Cecilia Marogna connaissait le cardinal Becciu depuis 2015 | capture I.Media
Vatican

Le cardinal Becciu voulait enterrer «l'affaire Cecilia Marogna»

Entendu comme témoin lors de la 28e audience du procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’, le 12 octobre 2022, le commissaire de la gendarmerie vaticane, Stefano De Santis, a rapporté que le cardinal Angelo Becciu lui avait demandé de ne pas faire sortir le nom de Cecilia Marogna dans leur enquête. Le haut prélat a reconnu les faits, affirmant qu’il s’agissait de défendre le secret pontifical qui pesait sur l’embauche de celle qui se présente comme «experte en diplomatie informelle».

L’agence I.MEDIA, qui a assisté à l’audience, revient sur les différentes révélations faites par le chef de la gendarmerie vaticane concernant l’enquête menée par ses services.

1- La rencontre du cardinal Becciu et du commissaire

Le commissaire a rapporté que Gianluca Gauzzi Broccoletti, le commandant de la gendarmerie vaticane, avait reçu un message du cardinal Becciu alors qu’il était avec lui dans l’après-midi du 3 octobre 2020. Le haut prélat s’était plaint de l’activité des magistrats et leur aurait demandé de venir le voir.

Le cardinal sarde avait été déchu de ses droits de cardinaux neuf jours auparavant et mis en cause par la presse italienne. Le chef de la gendarmerie a souligné combien les gendarmes étaient liés d’affection envers lui, rappelant qu’il leur lisait chaque année le message du pape François à l’occasion de la fête de la gendarmerie. Il explique s’être rendu au rendez-vous «la mort dans l’âme ».

Lors de cette rencontre, le commissaire aurait alerté le cardinal Becciu sur les 100’000 euros versés à sa demande à la coopérative sarde SPES à Ozieri, gérée par son frère, et sur les dépenses de Cecilia Marogna, auquel la Secrétairerie d’État aurait versé des sommes importantes à la demande du haut prélat. «Attention éminence, cette personne n’utilise pas l’argent comme vous le pensez», lui aurait-il déclaré à propos de la Sarde.

Le cardinal Becciu a déclaré avoir eu recours aux services de Cecilia Marogna pour permettre la libération d’une religieuse colombienne enlevée par un groupe islamiste du Sahel. Au moment de la rencontre entre le cardinal et les gendarmes, aucune information sur Cecilia Marogna n’a encore été révélée dans la presse – elle s’exprimera sur ces accusations 3 jours plus tard, le 6 octobre.

Le cardinal aurait alors demandé aux chefs de la gendarmerie vaticane de «protéger» Cecilia Marogna, leur assurant que cette affaire risquait de faire porter un grand «préjudice à lui et à sa famille». Il a alors proposé de rembourser personnellement les sommes versées par la Secrétairerie d’État à Cecilia Marogna avec son compte à la banque vaticane, l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), a rapporté De Santis.

2- La version du cardinal Becciu

Le cardinal Becciu, présent à l’audience, a tenu à donner spontanément sa version des faits: selon lui, il n’aurait pas demandé la rencontre avec les deux chefs de la gendarmerie vaticane. Il affirme les avoir contactés pour se plaindre de la presse après avoir lu un article du Corriere della Sera qui affirmait qu’il avait envoyé 700’000 euros en Australie pour compromettre son rival le cardinal George Pell, mis en cause dans une affaire d’abus sur mineurs.

Ce serait, selon le cardinal, le commandant Gauzzi Broccoletti qui aurait proposé de lui rendre visite avec le commissaire De Santis. Les deux hommes l’auraient pressé de garder cette rencontre secrète parce qu’elle interférait dans l’enquête en cours, a-t-il affirmé, se disant surpris qu’ils l’évoquent désormais.

L’ancien substitut a reconnu s’être «arraché les cheveux» quand ils ont évoqué le cas de Cecilia Marogna, rappelant, comme il l’avait déjà expliqué dans une précédente audience, qu’il s’agissait d’une «opération dont seuls le Saint-Père et [lui]-même» avaient connaissance. Mais il ne pouvait les en informer, a souligné son avocat, parce qu’il risquait de révéler l’ensemble de l’opération de libération de la religieuse colombienne, que le pape lui avait demandé de tenir secrète.

Le cardinal Becciu a nié avoir invoqué les risques pesant sur sa famille pour tenter de couvrir l’affaire Cecilia Marogna. Il dit avoir exprimé son inquiétude pour les siens, éclaboussés par l’enquête ouverte sur les sommes versées par la Secrétairerie d’État à la SPES, dans laquelle sont impliqués son frère Antonino – en tant que gérant de la coopérative – mais aussi son cousin germain, Don Mario Puzzu, à la tête de la Caritas du diocèse d’Ozieri. Il a reconnu avoir souhaité rembourser l’argent versé à Cecilia Marogna parce qu’il considérait que si l’argent avait été mal utilisé, c’était de sa faute. Mais le commandant lui aurait expliqué qu’il n’était pas à blâmer parce qu’il avait été escroqué.

3 – L’enquête concernant Cecilia Marogna

Le chef de la gendarmerie a expliqué en détail comment ses services avaient enquêté sur l’utilisation faite par Cecilia Marogna des 575’000 euros versés par la Secrétairerie d’État pour ses services. Il a expliqué que ce nom est apparu dans leur enquête sur l’immeuble de Londres, quand Interpol leur a annoncé en mars 2020 avoir reçu une signalisation de la police criminelle slovène sur l’utilisation suspecte d’argent versé par le Saint-Siège à une société domiciliée en Slovénie – nommée Logsic – qui appartenait à l’Italienne.

En tout, la secrétairerie d’État a effectué 9 transferts à la société entre 2018 et 2019. La gendarmerie a pu retracer l’utilisation des 575’000 euros touchés par Cecilia Marogna: 436’009 euros ont été dépensés en 20 mois, de décembre 2019 à octobre 2020. Sur cette somme, a expliqué Stefano De Santis, 117’000 ont servi à acheter des vêtements et produits cosmétiques, 70’000 euros ont été retirés en espèces. L’argent a aussi servi à payer le loyer d’une maison à Cagliari (Sardaigne) – dont Cecilia Marogna est originaire – ainsi que l’école de sa fille, qu’elle élève seule.

Le commissaire a expliqué avoir aussi recoupé ces dépenses en utilisant les informations trouvées sur le profil Facebook de Cecilia Marogna, qui était libre d’accès. Lors de l’audience, il a présenté de nombreuses photos de voyages ou de sorties postées sur le réseau social, faisant correspondre chaque information à une dépense. Il a par exemple présenté une photo postée par l’Italienne en mai 2019 dans un bar à Ibiza, en Espagne, ainsi que les traces bancaires d’une transaction de 197 euros dans ce lieu.

4- L’intérêt tout particulier de Cecilia Marogna pour le Vatican

Le profil Facebook de Cecilia Marogna a aussi permis à la gendarmerie d’en apprendre plus sur ses visites au Vatican, notamment grâce à des photos prises à l’intérieur du petit État. Le commissaire a présenté une photo prise depuis le Palais apostolique, cœur du gouvernement du Vatican, ou encore de l’intérieur de l’appartement du cardinal Becciu, alors substitut, avec comme légende: «Je me sens chez moi, mon paradis». Une autre photo indique qu’elle a aussi visité les bureaux du cardinal quand il a été nommé préfet de la Congrégation pour la cause des saints.

Stefano De Santis a également expliqué que dès 2016, le commandant de la Gendarmerie vaticane de l’époque, Domenico Giani, avait rencontré Cecilia Marogna à la demande du substitut Angelo Becciu. Échangeant des mails avec le responsable, la femme aurait tenté sans succès d’obtenir un poste au sein de la gendarmerie. Dans un mail, elle aurait ensuite suggéré à Domenico Giani que ses compétences pouvaient être plus utiles dans une «structure de renseignement du Vatican», dans le cas où une telle entité existait – ce que le commissaire De Santis a fermement nié.

L’audience a été interrompue après 3h40 et reprend le lendemain 13 octobre 2022. (cath.ch/imedia/cd/ic/rz)

Cecilia Marogna connaissait le cardinal Becciu depuis 2015 | capture I.Media
13 octobre 2022 | 11:01
par I.MEDIA
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