Jean-Pierre Ricard, cinquième cardinal mis en cause pour abus
Le cardinal français Jean-Pierre Ricard a publiquement admis, le 7 novembre 2022, avoir eu, 35 ans plus tôt, un «comportement répréhensible» vis-à-vis d’une fille de 14 ans. Dans l’histoire récente, quatre autres cardinaux dans le monde ont été mis en cause pour des comportements délictueux en matière sexuelle. Rappel des faits.
Le Vatican n’a pas encore diffusé de réaction officielle suite à la révélation par le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, de la lettre de son prédécesseur, le cardinal Jean-Pierre Ricard, admettant un abus commis sur une adolescente lorsque ce dernier était curé dans le diocèse de Marseille.
Dans l’histoire récente, quatre autres cardinaux de l’Eglise universelle ont été mis en cause pour des comportements délictueux en matière sexuelle. Il s’agit des prélats autrichien Hans Hermann Groër, écossais Keith Michael Patrick O’Brien, australien George Pell, et américain Theodore McCarrick. Des affaires qui ont montré une évolution de l’attitude du Saint-Siège vers une plus grande fermeté et un recours à la justice civile.
Le retour en grâce de George Pell
Le cas le plus retentissant, qui a retardé la réforme financière souhaitée par le pape François, a concerné le cardinal australien George Pell. L’ancien archevêque de Melbourne puis de Sydney, appelé au Vatican en tant que préfet du secrétariat pour l’Economie lors de la création de ce dicastère en février 2014, a fait face à un procès dans son pays d’origine pour des accusations d’abus sur deux enfants de chœur.
Condamné en première instance à six ans de prison ferme, en décembre 2018, et incarcéré peu après la publication du jugement en février 2019, il a finalement été relaxé et libéré par la Haute Cour de Justice en mars 2020. En décembre 2018, il avait été relevé de sa charge de membre du Conseil des cardinaux, officiellement pour raison d’âge, en pratique certainement en raison de sa condamnation, alors tenue secrète. Mais ses prérogatives de cardinal avaient été maintenues, et il était père synodal de plein droit lors du Synode sur les jeunes, en octobre 2018, même sans pouvoir y participer physiquement.
Au début de l’été 2017, afin de pouvoir rentrer en Australie pour se confronter à la justice civile, le cardinal Pell avait été mis en congé par le pape de sa charge de préfet du secrétariat pour l’Économie, mais il en avait conservé le titre, demeurant donc chef de dicastère jusqu’à l’échéance de son quinquennat en février 2019. Revenu à Rome après son acquittement, et personnellement soutenu par le pape François malgré leurs profondes différences idéologiques, le cardinal Pell n’a perdu son mandat de cardinal électeur qu’à son 80e anniversaire, le 8 juin 2021.
O’Brien et McCarrick, deux cardinaux déchus
En revanche, deux autres affaires ont amené le pape François à remettre en question la dignité cardinalice des prélats concernés. Le cardinal Keith Michael Patrick O’Brien (1938-2018), qui fut archevêque d’Édimbourg de 1985 à 2013, avait annoncé le 20 mars 2015 sa renonciation aux «droits et prérogatives» du cardinalat, autrement dit à son mandat de cardinal électeur. Il ne l’était déjà plus, de facto, car il n’avait pas participé au conclave de 2013 après avoir été mis en cause par trois prêtres et un ancien séminariste pour des «comportements indécents». Il est cependant demeuré cardinal et évêque jusqu’à son décès en mars 2018, au surlendemain de son 80e anniversaire.
Une plus grande fermeté fut appliquée à l’encontre de Theodore McCarrick (né en 1930), archevêque de Washington de 2000 à 2006, créé cardinal par Jean Paul II en 2001. Encore très médiatique et actif malgré son âge avancé, il a été suspendu par le Vatican en juin 2018 après avoir été accusé d’abus sur un enfant de chœur, puis relevé de son cardinalat en juillet 2018.
Il a finalement été renvoyé de l’état clérical en février 2019, la congrégation pour la Doctrine de la foi l’ayant reconnu coupable de sollicitation d’actes sexuels en confession et de violences sexuelles sur d’anciens séminaristes, avec la circonstance aggravante de l’abus de pouvoir. Il vit désormais reclus dans une communauté aux États-Unis.
De façon inédite, la secrétairerie d’État du Saint-Siège a diffusé, le 10 novembre 2020, un rapport très détaillé sur les relations entre le Vatican et l’ex-cardinal américain, mettant en avant des failles dans sa promotion épiscopale. Jean Paul II avait choisi de le nommer archevêque de Washington en l’an 2000 malgré des avertissements négatifs sur son attitude.
Affaire Groër: le silence de Jean Paul II
La possibilité de remettre ouvertement en cause la dignité cardinalice d’un prélat marque une évolution majeure. Dans les années 1990, la mise en cause du cardinal Hans Hermann Groër (1919-2003), archevêque de Vienne de 1986 à 1995, accusé d’abus sur des centaines de jeunes hommes, n’avait provoqué aucune réaction publique de Jean Paul II.
Face à la profonde crise traversée par l’Église en Autriche du fait de ce scandale, Mgr Christoph Schönborn, qui fut son évêque auxiliaire puis son coadjuteur avant de lui succéder, reconnaît en 1998 que les accusations à l’encontre de son prédécesseur étaient «pour l’essentiel, fondées». Mais aucune sanction officielle ne fut prise à son encontre, et ses obsèques furent célébrées avec solennité en 2003 à la cathédrale de Vienne.
Plusieurs années plus tard, en 2010, le cardinal Schönborn a reproché au cardinal Angelo Sodano, ancien secrétaire d’État, d’avoir empêché le cardinal Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, de mener une enquête sur les agissements du cardinal Groër. Même si la frustration des victimes demeure réelle face aux lenteurs de l’Église et du Vatican, une nette inflexion s’est donc faite sentir ces dernières années.
Le cardinal Ricard, un cas inédit
L’aveu du cardinal Ricard représente un cas inédit, puisque l’archevêque émérite de Bordeaux a lui-même porté les faits à la connaissance du public, assurant se tenir «à la disposition de la justice». Sur le plan canonique, le pape François peut prendre l’initiative de lever la prescription.
Il pourrait par ailleurs relever le cardinal Ricard de ses prérogatives de cardinal électeur et de membre du dicastère pour la Doctrine de la foi, voire de son cardinalat en tant que tel, si les procédures civiles et canoniques récemment engagées aboutissent à une condamnation.
Le recours à la justice civile, une évolution récente
À ces cas d’accusations d’abus visant directement des cardinaux, s’ajoutent les procédures liées à la mauvaise gestion par un cardinal des affaires survenues dans son diocèse. Le cardinal français Philippe Barbarin, alors archevêque de Lyon, a dû faire face à une procédure devant la justice française pour ne pas avoir dénoncé les agissements pédocriminels du Père Bernard Preynat. Condamné en première instance en mars 2019, il a finalement été relaxé par la Cour d’appel de Lyon le 30 janvier 2020. Un verdict confirmé par la Cour de Cassation le 14 avril 2021.
Après sa condamnation en première instance, le pape François avait dans un premier temps refusé d’accepter la démission du cardinal Barbarin, finalement formalisée le 6 mars 2020. Mais bien que n’étant plus en charge d’un diocèse, il demeure pleinement cardinal, et restera électeur jusqu’à son 80e anniversaire, le 17 octobre 2030.
Si la non-acceptation de la démission du cardinal Barbarin avait dans un premier temps suscité une certaine incompréhension dans l’opinion publique, la volonté du pape François de laisser la justice civile suivre son cours jusqu’au bout, en considérant les cardinaux comme des justiciables comme les autres, a montré une évolution significative dans le rapport entre le Vatican et le monde civil.
Près de 20 ans plus tôt, la mise en cause en 2002 du cardinal Bernard Francis Law, archevêque de Boston, pour sa mauvaise gestion des scandales massifs d’abus dans son diocèse, n’avait pas conduit à un procès canonique ou civil. L’affaire avait simplement conduit à sa démission et à son exfiltration vers Rome, où il devint archiprêtre de la basilique Sainte-Marie-Majeure de 2004 à 2011. Il a fini sa vie à Rome, en 2017, quelques mois après la diffusion du film Spotlight qui avait remis cette affaire sur le devant de la scène.
Si son successeur, le cardinal O’Malley, a été reconnu pour sa fermeté en devenant archevêque de Boston et président de la commission pontificale pour la protection des mineurs, la protection accordée par Jean Paul II au cardinal Law demeure aujourd’hui un sujet de contentieux entre le Vatican et les associations de victimes aux États-Unis.
Une lente évolution de la justice canonique
Alors que le pape polonais et son entourage, marqués par l’expérience du nazisme et du communisme, se méfiaient des accusations extérieures, perçues comme des tentatives de déstabilisation de l’Église, le pape François suit une autre attitude. Elle vise à rapprocher le Vatican des standards du droit international dans le domaine de la lutte contre la pédo-criminalité.
Cette démarche, qui s’inscrit dans la continuité des efforts amorcés par Benoît XVI, ouvre la voie à de douloureuses procédures. À son rythme, l’Église cherche à trouver un modèle de justice plus transparente et adaptée à la culture actuelle.
Dans son propre périmètre, le droit canonique opère encore dans la discrétion. Les évêques de France ont toutefois assuré vouloir demander au Saint-Siège de rendre publiques les sanctions canoniques infligées aux évêques, afin de «respecter la maturité du peuple de Dieu». (cath.ch/imedia/cv/rz)