Le Bahreïn est-il réellement le "bon élève" des droits humains dans le Golfe? Vue de Manama, la capitale du Bahreïn © Chris Price/Flickr/CC BY-ND 2.0
International

Le pape interpellé sur la discrimination des chiites au Bahreïn

Le pape François doit se rendre du 3 au 6 novembre 2022 au Bahreïn. Un groupe d’activistes américains l’a toutefois exhorté à renoncer à sa visite ou à interpeller publiquement la prétendue discrimination exercée par le gouvernement sunnite de ce pays du Golfe sur la population chiite.

L’islam sunnite est religion d’État au Royaume de Bahreïn, où la famille sunnite Al Khalifa dirige le pays depuis son indépendance en 1971. Les près de 2 millions d’habitants de l’archipel sont cependant à plus de 70% chiites. Les personnes de toutes confessions y ont officiellement droit à la liberté de culte et peuvent y mener librement des activités religieuses et des prêches.

Le pays bénéficie plutôt d’une image de «bon élève» sur le plan de la démocratie, des droits humains et de la liberté religieuse. La Constitution du Royaume garantit notamment le droit à la liberté de religion dans les espaces publics et privés. Le roi Hamed ben Issa Al Khalifa a été félicité par les dirigeants catholiques pour avoir fait don du terrain sur lequel a été construite la plus grande église catholique de Bahreïn, la cathédrale Notre-Dame d’Arabie, consacrée en décembre 2021.

Demande d’annulation de visite

Le pape François se rendra en visite officielle à Bahreïn du 3 au 6 novembre pour assister à une conférence interconfessionnelle intitulée «L’Orient et l’Occident pour la coexistence humaine». D’autres dirigeants religieux de premier plan devraient s’y rendre, dont le grand imam de l’Université cairote d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayyeb. Il s’agira de la toute première visite d’un pape au Bahreïn et d’un nouvel effort de François pour faire progresser les relations interreligieuses, en particulier avec la communauté musulmane.

La démarche n’enthousiasme cependant pas tout le monde. Dans une déclaration publiée le 12 octobre 2022, le groupe Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain (ADHRB) a estimé que les actes d’amitié envers certaines religions «n’absolvaient pas un dictateur de sa répression et du harcèlement des autres religions», rapporte le média catholique Crux. Les activistes ont appelé le pape François à «reconsidérer cette visite en raison de la discrimination rampante contre les chiites au Bahreïn ou à attirer l’attention sur ces violations s’il choisit de poursuivre sa visite.»

Des droits religieux juste sur le papier?

Le groupe américain note que la majorité chiite est «délibérément maintenue à l’écart par la discrimination religieuse, le harcèlement et la force.» Pour les activistes, «les droits religieux ne sont qu’un subterfuge, imprimé sur le papier comme un moyen pour la famille régnante bahreïnienne d’accéder aux avantages de l’amitié avec des dirigeants mondiaux plus puissants et d’occulter la tragédie de leurs violations des droits de l’homme».

Des reproches en partie corroborés par des instances étatiques. Le rapport 2020 du Département d’État américain sur la liberté de religion dans le monde note ainsi que le gouvernement de Bahreïn «a continué à interroger, détenir et arrêter des religieux et d’autres membres de la communauté chiite majoritaire».

Des ONG internationales et locales ont signalé que la police avait convoqué une dizaine de personnes, dont des religieux, dans les jours précédant et suivant la commémoration de l’Achoura, l’un des jours les plus importants du calendrier religieux chiite. Le gouvernement aurait également surveillé et réglementé le contenu de tous les sermons religieux. Les chaînes de télévision publiques ont continué à diffuser les sermons du vendredi de la plus grande mosquée sunnite du pays, la mosquée al-Fateh, mais pas ceux des mosquées chiites.

Citant des dirigeants et des militants communautaires chiites, le rapport indique que le gouvernement bahreïni «continue d’accorder aux citoyens sunnites un traitement préférentiel pour les postes du secteur public» et que les taux de chômage, la pauvreté et les possibilités limitées d’avancement professionnel touchent de manière disproportionnée la communauté chiite.

Vie difficile pour les chrétiens

L’ADHRB affirme que le «harcèlement» de la communauté musulmane chiite est «un point de contrôle dans l’objectif des Al-Khalifa de se maintenir au pouvoir.» Le groupe fait notamment référence au soulèvement pro-démocratique de 2011, mené en grande partie par des musulmans chiites qui réclamaient des réformes gouvernementales en faveur de leurs partis et de leurs communautés. Le rapport du Département d’Etat américain relève toutefois qu’en mars 2020, le roi Al Khalifa a publié un décret graciant 901 détenus, dont de nombreux chiites.

Même si les chrétiens de Bahreïn, qui représentent environ 10% de la population, bénéficient effectivement d’une liberté religieuse plus étendue que dans les pays voisins, leur situation n’est pas optimale non plus. Ils sont pour la plupart des immigrés de divers pays d’Asie venus pour occuper de petits emplois, et leurs conditions de vie sont souvent précaires. (cath.ch/crux/arch/rz)

Le Bahreïn est-il réellement le «bon élève» des droits humains dans le Golfe? Vue de Manama, la capitale du Bahreïn © Chris Price/Flickr/CC BY-ND 2.0
17 octobre 2022 | 11:25
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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