Départ du cardinal Ouellet: une fin de règne sous pression
Prélat influent mais discret au sein de la Curie romaine, papabile lors du conclave de 2013, le cardinal canadien Marc Ouellet a été le représentant d’une ligne conservatrice qui se voulait compatible avec le pontificat de François ces dernières années. La démission, le 30 janvier 2023, pour raison d’âge de ce cardinal de 78 ans, en charge du processus de nomination des évêques d’une grande partie de la planète pendant 13 ans, intervient alors qu’il a été récemment mis en cause dans des affaires d’abus, recevant néanmoins le soutien du Saint-Siège.
Troisième d’une famille de huit enfants, originaire de la région québécoise de l’Abitibi, Marc Ouellet a un parcours atypique: après son ordination sacerdotale, il a enseigné au séminaire de Bogotà, en Colombie, où il est entré dans la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (sulpiciens).
Il devient ensuite professeur à Rome puis retourne en Colombie pour devenir le recteur du séminaire de Manizales. Il est rappelé au Canada pour prendre la tête du séminaire de Montréal. Docteur en théologie, il était un proche de Joseph Ratzinger, avec lequel il a fondé en 1972 la revue Communio pour tenter de sortir la réception du Concile Vatican II du dualisme «conservatisme/traditionalisme».
Un théologien promu par Jean Paul II et Benoît XVI
Ce disciple et grand admirateur du théologien jésuite Hans Urs von Balthasar est consacré évêque par Jean Paul II en personne en 2001 en tant que secrétaire du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens. L’année suivante, le Polonais lui confie l’archidiocèse de Québec et la primatie du Canada, puis le créé cardinal en 2003.
Ses années au Québec sont marquées par des tensions au sein de son diocèse, certains groupes de catholiques lui reprochant ses prises de positions fermes sur l’euthanasie ou l’avortement. Après l’élection de Benoît XVI, il devient un de ses plus proches collaborateurs. L’Allemand le nomme en 2010 à la tête de la Congrégation pour les évêques – dicastère puissant chargé de sélectionner les évêques des diocèses des pays de ›chrétienté ancienne’, essentiellement situés dans l’hémisphère Nord – et de la Commission pontificale pour l’Amérique latine.
Le défenseur de la Tradition sous François
Lors du conclave de 2013, il obtient 22 voix lors du premier tour de scrutin derrière les cardinaux Scola (30 voix) et Bergoglio (26 voix) selon le vaticaniste Gerard O’Connell. Après son élection, François l’a maintenu en poste pendant presque dix ans, malgré des rumeurs régulières annonçant sa disgrâce. En cause, certaines affaires rattachées à son nom, notamment celle concernant son frère Paul, reconnu coupable d’agressions à caractère sexuel impliquant deux adolescentes au Canada. Occupant un poste stratégique, il est souvent critiqué pour son action ou ses silences concernant des dossiers sensibles.
«Le cardinal canadien s’est aussi confronté aux évêques allemands»
Au sein de la Curie romaine, le cardinal Ouellet s’affirme comme le défenseur de la Tradition sur les questions sacramentelles. Quand la question de l’ordination d’hommes mariés est particulièrement mise en avant pendant le Synode sur l’Amazonie en 2019, il publie un livre de défense du sacerdoce dans lequel il souligne les bienfaits du célibat.
En 2022, il organise au Vatican un symposium pour relancer la théologie du sacerdoce alors que le Synode de l’Église allemande pousse pour des «avancées» sur l’ordination des femmes ou bien la fin du célibat sacerdotal. Il affirme alors que le célibat ne peut se comprendre sans la foi. Le cardinal canadien s’est aussi confronté aux évêques allemands lors de leur visite ad limina très médiatisée en novembre 2022, tentant de leur imposer, en vain, un moratoire.
Une fin de ‘règne’ sous pression
En août 2022, le cardinal canadien a été mis personnellement en cause après le dépôt d’une plainte pour des gestes inappropriés sur une ancienne collaboratrice du diocèse de Québec. Moins de 48 heures après la diffusion de cette affaire, le pape François fait savoir par son service de presse qu’il a jugé qu’il n’y avait «pas suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête canonique». Le pape s’appuie sur les conclusions d’une enquête menée au début de l’année 2021 par le Père Jacques Servais – lui-même un proche du cardinal Ouellet, murmurent les observateurs.
Le 13 décembre 2022, le cardinal Ouellet annonce entreprendre un recours judiciaire en diffamation devant les tribunaux québécois, pour «démontrer la fausseté des allégations» et «rétablir (sa) réputation et (son) honneur». Quelques semaines plus tard, la victime présumée sort de l’anonymat alors qu’une nouvelle plainte sur une possible inconduite sexuelle est déposée dans son pays d’origine. Le cardinal réagit en affirmant à la presse canadienne qu’il n’a «rien à cacher». (cath.ch/imedia/ak/cd/rz)