RDC: la directrice de prison travaille aux côtés des détenus
Après dix ans au service de la santé à la prison centrale de Bukavu, au Sud-Kivu (RDC), la doctoresse Pamela Muhindo a surmonté la résistance des fonctionnaires en devenant directrice de prison. Elle applique dans l’institution une approche basée sur la confiance et la proximité, n’hésitant pas à travailler aux champs avec les détenus.
Chanoine José Mittaz à Bukavu, pour cath.ch
Dans son 4×4 largement amorti, le Père Adrien, aumônier des prisons de Bukavu et Kabare, me fait quitter, sur une piste cahoteuse, la ruche klaxonnante de Bukavu en direction de Kabare. Perchée au sommet d’une colline à 1996 mètres d’altitude, la prison de Kabare ressemble à un grand quadrilatère fortifié et entouré de champs cultivés par les détenus. Assainie il y a un an grâce au soutien de la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo), l’établissement a été prévu pour 150 détenus.
Mais le taux d’occupation ne cesse de croître: 206 hommes et femmes y purgent aujourd’hui une peine d’un à douze ans. Parmi eux, un jeune garçon de sept ans vit avec sa maman: né en prison, l’enfant peut désormais fréquenter l’école du village grâce à l’engagement personnel de Dr Pamela, la nouvelle directrice.
De médecin de prison à directrice
Née à Katana (RDC) le 14 avril 1978, Pamela Muhindo a obtenu à 19 ans une maturité qui lui a ouvert les portes de la faculté de médecine. Grâce à ses excellents résultats, elle a reçu d’un organisme suédois une bourse pour financer ses études. Diplômée de médecine en 2007, elle a travaillé trois ans en clinique privée avant de s’orienter vers le soin des détenus à Bukavu. N’ayant pas autorité pour améliorer le sort des prisonniers, elle s’est engagée dans la formation de directrice d’établissement pénitentiaire.
Depuis juin 2022, elle dirige la prison de Kabare. En décembre 2022, elle a lancé l’association «Pam Hope Center» en faveur des plus vulnérables: les prisonniers, les personnes du troisième âge, les enfants orphelins et les jeunes filles mères, victimes de violences sexuelles.
Besoin d’approche
Après avoir franchi la grille d’entrée, le Père Adrien se fait aider par les gardiens pour vider le 4×4: des sacs de farine de maïs pour les détenus, de l’engrais préparé par des étudiants de Bukavu pour les champs et une vingtaine de plantons d’avocatiers qui seront mis en terre le jour-même.
Dr Pamela nous accueille avec une cordiale simplicité. Aucun signe visible ne la distingue dans sa fonction. Au dos de son maillot sportif sponsorisé par une banque neuchâteloise, je peux lire: «Plus fort, ensemble». Le slogan décrit effectivement son engagement. Dr Pamela aime travailler aux champs avec les prisonniers. «Avec mes dix ans d’expérience, explique-t-elle, je sais que les détenus ont un grand besoin de se sentir approchés par d’autres. Les délaisser, les oublier: ça n’est pas bon. Le plus grand remède, la chose dont ont besoin les détenus, c’est d’abord l’approche. Être à leurs côtés et les écouter: ça leur donne espoir.»
Une enfance difficile
C’est à Kavumu, non loin de Kabare, que poussent les avocatiers les plus fameux. Dr Pamela savoure aujourd’hui le fruit d’un arbre planté par son père, un homme bon qui a accompagné sa fille comme il a pu, sur un chemin de vie marqué de multiples violences et traumatismes. Les parents de Pamela ne s’entendaient pas: disputes récurrentes, échanges de cris et de coups, spirale vers l’enfer. La mère décide de s’enfuir, emmenant Pamela, trois ans, et sa petite-sœur.
Après le décès de sa petite-sœur, Pamela retourne chez son père, mais la nouvelle marâtre ne l’accepte pas. De retour à onze ans chez sa maman, elle subit l’ignoble violence d’un nouveau beau-père: «Quand il me tapait, je devais rester au moins une semaine à la maison. J’étais déformée par les ecchymoses, se souvient-elle. Mais malgré les bleus, j’avais toujours cette envie de faire mieux, de voir grand.» Les jeunes filles de son âge s’orientaient vers le métier d’infirmière, la seule femme médecin de sa région était une Européenne. Aussi Pamela décida-t-elle de devenir médecin, avec le soutien de son père: «Quand papa a accepté, j’ai vu qu’il m’aimait: tant de sacrifices pour payer mes études.»
Greffée dans l’amour
La jeune Pamela n’a pas eu de stabilité affective jusqu’à ses études de médecine où, sur les banc de l’Uni, elle a rencontré Céline qui lui a ouvert les portes de son cœur et de sa famille: «Une grande sœur qui est devenue ma maman, raconte Dr Pamela. Elle a partagé avec moi son savon, sa lessive et m’a donné de l’affection. Le peu de temps que j’ai vécu là-bas, j’ai compris que l’amour existait.»
En transformant la violence subie en force de vie engagée en faveur des plus vulnérables, Dr Pamela a donné corps à son élan vers plus de grandeur. Libérée de la peur de l’abandon, la directrice de Kabare devient également libre de s’agenouiller avec ses détenus pour la mise en terre de jeunes plants d’avocatier. Issus de greffes, ils donneront du fruit dans 3-4 ans au-lieu de 8. Pamela Muhindo a aussi été greffée dans l’amour depuis sa rencontre avec Céline et sa famille: «C’est comme ça que moi aussi j’ai appris à aimer, même ceux-là qui nous ont fait du mal. J’ai reçu de l’amour et je dois partager ce que j’ai reçu.»
«Mama directrice Pamela»
Sur le champ d’avocatiers, une détenue témoigne: «J’étais en détention à la prison de Bukavu et on nous donnait toujours les nouvelles venant de la prison de Kabare, que c’était le mouroir. Mais depuis que je suis ici, j’ai trouvé le Père Adrien et la mama directrice Pamela qui nous encadrent très bien. À la prison de Bukavu, je pesais 40 kilos. Regarde mon corps comme il est bien. Aujourd’hui, je fais 62 kilos.» Et une autre détenue d’exprimer son étonnement: «C’est la première fois que je vois un directeur ou une directrice de prison faire le travail manuel avec les détenus.»
Chaque matin à 7h, la directrice ouvre les cellules: «C’est le bonjour du matin aux détenus.» À 15h, elle s’assure que les détenus aient reçu leur unique repas du jour. À Bukavu comme à Kabare, les gardiens n’entrent pas à l’intérieur des prisons. Ce sont les détenus eux-mêmes qui élisent des représentants qui veilleront sur le vivre-ensemble, informant quotidiennement la directrice sur la situation sanitaire. Ils sont aussi les porte-parole des prisonniers auprès de la directrice. À la question de savoir si on peut leur faire confiance, Dr Pamela répond: «La confiance n’exclut pas la vérification.»
Une famille en prison
Revenant sur son histoire familiale douloureuse, Dr Pamela confie s’être exercée au pardon: «J’ai prié pour vivre avec mes blessures. Pour que ça ne fasse plus mal comme avant. Je fournis beaucoup d’efforts pour ne pas tomber dans la souffrance d’avant.» Aujourd’hui, Pamela Muhindo est mère de cinq enfants. «L’amour de la famille je ne sais pas. Mais l’amour de mes enfants, c’est une garantie que j’ai.»
«Mes amis sont là-bas, s’exclame Dr Pamela en regardant du côté de la prison. C’est une satisfaction pour moi quand je suis avec eux. Surtout quand ils sont en bonne santé et heureux.» Une détenue l’atteste: «Quand mama Pamela voit que nous nous fatiguons aux champs, elle vient et prend la relève.» (cath.ch/jm/rz)