Les évêques de France refusent la légalisation du suicide assisté
Alors que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a entrouvert la possibilité d’une évolution législative sur la fin de vie, les évêques français appellent, dans une tribune publiée dans le quotidien «Le Monde», à renforcer les soins palliatifs et à honorer chaque vie humaine avant de proposer le suicide assisté.
Dans une déclaration publiée le 24 septembre 2022, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France écrit que «l’attente la plus profonde de tous n’est-elle pas l’aide active à vivre, plutôt que l’aide active à mourir ?»
Une application éthique de l’aide active à mourir
Le CCNE considère en effet, dans un avis rendu public le 13 septembre 2022, qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte.
Développer les soins palliatifs «avant toute réforme».
Au moment où le président français vient de présenter les termes d’un débat national sur la fin de vie, en entamant un examen approfondi de son avis, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France se réjouit que le CCNE souligne la nécessité de développer les soins palliatifs «avant toute réforme».
Les évêques disent entendre les interrogations de la société et être sensibles aux souffrances de personnes malades en fin de vie ou très sévèrement atteintes de pathologies graves. «Nous percevons les détresses de leur entourage, bouleversé par leurs souffrances, voire désespéré par un sentiment d’impuissance. Nous savons bien que les questions de la fin de vie et de l’approche de la mort ne peuvent pas être abordées de manière simpliste», peut-on lire dans la déclaration signée par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, et neuf autres évêques.
Eviter l’acharnement thérapeutique
«A l’écoute de malades, de soignants, de familles, d’acteurs des soins palliatifs, nous percevons que le besoin essentiel du plus grand nombre est d’être considérés, respectés, aidés, accompagnés, non abandonnés. Leur souffrance doit être soulagée, mais leurs appels expriment aussi leur besoin de relation et de proximité. L’attente la plus profonde de tous n’est-elle pas l’aide active à vivre, plutôt que l’aide active à mourir ?», poursuit le communiqué.
Et de rappeler que depuis plusieurs décennies, «un équilibre s’est progressivement trouvé dans notre pays pour éviter l’acharnement thérapeutique et promouvoir les soins palliatifs. Cette ›voie française’ a pu faire école et dit quelque chose du patrimoine éthique de notre pays. Nos soignants, qui ont à faire face à tant de difficultés concrètes pour faire vivre notre système de santé, expriment souvent combien ils sont attachés à cet équilibre qui constitue l’honneur de leur profession et correspond au sens de leur engagement».
Les évêques relèvent que les soins palliatifs, qui prennent en compte aussi bien le corps que la vie relationnelle et l’entourage des malades, ont fait progresser la solidarité et la fraternité dans le pays. «Mais ils sont encore absents d’un quart des départements français ! La priorité, selon le CCNE lui-même, est de faire disparaître ces ›déserts palliatifs’».
Pas d’autre issue à l’épreuve de la fin de vie qu’un suicide assisté?
Durant la crise liée au Covid-19, la société a fait de lourds sacrifices pour «sauver la vie», en particulier des personnes les plus fragiles, au point même parfois de sur-isoler les personnes malades ou âgées afin de préserver la santé de leur corps. «Comment comprendre que, quelques mois seulement après cette grande mobilisation nationale, soit donnée l’impression que la société ne verrait pas d’autre issue à l’épreuve de la fragilité ou de la fin de vie que l’aide active à mourir, qu’un suicide assisté ?»
Le 14 septembre, au lendemain de la publication de l’avis du CCNE sur la fin de vie, Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe de travail «bioéthique» au sein de la Conférence des évêques de France, déplorait les incohérences d’un tel texte. L’archevêque de Rennes saluait d’abord l’avis du CCNE, «un plaidoyer pour les soins palliatifs [qui] exprime avec finesse et justesse ces soins ›essentiels’ à la médecine». Le CCNE dénonce les faiblesses de leur mise en œuvre en France, malgré les lois qui les promeuvent comme un droit pour chaque citoyen. Il appelle vigoureusement à un effort de l’État pour que se diffuse partout la «culture palliative» en France.
«Du brouillard sur la réflexion»
Mais vouloir développer «en même temps» les soins palliatifs et l’aide active à mourir, «c’est à la fois favoriser l’expression des désirs individuels d’une mort immédiate, et promouvoir le soin par l’écoute et l’accompagnement de la vie, aussi fragile soit-elle». Cela «jette du brouillard sur la réflexion», car le CCNE utilise le même mot «fraternité» pour qualifier à la fois l’aide active à mourir et l’accompagnement par les soins palliatifs.
Mgr Pierre d’Ornellas relève que dans leur écrasante majorité, les médecins des soins palliatifs dénoncent la contradiction entre le soulagement qu’ils savent offrir et la proposition de donner la mort, proposition que les patients seront obligés d’envisager. Et de se demander pourquoi l’avis du CCNE ne pose pas dans le débat la longue tradition éthique issue du «tu ne tueras pas», «qui fonde notre civilisation et qui donne de la clarté pour penser notre responsabilité collective face à la question si complexe de la fin de vie».
Les réserves de certains membres du CCNE
Des membres du CCNE ont souhaité que dans l’avis émis le 13 septembre 2022 par le Comité consultatif national d’éthique, soit publiées certaines de leurs réserves. Ils soulignent que «développer une aide active à mourir alors même que l’accès aux soins palliatifs est très inégalement réparti sur le territoire français et très insuffisant par rapport aux besoins».
Précisément parce qu’ils partagent le constat qu’«on meurt mal en France», ces membres du CCNE considèrent comme éthiquement incontournable que tout soit prioritairement mis en œuvre pour remédier aux difficultés du système de santé, pour promouvoir une culture médicale appropriée aux enjeux particuliers de la fin de la vie, et pour interroger la société sur son rapport à la vieillesse et à la mort. «La mise en place d’une aide active à mourir, pour quelques cas exceptionnels, ne saurait améliorer significativement à elle seule les conditions de la fin de vie en France». cath.ch/cef/be)
Les représentants des cultes auditionnés
La ministre déléguée chargée des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a commencé, mercredi 21 septembre, à auditionner les représentants des cultes sur le sujet de la fin de vie, en recevant notamment le grand rabbin de France Haïm Korsia, puis Sadek Beloucif, médecin et membre du conseil d’administration de la Fondation de l’islam de France. Une délégation de la Conférence des évêques de France devait être reçue lundi 26 septembre à l’Élysée.
Le grand rabbin Haïm Korsia a déclaré que l’aide à mourir constituerait une «rupture anthropologique tragique». Quant à la Fédération Protestante de France, qui sera reçue par la ministre le 29 septembre, elle dit partager la crainte que l’évolution législative proposée soit principalement motivée par des raisons économiques ou idéologiques. Et de déplorer que «la conception utilitariste dans les débats de fin de vie ait gagné du terrain à mesure que progressait la sécularisation et que diminuait l’influence du christianisme dans les sociétés occidentales». (cath/be)