Synode de Prague: des tensions nécessaires pour avancer
À quelques heures de la fin de la phase continentale du Synode sur la synodalité, le 8 mars 2023, deux participantes romandes et une Tessinoise ont fait part à cath.ch de leurs premières impressions d’un synode «dense» auquel elles participent en ligne depuis Wislikofen (AG).
Malika Schaeffer, de la communication de l’Église catholique vaudoise, sa collègue Marie-Antoinette Lorwich, de la pastorale de rue, et la Tessinoise Valantina Anzini, coordinatrice de la pastorale des jeunes du diocèse de Lugano, se serrent derrière l’écran pour l’interview en ligne qu’elles donnent à cath.ch. Elles ont peu de temps, préviennent-elles. Les sessions et réunions en ligne s’enchaînent depuis trois jours. Et tout s’accélère à l’approche de la conclusion – du moins pour les laïcs – de l’assemblée.
Elles font part d’emblée de leur inquiétude liée à l’annonce, un peu plus tôt dans la journée, de la publication d’un deuxième texte de synthèse rédigé par les évêques et qui serait envoyé à Rome. Les présidents des conférences épiscopales présents à Prague vont poursuivre les travaux jusqu’au 12 février. Que contiendra ce texte et comment se positionnera-t-il par rapport au document continental? «On n’en sait pas plus pour le moment.»
Se poser les bonnes questions
«Le fait que l’Église commence à se poser les bonnes questions et qu’elle accepte de remette son fonctionnement en question me rassure», affirme Malika Shaeffer, une des dix Suisses qui participent au synode de Prague en ligne depuis Wislikofen. Avec le synode, on entre, estime-t-elle, dans une manière d’appréhender l’Église et d’y vivre qui n’admet plus aucun retour en arrière.
«L’Église doit apprendre à écouter et pas seulement ce qui lui fait plaisir», ajoute la responsable de la pastorale de rue. Depuis l’ouverture de cette phase continentale du synode, le 6 mars, les interventions ont été nombreuses à Prague où les délégués sont montés à la tribune égrainer les différents aspects de la crise que traverse l’Église catholique.
Des interventions plutôt lisses
«Les interventions ont été plutôt lisses, relève Marie-Antoinette Lorwich, le célibat des prêtres a été à peine évoqué.» Il a été question des «douleurs» provoquées par les abus sexuels, spirituels et de pouvoir. Les tensions doctrine/pastorale ont suscité beaucoup de prises de position, ainsi que l’opposition entre miséricorde et vérité. «Des tensions nécessaires, souligne toutefois la Vaudoise, qui permettent d’avancer et de trouver une harmonie.»
«On s’attendait à plus de prises de parole sur la place des femmes en Église», indique encore Marie-Antoinette Lorwich – Valentina Anzarini et Malika Schaeffer acquiescent. Elle s’est sentie bien représentée dans les propos des délégués de Caritas présents à Prague au sujet des pauvres. «Leur discours aurait pu être le mien», se réjouit-elle.
«Prendre soin», «Communion», «Conversion» ont, semble-t-il, été les maître-mots de cette rencontre pragoise.
Réunions en ligne
Si elles n’ont pas pu intervenir durant les sessions de Prague, les Romandes et la Tessinoise ne se sont pas pour autant ennuyées. Après avoir suivi des réunions d’environ trois heures, les représentants des pays en ligne se «retrouvaient» à distance dans des groupes linguistiques pour échanger sur les questions qui les préoccupaient. Les abus en Église ont été au centre des échanges du groupe francophone. Dans le groupe italophone, il a été question de l’accompagnement des jeunes en Église et aussi «de la formation… À commencer par la synodalité! Beaucoup de gens ne savent pas encore ce que c’est», relève la Tessinoise.
Aux sessions d’environ trois heures qui se déroulaient à Prague ont succédé les échanges à distance en groupes linguistiques. Pas de pause, «le rythme est intense». Il leur faudra du temps pour «digérer tout ça». Mais d’emblée, Marie-Antoinette Lorwich reconnaît qu’elle était venue en militante et qu’elle repartira peut-être apaisée, tant les contrastes entre les Églises en Europe l’ont frappée. «Je me suis déplacée au fur et à mesure de ce que j’ai entendu.»
C’est pour elle une grande surprise, partagée par Malika Schaeffer. «Par exemple l’Église de Lettonie, toute nouvelle, n’a la traduction du Concile Vatican II que depuis cinq ans!» Malika a pu constater la pauvreté des Églises dans les pays de l’Est, où le dogme est plus important que les considérations d’ordre pastoral. Et réaliser que les problèmes des uns n’ont rien à voir avec les préoccupations des autres. «Nous sommes plus riches en Suisse, en France, en Belgique ou en Allemagne.»
Loin de Prague, «l’ambiance est très bonne à Wislikofen, assurent les trois femmes, nous avons aussi ›élargi la tente’ et nous avons vécu un mini processus synodal». Chacun a fait un effort, notamment au niveau linguistique, pour communiquer et écouter. «Les échanges sont plus harmonieux au bout de trois jours de synode.»
À tel point que le groupe a pris la décision de rédiger une lettre ouverte sur ce qu’il a vécu et qu’il partagera largement à l’issue de la rencontre. Le Röstigraben n’a pas été de mise à Wislikofen. (cath.ch/bh)
Cath.ch publie ici la synthèse du groupe francophone 3 rapportée en ligne par Malika Schaeffer
«Chers participants et participantes en ligne et en direct de Prague,
Chers sœurs et frères dans la foi,
Je suis la porte-parole d’un groupe francophone composé de 9 personnes provenant de la France, du Luxembourg, de l’Italie (représentante du continent digital), de l’Irlande et de la Suisse. Nos échanges durant ces quelques jours ont été stimulants, fraternels, constructifs et remplis d’espérance.
Malika Schaeffer a rapporté la synthèse du groupe francophone 3 auquel elle a participé | DR
Nous partageons avec vous notre joie d’avoir entendu différents intervenants témoigner de leurs différentes réalités, de leurs difficultés, de leurs qualités, de leurs douleurs et des défis auxquels ils se confrontent. Ce qui a été signifié par toutes et tous, c’est l’importance d’une Eglise qui n’est pas dans la reconquête mais qui sait écouter, accompagner, discerner et reconnaître et prendre soin de la douleur de celles et ceux qui ont été blessés.
Le point de départ doit donc être une Eglise présente et à l’écoute de toutes celles et ceux qui sont abusés, abîmés, rejetés et marginalisés. Elle doit savoir se convertir pour être missionnaire, courageuse et humble et, de fait, ouvrir un chemin et nous mener à la suite du Christ. Communion, conversion, présence sont les maîtres mots qui rejoignent les grands thèmes du Synode, à savoir communion, participation et mission.
D’autre part, certaines interventions ont exprimé des tensions (sans doute nécessaires) entre ce que le monde exprime et manifeste aujourd’hui et la crainte de perdre la capacité de transmettre et de maintenir des contenus de foi. Apprenons à écouter et discerner les signes des temps, sans négliger les tensions et oppositions relatives aux rôle des clercs et des laïcs, de la primauté de la doctrine ou de la pastorale ou encore de la vérité face à la miséricorde. Le processus synodal doit accepter de vivre ces tensions, non pas comme une polarisation, mais comme une occasion de rayonner « harmonie et communion », comme l’ont fait les apôtres dans l’assemblée de Jérusalem.
Nous espérons ainsi construire une intégrité institutionnelle qui nous donne l’opportunité de parler à la société qui, aujourd’hui, ne nous écoute plus. Comment peut-on être accepté comme institution ecclésiale dans le monde s’il n’y a pas de cohérence entre ce que nous disons et ce que nous sommes ? Pour être crédible, notre Eglise a la mission d’encourager, de manière plus conséquente, l’égalité entre hommes et femmes et ainsi exercer la subsidiarité. À ce propos, pouvons-nous espérer à l’avenir une tribune et une assemblée plus inclusive ? L’égalité baptismale est être au cœur de toutes nos réflexions.
Nous espérons que l’écoute sans jugement qui a été vécue lors de ce Synode, apprendra à chacune et chacun de nous à communiquer et à transmettre le message de l’Evangile dans le monde sécularisé d’aujourd’hui. Cela nécessite d’être bousculé dans nos convictions, et surtout dans nos actions.
Notre Eglise doit donc désormais accepter d’être déplacée sans craindre de se briser.
Souvenons-nous qu’à travers le Christ, l’Eglise possède l’amour inconditionnel et que pour cela, elle doit apprendre à accueillir sans conditions.»