Pour son secrétaire, Benoît XVI «a été trop souvent dénigré»
Le 9 janvier 2023, le pape François a reçu en audience privée Mgr Georg Gänswein, qui fut le secrétaire de Joseph Ratzinger/Benoît XVI de 2003 jusqu’à sa mort. Une rencontre dont le contenu n’a pas été révélé, mais qui interroge alors que les mémoires de Mgr Gänswein, Rien d’autre que la vérité, ma vie aux côtés de Benoît XVI (Éditions Piemme, annoncé pour le 12 janvier), jettent un regard parfois très critique sur le pontificat du pape argentin.
Camille Dalmas, I.MEDIA
I.MEDIA, qui s’est procuré le manuscrit, en rapporte les principales révélations. L’ouvrage de 336 pages a été écrit en italien avec Saverio Gaeta, un vaticaniste qui s’est spécialisé dans l’histoire du sanctuaire marial controversé de Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine. Le manuscrit, qui a été transmis à la presse avant même que Benoît XVI ne soit enterré, se présente dès la préface comme une défense du pontife, «trop souvent dénigré par le récit des médias et des détracteurs».
Racontant les coulisses du Saint-Siège depuis l’époque où le cardinal Joseph Ratzinger dirigeait la congrégation pour la Doctrine de la foi jusqu’à ses derniers instants en tant que pape émérite dans le silence du Monastère Mater Ecclesiae du Vatican, Mgr Gänswein enrichit de nombreuses anecdotes l’histoire du 265e pontife.
«Eh bien, après tout, François et moi, nous n’avons que neuf ans de différence. Peut-être serait-il plus correct de m’appeler ‘grand frère’?».
mot attribué à Benoît XVI
Elles sont parfois savoureuses, par exemple quand, pendant le conclave de 2005, il raconte avoir apporté au cardinal Ratzinger, qui se plaignait du froid dans la chapelle Sixtine, un pull noir, et s’être rendu compte que ce dernier le portait encore sous son aube trop courte en se présentant à la Loggia après l’Habemus papam. Ou encore, quand il rapporte la réaction amusée de Benoît XVI apprenant que François parlait de lui comme d’un «grand-père à la maison» : «Eh bien, après tout, nous n’avons que neuf ans de différence. Peut-être serait-il plus correct de m’appeler « grand frère »?».
L’ouvrage revient aussi longuement sur les difficultés rencontrées par Benoît XVI en tant que pape, notamment sur l’affaire des Vatileaks, ces fuites de documents confidentiels du pontife. Mgr Gänswein explique que le majordome du pontife, Paolo Gabriele, les avait volés sur son bureau personnel. Le livre raconte encore les mois délicats qui ont précédé la renonciation.
Présent aussi aux côtés du pape François de 2013 à 2020 en tant que préfet de la Maison pontificale, il livre aussi certains détails sur l’arrivée du pontife argentin au Vatican, assurant notamment que le pape a choisi de rester vivre dans la résidence Sainte-Marthe «pour des raisons de psychologie personnelle» afin de ne pas être isolé et non pour fuir le faste des appartements apostoliques.
«Quelques ›moutons noirs’ ont essayé de tirer Benoît XVI ‘par la soutane’ afin de fomenter la confusion et la rébellion ou pour servir leurs ambitions.»
Georg Gänswein
Des «moutons noirs»
Un chapitre entier consacré à la relation entre François et le pontife émérite représente un des moments les plus intéressants du livre, le secrétaire n’hésitant pas à révéler certaines tensions qui ont pu voir le jour. Selon lui, le problème n’est cependant pas tant «celui de la coexistence de deux papes, un régnant et un émérite, que la naissance et le développement de deux groupes de fans». Il confie notamment que «quelques ›moutons noirs’» ont «essayé de tirer Benoît XVI ›par la soutane’» afin de «fomenter la confusion et la rébellion» ou pour servir leurs ambitions.
Insistant sur l’existence d’un dialogue entre les deux pontifes, celui qui est surnommé ›Padre Georg’ publie de larges extraits d’une note critique inédite adressée par Benoît XVI à François – à la demande de ce dernier – après la publication d’un interview du pontife argentin par le mensuel jésuite La Civiltà Cattolica en 2013. Courtoisement, Benoît XVI apporte des compléments aux réponses du pape François sur deux questions épineuses : celle de l’avortement – en rappelant la ligne pro-vie défendue par Jean-Paul II – et celle de l’homosexualité – s’en prenant à la «propagande publique» sur la «philosophie du genre».
Le «préfet pourfendu»
Le livre revient aussi sur la polémique qui avait émergée après la sortie en 2020 de l’ouvrage Des profondeurs de nos cœurs (Fayard), alors cosigné par le cardinal Robert Sarah et Benoît XVI. La publication avait été perçue par certains comme une tentative d’influencer le pape François sur la question du célibat sacerdotal alors que cette question lui avait été soumise par le synode sur l’Amazonie.
Mgr Gänswein nie avoir été au courant de la forme prise par le volume et se décrit comme la victime de l’éditeur du cardinal Sarah, Nicolas Diat – ce dernier, à l’époque, avait assuré avoir prévenu en bonne et due forme le secrétaire de la nature du projet. Mgr Gänswein n’hésite par ailleurs pas à critiquer le cardinal guinéen, qualifiant de «pathétique» sa tentative de prouver son innocence.
Mis à l’écart par le pape François suite à cette affaire – malgré plusieurs tentatives d’intercession de Benoît XVI –, Mgr Gänswein dit son amertume face à cette disgrâce, se décrivant comme un «préfet pourfendu». Il explique avoir été nommé par Benoît XVI à la tête de la Maison pontificale en 2012 pour être un «trait d’union» entre les deux pontifes, mais souligne n’avoir jamais pu remplir cette fonction. Maintenu à ce poste en 2013, il estime s’être fait court-circuiter par le pape François, qui lui aurait préféré son numéro 2, Mgr Leonardo Sapienza.
«La liturgie devient un champ de bataille pour les camps opposés, faisant notamment de la célébration latine le rempart à défendre ou le bastion à abattre»
Georg Gänswein
L’«erreur» de Traditionis custodes
Dans un chapitre final sur les dernières années au Monastère Mater Ecclesiae, Mgr Gänswein rapporte que Benoît XVI a considéré comme une «erreur» le motu proprio Traditionis custodes de 2020 avec lequel le pape François annulait les dispositions qu’il avait prises pour libéraliser la messe tridentine. Avec cette mesure, déclare Mgr Gänswein, la liturgie devient «un champ de bataille pour les camps opposés, faisant notamment de la célébration latine le rempart à défendre ou le bastion à abattre».
Selon le secrétaire, Benoît XVI se serait posé des questions sur les justifications d’une telle mesure. Il se serait notamment demandé pourquoi les résultats de l’enquête menée par le dicastère pour la Doctrine de la foi sur les effets dans les diocèses de son Motu proprio Summorum pontificum (2007) n’avaient pas été publiés. Il n’aurait par ailleurs pas apprécié la façon dont le pape François a utilisé son nom pour justifier sa réforme liturgique.
Une autre sortie médiatique de François, en 2014 dans le Corriere della Sera aurait déplu au pontife émérite. Le pape argentin avait semblé remettre en cause la pertinence du principe de «valeurs non-négociables», un des axes de l’enseignement politico-pastoral de Jean-Paul II auquel le cardinal Joseph Ratzinger avait personnellement contribué. Benoît XVI a entendu les remarques de François comme «une critique voilée du comportement antérieur de Jean-Paul II et du sien, comme pour dire que tout peut se négocier», assure Mgr Gänswein. (cath.ch/imedia/cd/mp)