La Cour de Strasbourg a donné la priorité à l'intérêt de l'enfant | © Pixabay.com/brankin62, Pixabay licence
Suisse

La CEDH renforce les droits des enfants nés d'une mère porteuse

La parentalité de deux pères, scellée par un tribunal étranger, doit également être reconnue en Suisse afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est ce qu’a décidé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt publié le 22 novembre 2022, concernant un couple partenarié saint-gallois et son enfant.

L’affaire concerne un couple de même sexe suisse, uni par un partenariat enregistré et ayant conclu un contrat de gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis à l’issue duquel est né un enfant en 2011. Le couple se plaignait du refus des autorités suisses de reconnaître le lien de filiation établi par un tribunal américain entre le père d’intention et l’enfant né par GPA. Seule la filiation entre le père génétique et l’enfant avait été reconnue.

Pour la CEDH, ce refus des autorités suisses ne poursuivait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Le délai trop long constitue une ingérence disproportionnée dans le droit de l’enfant au respect de sa vie privée protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Suisse a excédé sa marge d’appréciation en n’ayant pas prévu à temps dans sa législation, une telle possibilité.

Un long parcours judiciaire

Liés par un partenariat enregistré depuis 2011, les deux hommes ont conclu aux Etats-Unis un contrat de GPA . Un embryon issu d’un ovule d’une donneuse anonyme et du sperme d’un des deux hommes a été implanté dans l’utérus d’une mère porteuse. Une fois la grossesse confirmée, un tribunal californien a établi que les deux hommes étaient les parents légaux de l’enfant à naître. À sa naissance, un certificat de naissance conforme au jugement a été établi aux États-Unis.

En avril 2011, les requérants ont demandé aux autorités suisses de transcrire le certificat de naissance américain dans le registre d’état-civil. Leur demande a été rejetée par l’office d’état-civil du canton de Saint-Gall. En juillet 2013, les requérants ont effectué un recours devant le Département de l’intérieur du canton de Saint-Gall qui a admis leur l’inscription à l’état civil en tant que pères de l’enfant.

Mais quelques jours plus tard, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a formé un recours auprès du Tribunal administratif cantonal de Saint-Gall. Ce dernier a rejeté le recours de l’OFJ après avoir pesé les intérêts en jeu, en l’occurrence l’interdiction de la gestation pour autrui en Suisse et le bien de l’enfant. Reconnaissant ces deux principes comme faisant partie de l’ordre public suisse, il a considéré en substance que l’enfant ne devait pas subir les conséquences négatives du choix – certes regrettable – de ses parents.

Contourner la loi suisse

L’OFJ a alors interjeté un recours contre cette décision devant le Tribunal fédéral (TF). En mai 2015, le TF a admis le recours et annulé l’arrêt de la juridiction cantonale. Il a considéré que le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait bien une fraude à la loi. Le Tribunal fédéral a estimé que malgré la non-reconnaissance du lien de filiation entre le parent d’intention et l’enfant, sa situation serait suffisamment protégée par le système juridique suisse et donc conforme au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Une adoption rendue possible en 2018

En janvier 2018, une modification du code civil autorisant l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré est entrée en vigueur. Les requérants ont déposé une demande et les autorités cantonales prononcé l’adoption le 21 décembre 2018. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais la plainte devant la CEDH a été maintenue.

La reconnaissance du droit de l’enfant

Dans son arrêt de 2022, la CEDH a précisé que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requierait que le droit interne d’un pays offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention. Pour les juges, l’intérêt de l’enfant ne peut pas dépendre de la seule orientation sexuelle des parents.

La Cour considère que le refus de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger sans prévoir de modes alternatifs de reconnaissance dudit lien, pendant un laps de temps significatif, constituait une ingérence disproportionnée dans le droit de l’enfant au respect de sa vie privée.

En refusant de reconnaître la parentalité du parent non génétique, l’enfant n’aurait par exemple aucun droit d’héritage, d’entretien ou d’assistance envers ce parent, a expliqué à l’ATS Maria von Känel, directrice de l’association faîtière Familles arc-en-ciel Suisse. Pour elle, «le tribunal a placé le bien de l’enfant au centre de ses préoccupations».

La Cour dit que la Suisse devra verser à l’enfant 15’000 euros pour dommage moral et 20’000 euros pour frais et dépens.

Pas de reconnaissance de la GPA

Même s’il donne tort à la Suisse au regard du droit l’enfant, l’arrêt de la CEDH rejette la partie de la plainte concernant la violation du droit au respect de la vie familiale garanti par le même article 8 de la Convention.

Les juges relèvent que le refus de la Suisse de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une GPA et le parent d’intention visait des buts légitimes.

La volonté de la Suisse de décourager ses ressortissants à recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe dans le but de préserver les enfants et la mère porteuse, vise deux des objectifs énumérés par le même article 8 de la Convention, à savoir la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui. 

En ce sens, le refus du TF n’était n’est ni arbitraire ni déraisonnable. En outre, la non-reconnaissance par les autorités suisses de l’acte de naissance n’a en pratique pas affecté, de manière significative, la jouissance de leur vie familiale. Il n’y a donc pas eu de violation du droit au respect de la vie familiale, conclut l’instance. (cath.ch/mp)

La Cour de Strasbourg a donné la priorité à l'intérêt de l'enfant | © Pixabay.com/brankin62, Pixabay licence
23 novembre 2022 | 16:40
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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