Irlande du Nord: la majorité catholique mènera-t-elle à l’unification?
D’après un recensement publié fin septembre 2022, les catholiques sont devenus plus nombreux que les protestants en Irlande du Nord. Une évolution qui questionne l’avenir de la province du Royaume-Uni, notamment la perspective de réunification de l’île, dans un contexte identitaire aujourd’hui complexe.
Les résultats du recensement en Irlande du Nord ont provoqué un choc en révélant que les catholiques étaient désormais plus nombreux que les protestants, pour la première fois depuis la création de l’entité politique, il y a 101 ans.
Des données spécialement intéressantes dans le contexte particulier de l’Irlande, marqué par un antagonisme atavique entre les communautés, à l’origine de troubles souvent meurtriers. «Depuis sa fondation, le débat politique en Irlande du Nord s’articule inévitablement autour de son clivage religieux», note Kevin Hargarden sur le site du magazine America, le 3 octobre 2022. Le théologien, qui travaille au Centre jésuite de foi et justice de Dublin, rappelle que ses frontières ont été tracées dans l’intention de maintenir une majorité protestante «permanente», à peu près de deux contre un.
Il y a dix ans, lors du dernier recensement, 45,1 % de la population s’identifiait comme catholique. Ce chiffre est aujourd’hui passé à 45,7 %, tandis que la population protestante est tombée à 43,5 %.
L’identité irlandaise en hausse
Au-delà de ces chiffres sur l’affiliation religieuse, des changements significatifs dans l’identité nationale apparaissent également clairement – 29 % de la population d’Irlande du Nord se considère désormais exclusivement comme irlandaise. Ce chiffre n’est que trois points derrière les 32 % qui se considèrent comme britanniques, ce qui représente une baisse substantielle par rapport aux 40 % d’il y a dix ans.
La question de l’unité irlandaise – c’est-à-dire la création d’un seul État avec la République d’Irlande du Sud – est sous-jacente au Nord, relève Kevin Hargarden. Et la question n’est pas de savoir si un référendum sur cette question sera organisé, mais quand. Mais s’il est vrai que l’identification religieuse correspond en gros à l’affiliation politique – c’est-à-dire que les protestants ont tendance à être unionistes et les catholiques nationalistes – cette vision mérite d’être nuancée, note le théologien jésuite.
Le passeport «européen» privilégié
La binarité simpliste catholique-protestant présentée dans les médias n’a que peu de rapport avec la réalité sur le terrain, assure-t-il. «Aborder la société nord-irlandaise uniquement à travers le prisme de l’identité religieuse ou en termes de drapeau tricolore irlandais et d’Union Jack britannique peut occulter des évolutions intéressantes».
«La République d’Irlande est devenue une entité économique plus dynamique que l’Irlande du Nord»
Derrière la course à la suprématie statistique des confessions, le changement le plus spectaculaire dans l’identité religieuse en Irlande du Nord est la montée des «sans confession». Il y a trente ans, ce groupe de population représentait 4 %. Aujourd’hui, ils sont 17 %.
Mais le jésuite voit dans le Brexit un facteur crucial dans les changements identifiés dans le recensement de 2021. La forte augmentation du nombre d’Irlandais du Nord détenant des passeports de l’Eire – ils sont passés de 375’800 en 2011 à 614’300 en 2021 – ne peut en effet s’expliquer uniquement par des facteurs religieux ou démographiques. Toute personne née en Irlande du Nord a droit à un passeport irlandais, quelle que soit son appartenance religieuse ou ses positions politiques. Les deux passeports, britannique et irlandais, peuvent être détenus simultanément. Mais le document irlandais permet une plus grande liberté de voyager à travers le continent européen, l’Eire étant toujours membre de l’Union. L’augmentation de la nationalité irlandaise en Ulster est donc aussi certainement une question de commodité.
Plus de «pauvres» au sud
Pour le révérend Trevor Morrow, ancien modérateur de l’Église presbytérienne d’Irlande, la fin de la majorité protestante n’a pas suscité de consternation au sein de la communauté. Le pasteur est depuis longtemps impliqué dans les efforts de réconciliation en Irlande du Nord. «Les choses ont changé», a-t-il déclaré, expliquant que le lien de facto entre le protestantisme et l’État nord-irlandais s’était évaporé. Il s’agit d’un moment décisif dans l’histoire de l’unionisme, qui, selon lui, a été fondé sur deux principes qui ne sont plus d’actualité: le risque d’une influence dominatrice de la société catholique romaine du «sud» et la supériorité économique du «nord».
«Les jeunes qui sortent aujourd’hui de l’université dans le nord n’ont aucun souvenir des ‘Troubles’»
Dans l’Irlande contemporaine, il serait faux de dire que les évêques catholiques restent influents. Et la République d’Irlande est devenue une entité économique plus dynamique que l’Irlande du Nord. En 2020, le PIB par habitant de l’Eire était plus du double de celui du Royaume-Uni. Sans adaptations pour répondre à ces nouvelles circonstances, il est difficile d’imaginer que l’unionisme tel qu’il a existé puisse persister à moyen terme, souligne Kevin Hargarden. Les unionistes ne peuvent plus utiliser ces arguments.
Un «moment étrange»
Selon Crawford Gribben, professeur d’histoire à l’Université Queen’s de Belfast, les résultats du recensement indiquerait «un moment étrange» dans l’histoire de l’Irlande du Nord. Les électeurs catholiques conservent une identité catholique mais sont prêts à voter pour des partis comme le Sinn Féin qui, de plus en plus, ne reflètent pas l’enseignement catholique sur des questions comme l’éthique sexuelle ou le droit à la vie. Quant aux électeurs protestants, ils semblent davantage disposés à délaisser leur identité protestante, abandonnant la fréquentation de l’église et embrassant l’agnosticisme, tout en continuant à soutenir une vision politique plus traditionnelle représentée par des partis comme les Unionistes démocratiques.
Les souvenirs de la guerre s’estompent
Le fait qu’en Irlande du Nord, il y ait maintenant plus de personnes qui cochent «catholique» que «protestant» fait partie d’un mouvement continu vers une Irlande unie, estime Kevin Hargarden. Les jeunes qui sortent aujourd’hui de l’université dans le nord n’ont aucun souvenir des «Troubles» qui ont pu pousser leurs parents aux extrêmes politiques. Le conflit, débuté à la fin des années 1960, est considéré comme s’étant terminé entre 1997 et 2007, selon les interprétations. Les violences auraient coûté la vie à plus de 3’500 personnes, dont près de 2’000 civils. «Mais la manière dont la réunification se concrétise sera un processus bien plus complexe que tout ce que nous pouvons déduire de ces simples statistiques», conclut le théologien. (cath.ch/america/arch/rz)