Les évangéliques représentent plus de 70% des candidats qui se présentent aux postes de sénateurs, députés fédéraux et gouverneurs | © Jean-Claude Gérez
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Brésil: le scrutin de la foi

Le 2 octobre 2022 se tiendront les élections présidentielles au Brésil. Les électeurs seront aussi appelés à désigner leurs gouverneurs, sénateurs, députés fédéraux et locaux (pour chaque État). La campagne est marquée cette année par un nombre record de candidats qui se sont déclarés leaders d’un ordre religieux.

Jean-Claude Gérez pour cath.ch

713 sur près de 28’000. Le chiffre pourrait paraître insignifiant. Et pourtant le nombre de candidats déclarés leaders d’un ordre religieux qui se présenteront aux élections dans quelques jours constitue une première dans l’histoire démocratique du Brésil. Il représente, selon la Cour Supérieure Électorale (TSE), une augmentation de 12,6% par rapport à 2018.

70% des candidats sont évangéliques

Si les évangéliques restent largement en tête avec près de 70% des candidats, cette année est marquée par une présence inédite de candidats issus de religions afro-descendantes, Candomblé et Umbanda, mélange de catholicisme et de différentes formes d’animisme africain. Vingt-neuf candidats concourent en effet en utilisant les titres de Père et Mère de Saint, la plupart postulant à un mandat de député d’un des 27 états de la République Fédérale du Brésil. Soit 4% du total des religieux inscrits à l’élection et le double par rapport au nombre de candidats se revendiquant «catholiques» (14), quasiment invisibles durant la campagne.

Ces leaders spirituels d’églises de matrice africaine portent, entre autre, les thématiques de la lutte contre le racisme et l’intolérance religieuse, de plus en plus présentes dans le pays. La Mère de Saint Bernadete Souza d’Oxóssi en fait partie. Responsable du terreiro (lieu de culte) Ilê Axé, à Ilheus, dans l’État de Bahia, au nord-est du pays, cette quinquagénaire est candidate du Parti Socialisme et Liberté (PSOL-gauche) pour un mandat de députée de l’État de Bahia.

«Je suis Ialorixá (responsable du terreiro et de sa liturgie), mais aussi militante du mouvement noir, féministe et femme paysanne, installée sur une terre grâce à la Réforme agraire. La religion est un autre élément de notre culture en tant que peuples traditionnels», explique t-elle. Son engagement en politique remonte à 2010, lorsque des policiers ont agressé un jeune agriculteur dans la zone rurale d’Ilhéus où elle vit. Bernadete Souza a tenté d’intervenir. Elle a été accusée d’outrage. «Il y a eu une manifestation de mon orisha, explique t-elle. Les policiers m’ont jeté à terre, ont tiré mes cheveux et ont dit que Satan allait sortir de mon corps».

Évangéliques très représentés

La Mère de Saint Bernadete Souza d’Oxóssi fait partie des leaders spirituels d’églises de matrice africaine | DR

Pour Ivanir dos Santos, Docteur en Histoire comparée, enseignant au sein de  l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et lui-même «babalaô» (Père de Saint), ce nombre record de candidatures ne doit rien au hasard. «L’intolérance religieuse et la diabolisation des croyances d’origine africaine ont poussé les dirigeants à entrer dans la bataille électorale», assure t-il. Et sans doute sont-ils plus nombreux que les chiffres annoncés par la Cour Supérieure Électorale. «Les candidatures de Candomblé ou d’Umbanda identifiées à partir des noms donnés pour le scrutin est sans doute plus élevé, confirme-t-il. Car tous ne font pas valoir explicitement leurs responsabilités au sein des Terreiros». Bernadete Souza d’Oxóssi, elle-même a préféré apparaître dans les urnes sous le seul nom de Bernadete Souza, même si ses affiches de campagne la montre dans sa tenue traditionnelle de Mère de Saint. Une volonté de sa part de montrer que ses thèmes de campagne ne se limitent pas aux fidèles des religions de matrice africaine.

Le plus important contingent de candidats leaders religieux se trouve cependant parmi les pasteurs évangéliques. Sans grande surprise, l’immense majorité de ces candidats représentent des partis de droite et soutiennent Jair Bolsonaro. Le président d’extrême droite compte d’ailleurs sur le relai des leaders évangéliques, en particulier ceux qui se présentent aux élections, pour combler son retard dans les sondages face au candidat et ex-président Luiz Inácio Lula da Silva. Un bémol, toutefois: s’il peut espérer compter, comme l’indique un sondage réalisé en août, sur 51% des voix des évangéliques (contre 28% à Lula), sa côte a baissé par rapport à 2018, où il avait obtenu plus de 70% des suffrages chez cet électorat.

Vote religieux et identitaire

Pourtant, les recettes de 2018 sont les mêmes. Tout au long de cette campagne, Jair Bolsonaro a utilisé les lieux de culte comme autant de scènes électorales, répétant les mêmes devises chrétiennes utilisées depuis sa victoire en 2018 et affirmant qu’il accomplissait au Palais du Planalto (palais présidentiel) une «mission confiée par Dieu».

Le président n’a pas hésité non plus à solliciter son épouse, Michelle, excellente oratrice et évangélique convaincue, pour le soutenir. Une première dame tellement imprégnée de sa mission qu’elle a été accusée d’intolérance religieuse après avoir partagé une ancienne vidéo dans laquelle Lula recevait un bain de pop-corn, lors d’une fête de candomblé. Lors de la publication du document sur les réseaux sociaux, Michelle Bolsonaro a déclaré que le responsable du Parti des Travailleurs (PT) avait «vendu son âme pour gagner l’élection».

Le président Jair Bolsonaro est devancé dans le sondages par son adversaire Luiz Inácio Lula da Silva | © Flickr/Alan Santos/PR/CC BY 2.0

Cette participation record de leaders religieux aux prochaines élections n’est par une surprise pour Rodrigo Coppe Caldeira, professeur des Sciences de la religion et historien à l’Université de Belo Horizonte, au centre du Brésil. «Cette présence est principalement liée à l’émergence des évangéliques dans le pays au début des années 2000. À partir de ce moment, la place de la religion en politique a commencé à s’immiscer dans le débat public, avec en filigrane l’existence même de l’État laïc, la politique des mœurs et la question des minorités».

Rodrigo Coppe Caldeira, estime aussi que les réseaux sociaux ont accéléré ce mouvement des idées auprès d’un public de plus en plus à la recherche de repères identitaires. «Pour beaucoup d’électeurs, l’aspect religieux est envisagé comme un aspect identitaire, notamment chez les électeurs de droite. Lorsque les titres «pasteurs», «frères», «père ou mère de saint» sont mentionnés, l’objectif est d’amener l’électeur à s’identifier immédiatement, sur la base d’un système de croyances politiques qu’il a et veut voir représenté de manière politique». Avec, comme objectif final, «obtenir un maximum de votes». (cath.ch/jcg/bh)

Les évangéliques représentent plus de 70% des candidats qui se présentent aux postes de sénateurs, députés fédéraux et gouverneurs | © Jean-Claude Gérez
26 septembre 2022 | 17:00
par Rédaction
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