Monique Dorsaz est coresponsable de la pastorale des familles dans le canton de Vaud | Dicastère pour les laïcs
Suisse

Monique Dorsaz: «Accepter les laïcs en Église demande une conversion»

Monique Dorsaz, théologienne formatrice coresponsable de la pastorale de la famille dans le canton de Vaud a participé du 16 au 18 février 2023, à Rome, à un colloque sur la place des laïcs dans l’Église et de leur responsabilité aux côtés des prêtres.

Propos recueillis à Rome par Camille Dalmas/I.MEDIA

Le Dicastère pour les Laïcs, la famille et la vie a accueilli au Vatican 200 participants venus de plus de 60 pays. En marge de l’événement, I.MEDIA a interviewé Monique Dorsaz. Cette pionnière  travaille comme salariée depuis près de 35 ans pour l’Église. Elle témoigne des difficultés et des joies de ce service.

Vous avez participé à la rencontre organisée par le Saint-Siège sur la coresponsabilité des laïcs et des prêtres dans l’Église. Comment est née votre vocation au service de l’Église?
Monique Dorsaz:
J’ai une histoire assez longue: cela fait 35 ans que je travaille en Église. J’ai découvert ma vocation par hasard, dans ma jeunesse, lors d’un week-end biblique au Grand-Saint-Bernard auquel je ne voulais pas du tout aller au départ. Mes amis s’y rendaient, et j’y suis allée aussi pour ne pas m’ennuyer. Cela a été une illumination, une découverte de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament.
J’avais commencé des études à l’Ecole technique de Zürich en mathématiques, puis j’ai vécu une expérience forte à vingt ans qui m’a poussée à une remise en question. J’ai alors envisagé de faire de la théologie. Tout le monde – prêtres, proches – m’a découragé à ce moment-là. J’ai prié le Saint-Esprit sur le conseil d’un prêtre, et j’ai fini par être certaine de ce que je devais faire.
Pendant mes études de théologie, mon évêque, le cardinal Henri Schwery, ne comprenait pas non plus mon parcours: je lui ai dit de faire confiance. Quelques années plus tard, il m’a déclaré que j’avais eu raison de lui dire cela et m’a annoncé qu’il pouvait m’engager désormais. J’ai été engagée avec mon mari, qui lui aussi a fait de la théologie, dans une paroisse.

«Je travaille pour la formation des laïcs et la pastorale des familles. C’est une très belle expérience de collaboration en synodalité «

En quoi a consisté votre travail par la suite ?
J’ai connu le plus beau, mais aussi le plus difficile, heureusement pas très longtemps. On a commencé par une collaboration assez formidable avec un vieux prêtre de 72 ans. Puis un autre prêtre est venu, et cela a demandé un peu d’ajustement, parce qu’il avait l’habitude d’avoir des religieuses qui s’occupaient de toutes les questions pratiques, mais après cela s’est très bien passé.

Après 23 belles années dans cette paroisse, un nouvel évêque nous a confié quatre paroisses dans le Chablais. Nous habitions dans la cure. Cela s’est très mal passé, parce que nous sommes tombés sur des prêtres qui, selon mon ressenti, avaient du mal avec des laïcs formés. On ne pouvait pas rester et on a dû changer de diocèse! À ce moment, on a eu des appels du pied du vicaire épiscopal du canton de Vaud. On nous connaissait bien en Suisse romande, parce qu’on était aussi très engagés dans la formation des agents pastoraux à Fribourg. On a accepté. Depuis, je travaille pour la formation des laïcs et la pastorale des familles. C’est une très belle expérience de collaboration en synodalité».

Quels enseignements tirez-vous de cette longue expérience de laïque engagée dans l’Église ?
Je retiens que quand on est voulu, cela se passe très bien. Le problème vient quand certaines personnes ont de la peine à vouloir collaborer. Le laïc se trouve en position de fragilité, pas soutenu ou pas vraiment écouté. C’est ce que j’ai ressenti à l’époque. Je pense que cela est dû à la structure de l’Église mais peut-être aussi à certaines personnalités… Ce sont des situations difficiles.

Avez-vous ressenti une évolution sur la façon dont est perçue et accueillie la mission d’un laïc au sein de l’Église en 35 ans?
Je pense que c’est plus difficile aujourd’hui pour les prêtres de ne pas accepter des laïcs. Dans certains diocèses, c’est encore possible. Lors de cette rencontre, on sent beaucoup la volonté de promouvoir les laïcs auprès des évêques dans les interventions. Cela demande une conversion, d’abord des laïcs eux-mêmes, pour qu’ils se rendent compte que c’est leur mission, qu’ils ont le droit de se former. Et cela concerne les prêtres, qu’ils soient formés à collaborer.

«J’ai eu souvent l’impression que la voie hiérarchique ne permettait pas toujours de résoudre les tensions, parce que tout le monde a tendance à se protéger»

Le cardinal Gérald Lacroix a donné un exemple intéressant dans son intervention: au Canada, les prêtres font trois ans de théologie, puis ils ont deux ans en situation pastorale pour voir comment ils sont en communauté, puis retourne faire deux ans de formation théologique. Le cardinal a plaisanté en confiant qu’il avait pour sa part dû faire trois ans de pastorale!

Comment résoudre les tensions quand elles surgissent dans l’Église?
Le mieux est de pouvoir en parler, et donc d’avoir des intermédiaires, neutres, à qui on peut en parler. J’ai eu souvent l’impression que la voie hiérarchique ne permettait pas toujours de résoudre les tensions, parce que tout le monde a tendance à se protéger un peu. Les évêques doivent s’occuper de leurs prêtres, et ce n’est pas toujours facile pour eux.
Cela m’est arrivé de dire qu’un prêtre était problématique, que c’était un manipulateur et de demander pourquoi il avait été placé malgré cela, alors que tout le monde était au courant. C’est souvent compliqué de trouver des solutions quand il y a ce type de dysfonctionnements. Je pense qu’avec des médiateurs qui connaissent un peu les profils psychologiques des gens dans les diocèses, on pourrait résoudre ce type de tensions plus facilement. Et cela vaut pour les laïcs comme pour les religieux.

La question de la formation est un des axes majeurs du congrès organisé par le Saint-Siège. Quels sont selon vous les domaines dans lesquels la formation est particulièrement nécessaire?
Les filières où nous avons beaucoup de laïcs sont celles de la catéchèse, de la pastorale générale, dans les hôpitaux et les maisons pour personnes âgées, dans la solidarité, dans la pastorale des jeunes… Notre équipe de formation est principalement composée de laïcs, des hommes surtout et quelques femmes.

N’y a-t-il pas assez de femmes engagées dans ces domaines?
Oui. Je combattrais pour qu’il y ait plus de femmes. Il y en a beaucoup dans l’accompagnement spirituel, mais il en faudrait aussi en formation biblique et théologique. Une des choses très importantes pour moi, qui suis bibliste de formation, est la découverte de la Bible. Dans la pratique, on a tellement besoin de la parole de Dieu pour évangéliser. Cela sert à accentuer sa relation personnelle à Dieu et aussi à savoir transmettre la Parole.

«Les gens aiment être formés en parlant des grands thèmes de la vie, comme le mal, la souffrance, la consolation…»

Il y a un travail par exemple à faire dans le domaine de l’animation biblique. Comment faire découvrir les Écritures à des gens qui n’y connaissent rien par exemple, ou encore comment former des adultes etc. On se rend compte aussi que les gens aiment bien être formés en parlant des grands thèmes de la vie, comme le mal, la souffrance, la consolation… Et dans cet espace les laïcs occupent une place de plus en plus importante, contrairement aux paroisses où ce sont les prêtres qui ont un grand rôle à jouer en terme de formation.

Au regard de votre expérience personnelle et des échanges que vous avez pu avoir lors de cette rencontre à Rome, comment voyez-vous l’évolution de la place des laïcs dans l’Église?
Cela évolue un peu partout. Je ne sais pas si on peut dire que certains endroits sont en avance, mais certains évêques ont peut-être plus pris conscience de ce que Vatican II propose et encourage – et même demande, quand on lit bien Lumen Gentium. Le changement est net en 35 ans. Quand j’ai commencé, on me déconseillait de faire de la théologie, maintenant on trouve dommage qu’il n’y ait pas plus de théologiennes expérimentées. Il y a un changement, on demande plus de femmes.

«La baisse du nombre de prêtres en Suisse a joué un rôle important pour l’évolution de la place des laïcs»

J’ai échangé avec des personnes ces derniers jours, et la situation varie selon les pays. Il y a des pays, comme l’Allemagne, où la situation ressemble à celle de la Suisse. Il y a aussi une proximité avec la France, même s’il y a des moyens plus limités, un très grand dynamisme créatif. Et il y a des endroits où la conversion doit venir, souvent parce qu’ils ont plus de prêtres. La baisse du nombre de prêtres en Suisse a joué un rôle important pour l’évolution de la place des laïcs chez nous. Il y a des pays avec des épiscopats assez conservateurs qui bloquent. Ou d’autres qui n’ont tout simplement pas d’argent, et c’est vrai que cela pose un problème.
J’ai échangé avec une personne de République centrafricaine qui m’a expliqué que dans son pays, il y a beaucoup de laïcs qui s’occupent des communautés, notamment des catéchistes. Ils bénéficient d’une formation très ingénieuse, d’un an à temps plein, pendant laquelle ils apprennent aussi des métiers manuels – menuisier, charpentier – pour pouvoir avoir une activité qui leur permette d’assurer leur mission pour l’Église. Chaque pays doit répondre à sa façon à la question de la place des laïcs. (cath.ch/imedia/cd/mp)

Monique Dorsaz est coresponsable de la pastorale des familles dans le canton de Vaud | Dicastère pour les laïcs
20 février 2023 | 14:06
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 7  min.
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