L'abbé Pierre-Yves Maillard et Sylvie Masserey (PLR/VS) ont débattu sur l'introduction du suicide assisté dans les EMS valaisans | © Bernard Hallet
Suisse

Vers le suicide assisté dans tous les EMS du Valais?

Le peuple valaisan votera le 27 novembre 2022 sur la loi sur les soins palliatifs et le suicide assisté en EMS. Un des enjeux est d’autoriser le suicide assisté dans tous les EMS du canton.

Propos recueillis par Maurice Page – Photos Bernard Hallet

Sylvie Masserey Anselin, députée PLR, membre de la commission de la santé, des affaires sociales et de l’intégration (SAI) et l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion, membre du comité Pro-Liberty opposé à la loi, en débattent pour cath.ch

Quel est l’enjeu principal du vote sur cette nouvelle loi?
S.Masserey: Cette base légale, qui a suscité de long débats, a eu beaucoup de difficulté à aboutir. On constate que l’on touche à la question de fond du suicide assisté. Par son acceptation ou son refus, le peuple valaisan nous donnera un signal de sa perception.

L’objectif de la loi est d’établir un cadre pour garantir à tous les résidents en EMS leur droit à l’autodétermination. Aujourd’hui, nous sommes tributaires de ce que la direction de chaque établissement met en place. Nous devons aussi fixer un cadre parce que nous ne sommes pas à l’abri de dérives.

Pierre-Yves Maillard (g.) et Sylvie Masserey dans un débat modéré par Maurice Page de la rédaction de cath.ch| © Bernard Hallet

P-Y. Maillard: Si cette loi a eu tant de mal à aboutir, n’est-ce pas le signe qu’elle n’est pas bien posée? Le sens de l’engagement du comité Pro-Liberty vise à rappeler qu’il ne faut pas confondre une liberté individuelle avec un droit. Qu’une personne souhaite être aidée à se suicider c’est une liberté que personne ne conteste. Mais nous ne voyons pas la nécessité d’en faire un droit inscrit dans la loi.

On peut imaginer que des assistances au suicide se déroulent dans un hôtel. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de faire une loi pour dire que les hôtels sont obligés de le faire. Cela devrait valoir à fortiori pour des établissements qui s’inscrivent dans une démarche de soins comme les EMS. Qui dit droit, dit obligation. Cela signifie que l’on contraint la liberté de conscience des établissements, de leurs responsables et des soignants. Il ne s’agit pas d’interdire l’assistance au suicide.

Se pose néanmoins la question de l’égalité de traitement.
S. Masserey: Les gens qui sont en institution ne sont pas à l’hôtel. Ils sont dans leur dernier lieu de vie. C’est leur chambre, leurs meubles, leurs photos de famille… Si ces personnes ne peuvent pas faire appel à l’assistance au suicide dans ce lieu, elles devront sortir de l’établissement.
La liberté personnelle ou l’autodétermination est un droit garanti par la Constitution fédérale. C’est une question d’égalité de traitement. Si nous devons aujourd’hui établir une base légale en Valais c’est que nous avons des établissements qui n’acceptent pas cette question.

P-Y. Maillard: La question de l’égalité de traitement me paraît précisément comme une faiblesse de cette loi. Celle-ci introduit en effet une différenciation entre les personnes en EMS et celles qui se trouvent dans des institutions spécialisées. L’art.7.3 prévoit dans ce cas que l’assistance au suicide peut se faire à l’extérieur de l’établissement, si cela peut perturber les autres résidents. Pourquoi n’applique-t-on pas ce même principe aux EMS? Pourquoi ne pas avoir considéré qu’on pouvait mettre d’autres lieux à disposition?

«Qu’une personne souhaite être aidée à se suicider c’est une liberté que personne ne conteste. Mais nous ne voyons pas la nécessité d’en faire un droit inscrit dans la loi.»

S. Masserey: C’est une disposition pour des situations très particulières, en institutions sociales, en présence de personnes qui pourraient être atteintes de graves troubles psychiques. Il est évident que les choses doivent s’organiser pour que les personnes qui pourraient être heurtées par cet acte soient protégées.

Quelle est la nécessité ou l’utilité de la loi pour ce qui devrait rester l’exception?
P-Y. Maillard: On peut effectivement se poser la question de l’opportunité d’une loi pour un nombre si restreint de cas. Il faut aussi rappeler qu’une grande majorité des institutions auditionnées ont estimé que la loi n’était pas nécessaire. Il y a d’autres moyens d’agir pour accueillir et accompagner ces demandes.

S. Masserey: Si on parle des personnes concernées, il faudrait consulter non seulement les directions des établissements mais aussi les patients et les résidents des EMS. Nous ne connaissons pas leur avis. C’est la raison pour laquelle la population valaisanne, parmi laquelle sans aucun doute beaucoup de futurs résidents d’EMS, décidera.

Nous n’avons pas de chiffres officiels sur le suicide assisté en Valais. Pour les cantons romands nous avons les chiffres d’Exit qui est la principale association qui pratique l’aide au suicide. Pour 2021, elle annonce 349 cas d’assistance au suicide à domicile et 68 en EMS ou institutions médico-sanitaires soit 20%.  C’est une réalité qu’on ne peut nier. En ne légiférant pas, je pense que l’on perd du temps et qu’on prend le risque d’être, à un moment donné, dépassé.

| © Bernard Hallet

Sur le fond, existe-t-il un droit au suicide et à l’assistance au suicide?
P-Y. Maillard: Les partisans invoquent un arrêt du Tribunal fédéral qui fait obligation au canton de Neuchâtel d’autoriser l’assistance au suicide dans les EMS. Mais il faut constater que l’arrêt du TF ne se prononce pas sur le fond mais uniquement sur l’obligation du canton d’appliquer sa propre loi. On ne peut pas utiliser cet argument pour dire qu’il faut le faire en Valais.

Cet arrêt fédéral rappelle d’ailleurs opportunément qu’il n’y a pas de droit au suicide assisté que l’État devrait garantir. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’en fait pas davantage état.

«Les personnes qui font ce choix et qui vont jusqu’à l’accomplissement de l’acte ne le font pas parce qu’elles ont trouvé sur une table un fascicule d’une association.»

Sylvie Masserey

S. Masserey: Il s’agit d’un ‘droit-créance’ ou droit liberté. On ne peut pas exiger de l’État de fournir l’assistance au suicide. Je partage cet avis. Cela reste un choix individuel, mais qui doit pouvoir être entendu et respecté. On peut légitiment considérer que l’arrêt du TF valide la base légale établie à Neuchâtel qui est assez similaire à celle que nous proposons pour le Valais.

Il y a-t-il un risque de banalisation ou de promotion du suicide assisté
S.Masserey: C’est une question légitime. Mais je pense que c’est donner trop peu de considération à une décision qui est le résultat d’un long processus de réflexion. Les personnes qui font ce choix et qui vont jusqu’à l’accomplissement de l’acte ne le font pas parce qu’elles ont trouvé sur une table un fascicule d’une association.

P-Y. Maillard: Je voudrais vraiment que vous ayez raison. Mais j’ai des confidences de personnes qui me disent que ce n’est pas forcément le cas. Pour certains, il ne s’est passé que quelques jours entre le moment de l’inscription et le passage à l’acte.

S.Masserey: Effectivement entre la décision de la personne, sa validation et son exécution, le processus peut aller assez vite, mais cela ne veut pas dire que la question n’a pas mûri à l’intime de la personne entre le moment où elle débute le cheminement et le moment où elle ose l’exprimer.

La loi prévoit que le médecin atteste de la capacité de discernement d’une personne qui demande le suicide assisté. Est-ce bien son rôle?
S.Masserey: La loi sur la santé et la loi actuelle fixent le principe de l’objection de conscience pour le médecin qui ne pourra jamais être contraint de participer à une démarche d’assistance au suicide. Le recours à un autre médecin est alors prévu. Il faut souligner aussi que ce n’est jamais le médecin qui pratique l’acte.

| © Bernard Hallet

Aurait-on pu confier l’examen de la demande de suicide assisté à une autre instance que le médecin?
S.Masserey: Vu les réticences exprimées dans le canton, on craignait la création de commissions d’éthique qui auraient pu devenir des commissions de morale arbitraire.

P-Y. Maillard: Nous privilégions au contraire les approches circonstanciées, au cas par cas, plutôt que les appareils législatifs. Les comités d’éthique fonctionnent et son mieux à même d’accompagner les situations individuelles, qui sont toujours particulières.

«Si la mort est normale, un suicide n’est pas normal. Il peut remettre en cause le sens de l’engagement professionnel de certains soignants.»

Pierre-Yves Maillard

Le personnel soignant est aussi concerné.
S.Masserey: La loi précise qu’un soignant ne peut pas, à titre professionnel, participer à l’assistance au suicide. Il le pourrait à titre personnel et volontaire dans des cas particuliers en ayant par exemple développé une relation intime avec un résident.

P-Y. Maillard: Même s’il ne participe pas, il n’en est pas moins impacté.  

S.Masserey: Le soignant sera impacté comme à la mort d’un autre résident. Ces gens sont confrontés au quotidien avec la mort.

P-Y. Maillard: Oui mais dans le contexte très différent d’une mort naturelle. Si la mort est normale, un suicide n’est pas normal. Il peut remettre en cause le sens de l’engagement professionnel de certains soignants: «Je me suis occupé de cette personne depuis des années et maintenant elle fait appel au suicide assisté. Ai-je mal fait mon travail?»

Le suicide dit ‘ordinaire’ et le suicide assisté sont-ils deux démarches différentes?
S.Masserey: Je n’aime pas ce terme de suicide ‘ordinaire’ mais je n’en ai pas de meilleur. Face à un suicide ‘ordinaire’ on parle d’un suicide assisté sous conditions de maladie incurable ou de souffrances insupportables. On ne parle pas de quelqu’un qui fait un choix entre la vie et la mort, mais de quelqu’un qui, à un moment donné du processus le menant vers une mort certaine, fait le choix de l’anticiper et décide de partir.
En cela c’est différent. Si cette personne faisait le choix de renoncer aux soins, ou de s’alimenter, devrait-on considérer cela comme une forme de suicide? La médecine n’est pas capable de supprimer toute les souffrances.
Pour les familles qui ont été confrontées à un suicide ‘ordinaire’ et à un suicide assisté, la perception n’est pas la même. 

P-Y. Maillard: Je ne peux évidemment pas souscrire à cette vision. Un suicide, assisté ou non, reste une mort violente. C’est toujours un choix entre la vie et la mort, quelles que soient les circonstances et le moment.
D’ailleurs une mort par suicide assisté exige un constat de la police qui doit s’assurer que la procédure a été correcte.
Lorsqu’on parle de soins palliatifs et de sédation profonde, il y a philosophiquement une différence essentielle à maintenir entre le but et la conséquence. L’arrêt de certains traitements ou l’administration de morphine peut avoir pour conséquence de provoquer la mort. Le but reste de soulager la souffrance. Mais avec la remise d’une solution létale dans le cadre de l’assistance au suicide, le but est bien de faire mourir.

«Dans mon EMS à moi, je ne veux pas d’un directeur d’établissement qui aidera le résident à préparer sa valise et à le raccompagner à la porte de l’établissement afin qu’il puisse exercer ses dernières volontés.»

S.Masserey: La question est: ‘pour qui décidons-nous? Ai-je le droit de décider pour moi et d’en décider pour les autres?’ Ce qui compte c’est la compassion. Et de ne pas mettre une chape de honte sur cette question.
Je ne fais pas d’apologie de l’assistance au suicide, mais je crois que nous devons développer la capacité d’entendre les demandes et d’encadrer la réponse que nous pouvons y apporter. On peut craindre aussi d’avoir des demandes des personnes «fatiguées de la vie», ce que la loi permet d’éviter. 

Que retenez-vous comme conclusion?
P-Y. Maillard: Je réponds avec une illustration qui peut paraître un peu dure mais qui je crois est assez significative. Un résident d’un home demande au directeur de l’accompagner sur la terrasse. – «Bien volontiers.» – «Pouvez-vous m’aider à enjamber la balustrade parce que je veux me jeter en bas» – «Mais non quelle horreur !» Il s’agit quand même un peu de cela. A nos yeux, une institution doit pouvoir conserver la liberté de dire à cette personne : «Nous entendons votre détresse, nous allons vous accompagner, mais sachez qu’ici personne ne vous aidera à enjamber la balustrade».  

S.Masserey: Dans mon EMS à moi, je ne veux pas d’un directeur d’établissement qui aidera le résident à préparer sa valise et à le raccompagner à la porte de l’établissement afin qu’il puisse exercer ses dernières volontés. (cath.ch/mp/bh)

Le suicide assisté en Suisse
Le développement du suicide assisté en Suisse repose en fait sur l’article 115 du code pénal, datant de 1937, qui prévoit que «Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le sui­cide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire».
La jurisprudence en a déduit qu’en l’absence de ‘mobile égoïste’ l’assistance au suicide n’était pas punissable.
«Mais on était à mille lieues de penser en 1937 à l’assistance au suicide que l’on connaît aujourd’hui», souligne Pierre-Yves Maillard. Il s’agissait par exemple alors de ne pas punir l’assistance au suicide d’un soldat qui aurait été porteur de secrets militaires et dont la mort était le seul moyen de les protéger.» Le conseil fédéral a refusé pour l’heure de réviser cet article. MP

L'abbé Pierre-Yves Maillard et Sylvie Masserey (PLR/VS) ont débattu sur l'introduction du suicide assisté dans les EMS valaisans | © Bernard Hallet
13 novembre 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 9  min.
Partagez!