Lourdes: «une prophétie au cœur de la modernité»
En réaction au message du pape François, le 11 février 2023, à l’occasion de la fête de Notre-Dame de Lourdes, qu’il qualifie de «prophétie au cœur de la modernité», le Père Michel Daubanes, recteur du Sanctuaire de Lourdes, s’est entretenu avec catt.ch.
Par Cristina Uguccioni, catt.ch / adaptation Grégory Roth
«Le 11 février 2023 aussi, tournons notre regard vers le Sanctuaire de Lourdes comme vers une prophétie, une leçon confiée à l’Église au cœur de la modernité. Il n’y a pas que ce qui a de la valeur qui fonctionne et il n’y a pas que celui qui produit qui compte. Les personnes malades sont au centre du peuple de Dieu qui avance avec elles comme prophétie d’une humanité où chacun est précieux et où personne n’est à exclure.» Extrait du du pape François (en entier ici).
Quelle réflexion le message du pape – intitulé «Prenez soin de lui» (Lc 10, 35), et tiré de la parabole le Bon Samaritain – suscite-t-il en vous?
Père Michel Daubanes: J’ai beaucoup apprécié le message du pape et ses réflexions sur la maladie: »Si elle est vécue dans l’isolement et l’abandon, si elle n’est pas accompagnée d’attention et de compassion, la maladie peut devenir inhumaine», dit-il.
Jésus relance à chacun de nous cette recommandation: «Prenez soin de lui». Et à la fin, il nous exhorte: «Allez et faites de même». »La parabole, rappelle François, nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun».
C’est précisément à travers l’expérience de la fragilité et de la maladie que nous pouvons apprendre à marcher ensemble à la manière de Dieu, qui est proximité, compassion et tendresse. Dans son message pour la Journée mondiale des malades, le 11 février [célébrée le dimanche 5 mars 2023 en Suisse, ndlr.], François fait explicitement référence à notre Sanctuaire, précisément parce que Lourdes est un lieu de compassion et de tendresse. C’est la maison de ceux qui sont fragiles et sans défense. Ici, les petits et les malades, pour lesquels le Seigneur témoigne passion et compassion, sont accueillis et honorés. Ils ont la première place.»
D’après votre expérience, quels changements la pandémie a-t-elle provoqués?
Il y a eu des changements positifs et négatifs. Malheureusement, de nombreux malades venus à Lourdes sont décédés à cause du Covid. D’autres, du fait de la persistance de la pandémie, se sont isolés: vaincus par la peur, ils ont renoncé à de nombreuses activités, dont le pèlerinage à notre Sanctuaire.
En revanche, de nombreux malades que j’ai rencontrés ici – où le protocole sanitaire en vigueur garantit sérénité et sécurité –, m’ont dit combien ils ont envie de revenir, de prier avec les autres, et de revivre cette fraternité qui avait grandit en eux. Parallèlement, de nombreux pèlerins m’ont confié leur joie de pouvoir recommencer à soigner les malades. La pandémie a séparé les gens, les forçant à rester éloignés les uns des autres.
En cette époque d’indifférence face à la souffrance et de quête du bien-être personnel, comment l’expérience d’un pèlerinage à Lourdes instruit-elle les jeunes générations?
Les jeunes portent, au fond de leur cœur, une grande générosité qui ne demande qu’à être comprise et à pouvoir s’exprimer. Ici, à Lourdes, ils trouvent des personnes qui les soutiennent et deviennent complices de leur altruisme. Ils trouvent une autre manière de vivre, basée sur le dévouement aux plus petits et aux plus fragiles, et sur cette fraternité qu’ils comprennent comme vitale.
Avoir une expérience à Lourdes aide et forme les jeunes à exprimer leurs qualités et à les partager avec les autres. Nous sommes très heureux que cette année, à l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne, des milliers de jeunes puissent faire une halte à Lourdes. Nous en attendons plus de 20’000. Nous leur avons préparé un programme ad hoc avec des célébrations eucharistiques, des rencontres, des processions et des catéchèses.
Quel thème a été choisi pour la saison de pèlerinage 2023?
Pour le triennat 2022-2024, nous avons choisi la phrase que Marie adresse à Bernadette lors de la treizième apparition: «Allez dire aux prêtres de bâtir ici une chapelle et venez-y en procession». Cette année, en particulier, nous réfléchirons à l’expression «qu’une chapelle soit bâtie ici». Aujourd’hui, cela ne peut certainement pas être compris comme une invitation à construire d’autres chapelles, car nous en avons assez dans le sanctuaire. Cela nous pousse à savoir ce que signifie pour nous «construire une chapelle». Cela signifie-t-il «construire l’Église»? Si oui, quelle Église voulons-nous construire? Et comment entendons-nous l’habiter? Ce sont les thèmes sur lesquels nous allons réfléchir et prier».
Quelle pensée voudriez-vous offrir à ceux qui repartent, au terme de leur pèlerinage à Lourdes?
Il est difficile, une fois rentré chez soi, de pouvoir garder seul l’esprit de Lourdes. Pour continuer à le vivre, il est nécessaire de maintenir cette dimension communautaire qui a été expérimentée ici. Cela signifie que, après avoir repris la vie ordinaire, il est essentiel de continuer à prier et à se confier au Seigneur avec d’autres, à prendre soin de son prochain et à vivre la fraternité avec d’autres.
Il est important pour son cheminement spirituel de se tourner également vers des pasteurs qui puissent conseiller et guider. Cependant, il ne faut pas oublier que dans la vie, il y a aussi des «temps forts» particuliers. Le pèlerinage à Lourdes est en un. Il faut aussi le considérer comme un phare qui illumine le quotidien et constitue un point de repère et d’encouragement. (cath.ch/catt/cu/gr)