Le pape François va devoir jongler avec de nombreux dossiers | © Raphaël Zbinden
Vatican

Existe-t-il un «plan secret» pour «sortir» François?

Dans le sillage de la mort de Benoît XVI, le 31 décembre 2022, des vaticanistes font état d’une montée en puissance des «intrigues de palais» au Vatican. Ils évoquent notamment l’existence d’une «fronde» de cardinaux conservateurs pour amener le pape François à la renonciation.

«François doit être stressé jusqu’à ce qu’il démissionne de son poste». Tel est, selon le vaticaniste Gianluigi Nuzzi, l’objectif d’un groupe de personnalités haut placées au sein de la curie romaine. Le spécialiste du Vatican affirme le 8 janvier dans le journal italien La Stampa, que ces informations viennent d’un cardinal italien souhaitant rester anonyme.

Rumeur fondée ou accès de «sensationnalisme» journalistique? La question peut se poser, connaissant la carrière de Gianluigi Nuzzi, qui s’est principalement fait connaître en révélant dans plusieurs livres des scandales financiers du Vatican (Vatileaks). Pourtant la plausibilité d’une démarche d’opposition coordonnée au pontificat de François a été mise en avant par d’autres vaticanistes, ces derniers jours.

Gänswein: le «coup de semonce?»

L’idée s’est notamment cristallisée autour de la sortie du livre de l’ancien secrétaire personnel de Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, intitulé Rien d’autre que la vérité. L’Allemand y raconte les circonstances de la vie du pontife bavarois au monastère Mater Ecclesiae, au cœur du Vatican, suite à sa renonciation en 2013. Si aucune révélation fracassante n’est faite dans l’ouvrage, des observateurs y ont ressenti la nette volonté du secrétaire de Benoît XVI de mettre en exergue un «climat de tension» entre ce dernier et le pontife argentin, au-delà des relations personnelles très chaleureuses.

«La campagne reposerait sur un affaiblissement progressif du Saint-Père»

Le journaliste italien Massimo Franco évoque, dans le quotidien Corriere della sera, le 8 janvier, les «surprenantes attaques» de Mgr Gänswein qui «ont été considérées comme le début d’une phase de confrontation ouverte». Le vaticaniste voit dans les déclarations du prélat allemand, «le ressentiment de quelqu’un qui s’est senti humilié, et qui a été contraint de garder le silence pendant longtemps entre les murs du monastère, pour ne pas déplaire à Benoît».

Manœuvres dans l’ombre et à découvert

La mort de Joseph Ratzinger change indubitablement la donne au Vatican. Elle rend notamment plus plausible une renonciation de François. Une perspective inenvisageable dès lors qu’elle aurait impliqué la cohabitation de trois papes dans l’Eglise catholique.

Pour Nick Squires, correspondent à Rome du journal britannique The Telegraph, la disparition du pape émérite a «ouvert la voie aux conservateurs qui s’opposent à ses positions [du pape François, ndlr] sur des questions telles que l’homosexualité, l’avortement, la communion pour les divorcés remariés, le célibat des prêtres». Le Britannique estime, à l’instar de Gianluigi Nuzzi, que «les conservateurs du Vatican mènent un ‘plan secret’ pour mettre le pape François sous une telle pression qu’il démissionnera».

Une campagne qui reposerait sur «l’affaiblissement progressif du Saint-Père, ainsi que sur [l’opposition à] ses choix doctrinaux, ce qui créera un grand mécontentement, qui pourra être utilisé contre lui». Selon le cardinal anonyme cité par Gianluigi Nuzzi, «certains de ses ennemis agiront dans l’ombre, tandis que d’autres afficheront plus ouvertement leurs critiques».

Les «comploteurs» nommés

Mgr Gänswein aurait ainsi été la première cheville ouvrière de l’offensive. Une seconde salve se préparerait avec la sortie annoncée d’un autre livre, cette fois du cardinal Gehrard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi – lui aussi ‘écarté’ par le pape François – intitulé En toute bonne foi. L’ouvrage attaquerait en profondeur le pontificat franciscain.

Le cardinal Robert Sarah est souvent cité dans les opposants au pape François | © Maurice Page

Outre ces deux figures allemandes, les vaticanistes n’hésitent pas à nommer les autres «comploteurs» présumés: le cardinal américain Raymond Burke, ainsi que son compatriote archevêque Timothy Broglio. Ce dernier vient d’être nommé à la tête de la Conférence des évêques des Etats-Unis (USCCB). Le cardinal guinéen Robert Sarah, ancien président du dicastère pour le Culte divin et les sacrements, est aussi cité.

Certains voient aussi dans le cardinal Joseph Zen de Hong Kong, un des opposants les plus farouches au pape François. Mais le cardinal nonagénaire a rencontré le pontife après les obsèques de Benoît XVI. Il est ressorti de Sainte-Marthe en évoquant une rencontre très chaleureuse.

François pas près de la sortie

Mais quelles sont les chances de réussite pour les «frondeurs»? Le fait est que le pape François commence à être âgé (86 ans) et ne bénéficie pas d’une santé très solide. Malgré une récente amélioration, il reste limité dans sa mobilité. Si dans un avenir proche, il ne pouvait soudain plus assumer certains de ses engagements, il n’est pas impensable qu’il pense à jeter l’éponge.

«Les prélats américains ne sont actuellement qu’un petit groupe sans grande influence au sein de la curie»

Il a pourtant déjà fait savoir que seule une incapacité mentale pourrait l’amener à renoncer au trône de Pierre. Le pape François est connu comme un fort caractère, difficilement impressionnable et influençable. Aucun indice n’a émergé d’un quelconque affaiblissement de l’Argentin au niveau cognitif ou émotionnel. Il est de plus certain qu’il aura à cœur de mener jusqu’à son terme le synode sur la synodalité, qu’il a lui-même lancé et qui devrait se prolonger au moins jusqu’en 2024.

François a même récemment donné quelques signes d’autorité et de vitalité. Notamment en réformant par décret le diocèse de Rome et en s’accordant ainsi, en tant qu’évêque de Rome, une plus grande participation directe. Il a également mis en place deux nouveaux organes de surveillance et s’apprête à accomplir des voyages éprouvants au Congo RDC et au Soudan du Sud.

Effet boomerang?

Le réel pouvoir de nuisance des «comploteurs» pose question. Certes, l’Eglise américaine, qui abrite les principaux «bastions» anti-François, est puissante et a été de tout temps l’un des plus gros contributeurs financiers du Vatican. Dans le même temps, les prélats étasuniens ne sont actuellement qu’un petit groupe sans grande influence au sein de la curie. Et le pape François a su, depuis dix ans, s’entourer d’une «garde rapprochée» en laquelle il peut avoir confiance.

Pour le journaliste Paolo Rodari, qui a présenté son analyse dans le média public suisse italien RSI, les propos de Mgr Gänswein pourraient «constituer un boomerang» pour l’aile conservatrice la plus hostile à François. Des membres de la curie ont été forcés de prendre position en désavouant l’ancien secrétaire du pape allemand.

«Les cardinaux les plus conservateurs sont désormais peu nombreux. Ils ont peu de chances de l’emporter dans un futur conclave»

Paolo Rodari

Parmi eux, Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la vie, qui a relevé à la télévision italienne: «Il y a manifestement des blessures et des douleurs, mais il serait malgré tout préférable de se taire et de chercher le vrai message de Benoît XVI». Le cardinal Gianfranco Ravasi, ancien président du Conseil pontifical pour la culture, a lui aussi critiqué le lancement de la polémique aussitôt après la mort du pontife allemand. Citant Umberto Eco, il a assuré que «Dieu ne se révèle que dans le silence. Dieu n’est jamais dans les médias, jamais à la Une des journaux».

Recherches d’alliances

Les vaticanistes relèvent que, même si les «anti-François» arrivaient à obtenir une renonciation, cela ne voudrait pas dire pour autant qu’ils arriveraient à placer «un homme à eux» sur le Trône de Pierre. Massimo Franco voit surtout dans les manœuvres actuelles des conservateurs «la conscience qu’ils n’ont pas une candidature unique et forte à opposer aux ‘progressistes’». Le fait est que depuis le début de son pontificat, jusqu’en août dernier, Jorge Bergoglio a nommé 113 cardinaux, dont 83 sont électeurs, sur un total de 132.

Paolo Rodari estime probable que ces cardinaux se solidarisent encore davantage pour marginaliser les opposants à François. «Les cardinaux les plus conservateurs sont désormais peu nombreux, note le vaticaniste italien. Ils ont peu de chances de l’emporter dans un futur conclave». Les conservateurs cherchent donc à renforcer leur position en nouant de nouvelles alliances. Notamment en «passant au crible», selon Massimo Franco, le collège des cardinaux, à la recherche de «mécontents de François». Malgré leur faiblesse actuelle, les «frondeurs», persuadés que l’avenir de l’Eglise est en jeu, ne vont ainsi pas baisser la garde et continueront certainement leur travail de sape. (cath.ch/ag/rz)

Le pape François va devoir jongler avec de nombreux dossiers | © Raphaël Zbinden
12 janvier 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
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