Le pape exhorte la Curie à vivre une «conversion»
«La pire chose qui puisse nous arriver est de penser que nous n’avons plus besoin de conversion, tant au niveau personnel que communautaire», a affirmé le pape le 22 décembre 2022. Il s’exprimait lors de son traditionnel discours des vœux de Noël à la Curie romaine, qui constitue chaque année l’occasion de tracer le cap du gouvernement de l’Église.
Entré à pied dans la Salle des Bénédictions, marchant à l’aide d’une canne mais visiblement en forme, le pape a salué l’ensemble des responsables actuels et anciens de la Curie romaine, y compris le cardinal Becciu, actuellement suspendu de ses droits de cardinal électeur en raison du procès de ‘l’immeuble de Londres’. En rappelant que «beaucoup de choses se sont produites au cours de l’année écoulée», le pape a exhorté à la «gratitude», en expliquant que «parmi tous ces bienfaits, nous espérons qu’il y a aussi notre conversion. Celle-ci n’est jamais une affaire réglée», a-t-il averti.
Les 15 «maladies»
Délivrant un enseignement spirituel exigeant comme chaque année lors de ce discours, le pape a redit que «devant l’Évangile, nous restons toujours comme des enfants qui ont besoin d’apprendre. Croire que nous avons tout appris nous fait tomber dans l’orgueil spirituel», a averti le pontife argentin. Il a cité l’une des 15 «maladies» mentionnées lors de son célèbre discours de vœux à la Curie du 22 décembre 2014.
François a rappelé que le Concile Vatican II, commémoré en octobre dernier, avait été motivé par «la volonté de mieux comprendre l’Évangile, de le rendre plus actuel, vivant et opérant en ce moment de l’histoire». «Ce chemin est loin d’être terminé», a précisé François, en expliquant que «la réflexion actuelle sur la synodalité de l’Église découle précisément de la conviction que le parcours de compréhension du message du Christ est sans fin et nous interpelle continuellement». L’année 2023 sera marquée par une assemblée synodale décisive au Vatican du 4 au 29 octobre, après deux ans de processus vécu au niveau mondial pour réfléchir sur l’avenir de l’Église, et qui se poursuivra en 2024.
Ne pas cristalliser le message de Jésus
«Le contraire de la conversion, c’est le fixisme, c’est-à-dire la conviction cachée de n’avoir besoin d’aucune autre compréhension de l’Évangile. C’est l’erreur de vouloir cristalliser le message de Jésus dans une forme unique qui serait toujours valide». Le pape a invité à une adaptation face à la tendance du mal «à évoluer, à devenir de plus en plus insidieux, à se déguiser sous de nouvelles formes pour que nous ayons du mal à le reconnaître».
Mais il a aussi rappelé que «c’est trop peu de dénoncer le mal, y compris celui qui serpente entre nous. Ce qu’il faut faire, c’est, face à lui, décider une conversion», a insisté François. Il a exhorté à la vigilance et à exercer la pratique quotidienne de l’examen de conscience. Comme il l’avait fait lors de l’audience générale du 14 décembre dernier, le pape a mis en garde contre le piège tendu par «des démons éduqués, bien élevés».
Le contre-exemple de la tentation janséniste
Le pape est ainsi revenu sur l’échec des moniales de Port-Royal, qui avaient incarné la dérive janséniste au XVIIe siècle en France. «L’une de leurs abbesses, Mère Angélique, avait pris un bon départ: elle s’était réformée elle-même, de manière ›charismatique’, ainsi que le monastère, renvoyant de la clôture même ses parents. Elle était une femme pleine de talents, née pour gouverner», a rappelé le pape.
Mais ses qualités de gouvernement ont dérivé vers «une fermeture intransigeante y compris devant l’autorité ecclésiastique. D’elle et de ses moniales, on disait: ›Pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons’», a raconté le pape François, lecteur assidu de Blaise Pascal qui avait été proche de ce courant. «Elles avaient chassé le démon, mais il était revenu sept fois plus fort et, sous le couvert de l’austérité et de la rigueur, il avait apporté la rigidité et la présomption d’être meilleures que les autres», a rappelé le pontife.
Le pape s’explique sur sa propre dureté
Ceux qui travaillent au Vatican peuvent aussi «tomber dans la tentation de penser que nous sommes en sécurité, que nous sommes meilleurs, que nous n’avons plus besoin de nous convertir», a averti le pape François.
Il s’est expliqué sur sa propre dureté, qui a parfois blessé le personnel du Saint-Siège. «Excusez-moi, frères et sœurs, mais si parfois je dis des choses qui peuvent sembler dures et fortes, ce n’est pas parce que je ne crois pas à la valeur de la douceur et de la tendresse, mais parce qu’il est bon de réserver les caresses aux personnes fatiguées et opprimées, et de trouver le courage d’affliger les consolés, comme aimait à le dire le serviteur de Dieu don Tonino Bello, parce que parfois leur consolation n’est qu’une ruse du diable et non un don de l’Esprit», a expliqué le pape.
Promouvoir la paix et le pardon
Le pape est aussi revenu sur le titre de «Prince de la Paix» attribué par Isaïe au Messie. «Je pense à l’Ukraine martyrisée, mais aussi aux nombreux conflits qui se déroulent en différentes parties du monde. La guerre et la violence sont toujours un échec. La religion ne doit pas se prêter à alimenter les conflits», a insisté l’évêque de Rome.
«Alors que nous souffrons du déchaînement des guerres et de la violence, nous pouvons et devons apporter notre contribution à la paix en essayant de déraciner de nos cœurs toute racine de haine et de ressentiment envers les frères et les sœurs qui vivent à nos côtés», a déclaré le pape François, invitant les responsables de la Curie à se détacher de toute «amertume».
«S’il est vrai que nous voulons que la clameur de la guerre cesse faisant place à la paix, il faut alors que chacun commence par lui-même», a insisté François. «Il n’y a pas que la violence des armes, il y a la violence verbale, la violence psychologique, la violence de l’abus de pouvoir, la violence cachée des bavardages», a-t-il averti. «Devant le Prince de la Paix qui vient dans le monde, déposons toutes les armes de toutes sortes. Que personne ne profite de sa position et de son rôle pour mortifier l’autre», a demandé le pontife.
Pas «d’Eglise pure pour les purs»
«Une Église pure pour les purs n’est qu’une répétition de l’hérésie cathare», a-t-il aussi souligné en invitant à la miséricorde pour les personnes et les institutions. Il a rappelé que la Bible évoque largement «les limites et les défauts de beaucoup de ceux que nous reconnaissons aujourd’hui comme des saints». «Le pardon consiste à accorder une nouvelle chance, c’est-à-dire à comprendre que nous devenons des saints par tâtonnement», a insisté le pape.
«Toute guerre, pour s’éteindre, a besoin du pardon, sinon la justice devient vengeance, et l’amour n’est reconnu que comme une forme de faiblesse», a expliqué François en martelant que «dans le pardon, la toute-puissance de Dieu opère toujours».
Comme c’est la coutume chaque année, le pape a offert des livres aux participants: il s’agissait cette année de Vita di Gesù (Vie de Jésus) par Andrea Tornielli, le directeur éditorial des Médias du Vatican, et du livre d’entretien entre un prêtre, Don Benito Giorgetta, et un mafieux repenti, Luigi Buonaventura, intitulé Passiamo sull’altra riva (Passons sur l’autre rive), que le pape François a personnellement préfacé. (cath.ch/imedia/cv/rz)