelles voies d’évangélisation. «En Occident, le catholicisme a peut-être besoin de nouvelles lectures de la réalité et de la vie des personnes, pour reformuler la demande sur Dieu dans un mode nouveau», avance-t-il.

Le préfet met enfin en garde contre les querelles stériles, affirmant par exemple que la question des couples divorcés-remariés doit être envisagée «selon l’unique valeur absolue qui est l’amour». «Dans l’Église, nous devons nous souvenir de ceci: il est mieux d’être imparfaits dans la communion que d’être parfaits dans la désunion», insiste-t-il, donnant comme modèle les premières communautés chrétiennes apparues après la mort de Jésus.

Adoubé par le pape François

Le pape François, dans sa préface à l’ouvrage, invite à suivre le chemin tracé par ce livre pour se «décentrer, en faisant un voyage vers l’Orient». Il loue en particulier le «nouveau style de vie spirituelle et ecclésiale» de celui qu’il a créé cardinal en août 2022, considérant qu’il «peut revigorer notre foi» .

Visiblement fasciné par une Église coréenne «jeune et entreprenante, née des laïcs, qui se fait instrument d’espérance et de compassion», le pontife en fait une inspiration pour l’Église universelle. «Nous tous, nous avons besoin de cette lumière qui vient de l’Orient», déclare-t-il dans un style très prophétique, remerciant le cardinal You d’avoir rendu ce «témoignage joyeux d’une Église vivante».

Le pape François a rencontré le cardinal You lors de son voyage en Corée du Sud, en 2014. L’alors archevêque de Daejeon (2005-2021) coordonnait les Journées mondiales de la jeunesse asiatique. En 2021, le pontife l’a nommé à la tête du dicastère pour le Clergé.

Comme le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, actuel pro-préfet du dicastère pour l’Évangélisation et souvent cité comme papabile, le cardinal You est devenu un des plus hauts représentants de l’Église asiatique à Rome. Un statut qui, au regard de la haute estime dans laquelle le pape le tient, lui confère désormais une place importante au sein du Collège des cardinaux. (cath.ch/imedia/cd/bh)

«Les séminaires ne doivent pas être des usines à prêtres déjà beaux et prêtes», explique le cardinal Lazarus You Heung-sik, ici en 2021 | © Vatican Media
3 mars 2023 | 14:05
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 5  min.
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