l'Église catholique en Suisse romande est à la peine dans le domaine de la transition écologique | © Maurice Page
Suisse

Transition écologique: l’Église catholique à la peine

Chaque année, du 1er septembre au 4 octobre, les communautés chrétiennes sont invitées à célébrer la Saison de la Création: un temps pour prendre soin de la Création et veiller à notre environnement. Des initiatives ont éclos dans les diocèses romands, mais force est de constater que, pour l’instant, la transition écologique ne fait pas recette auprès des paroisses romandes.

«Au printemps dernier, j’ai envoyé un courrier à toutes les paroisses du diocèse pour annoncer la Saison de la création (actuellement en cours, ndlr) et les sensibiliser à la transition écologique en Église. J’ai reçu zéro réponse», se désole Christian Thurre, diacre permanent dans le diocèse de Sion. Dans la lettre, co-signée par son évêque, Mgr Jean-Marie Lovey, le diacre, qui travaille au service de l’environnement de l’État du Valais, se disait prêt à venir dans les paroisses pour parler environnement et proposer des initiatives parmi lesquelles l’adhésion à «EcoEglise», le réseau œcuménique suisse romand pour le soin de la création.

«La mayonnaise peine à prendre, constate-t-il, et pourtant il y a urgence». Le diacre cherche une manière de relancer les paroisses et reconnaît, que dans le domaine de l’écologie, l’Église catholique en Suisse romande est à la traîne, comparée à son homologue alémanique. Et encore plus par rapport à l’Église réformée. Alors même que le pape François a publié son encyclique Laudato si’ en 2015, plaidoyer magistral pour la sauvegarde de la Création. Un véritable paradoxe.

Actuellement la carte interactive visible sur le site d’«EcoEglise» recense 33 paroisses et institutions qui ont effectué un éco-diagnostic, un questionnaire permettant d’identifier les actions possibles vers une transition écologique (voir encadré). L’Église catholique compte sept inscriptions – dont une dans le diocèse de Sion et aucune dans le Jura pastoral – contre 19 pour l’Église réformée, les sept autres points sur la carte désignant des paroisses évangéliques. Sept inscriptions sur les centaines de paroisses et d’institutions que compte l’Église catholique en Suisse romande – la carte n’inclut pas les projets qui se sont développés par ailleurs dans les diocèses romands.

Lara-Florine Schmid est membre du comité de pilotage de EcoEglise | © EcoEglise

L’écologie reléguée au second plan

Lara-Florine Schmid, membre du comité de pilotage de EcoEglise, voit plusieurs facteurs dans le retard qu’ont pris les catholiques: question de calendrier pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), «la nomination de représentant-e-s de l’évêque initiée en mai 2021 par Mgr Charles Morerod a passablement occupé les esprits, reléguant les préoccupations écologiques au second plan». Christian Thurre ajoute que le synode sur la synodalité a également monopolisé les débats en Église ces derniers mois.

La pandémie de coronavirus a mis l’activité ecclésiale à l’arrêt durant un an et demi, compliquant les démarches des membres de la jeune association pour la Création – EcoEglise a été lancée en octobre 2020, au cœur de la crise sanitaire. Pas facile de faire passer le message dans un contexte aussi agité. Nos interlocuteurs en conviennent, mais affinent l’analyse.

Bon accueil, pas de suivi

«Lors de la présentation de EcoEglise, l’accueil dans l›Église catholique a été très positif au niveau des diocèses, des vicariats et des fédérations. Nous n’avons pas eu à souligner l’urgence climatique», assure Lara-Florine Schmid. Mais le message reste difficile à faire passer jusque dans les paroisses. Dorothée Thévenaz-Gygax, représentante de l’évêque pour l’écologie dans le diocèse de LGF relève que «Laudato si’ et la thématique de l’écologie ont été bien reçues par les catholiques, mais pas mises en œuvre».

Dans les communautés elles-mêmes, relève Lara-Florine Schmid, l’écologie n’est pas toujours en tête de liste. «Non pas que les fidèles n’aient pas conscience de la crise climatique et des enjeux environnementaux actuels, mais visiblement, ils n’en font pas une priorité». Notamment lorsque les bénévoles manquent pour assurer la bonne marche de la paroisse, la préoccupation de l’environnement est mise de côté ou ajournée. Tout dépend aussi de la sensibilité du curé à l’écologique, qui peut influer sur une démarche écologique dans sa paroisse. La thématique n’est pas abordée du tout dans les paroisses vieillissantes.

Les ‘râleurs de service’

Des paroissiens ont témoigné se sentir souvent seuls pour lancer des initiatives concrètes pour le climat. «Certains disent passer pour les ›râleurs’ de service lorsqu’ils incitent leur communauté à économiser l’eau ou l’électricité ou a contrario sont considérés comme de doux rêveurs lorsqu’ils abordent le thème de la transition écologique», rapporte Lara-Florine Schmid.

Le rapport «Initiative écologie dans le diocèse de LGF» émanant de la Commission pour l’écologie de LGF pointe une difficulté: «Ces initiatives ne sont pas coordonnées. Il n’y a pas de stratégie pour les promouvoir. Ce qui existe est peu communiqué».

Dorothée Thevenaz gygax est représentante de Mgr Charles Morerod pour l’écologie | © Raphaël Zbinden

Ainsi plusieurs initiatives ont vu le jour, comme une charte synodale établie par les deux UP de la ville de Fribourg, dont une des thèses est consacrée au respect de la Création. L’idée a débouché sur la création d’un groupe de travail formé de paroissiens qui vont plancher sur la question de la transition écologique. Les moines d’Hauterive sont très investis dans la transition écologique: ils ont converti leur domaine à l’agriculture biologique. Dans le canton de Vaud, plusieurs centaines de jeunes ont suivi un jeûne alimentaire et de consommation lors du Carême 2021 à travers l’initiative «Detox la Terre».

Chacun dans son coin

Autant de projets, parmi d’autres, qui ont éclos un peu partout en Romandie, sans réelle concertation et qui, faute de communication et de visibilité, passent parfois sous les radars. «Le défi pour nous est de trouver les bons canaux de communication et bonnes personnes qui nous permettront de rejoindre les paroisses», reconnaît Lara-Florine Schmid.

Chacun reste dans son coin. Or la généralisation des projets environnementaux passera par une ouverture des communautés aux autres et une mise en commun des ressources. Vu de la cure, le changement de mentalité que cela implique peut paraître important, voire insurmontable. Tous les interlocuteurs conviennent que le faire-savoir et le partage demeurent un enjeu central. «Je suis convaincue qu’il existe des actions concrètes qui ne sont pas mises en avant», explique Dorothée Thévenaz Gygax.

Des «petites pousses d’espérance»

C’est ce qu’espère aussi Christian Thure. Il cite les «petites pousses d’espérance» qu’il a repérées dans le diocèse de Sion, «mais qui, à l’exception de la Maison de la Diaconie, ne sont pas rattachées à EcoEglise». Le «Jardin dans la ville», ouvert le 17 septembre dernier par la paroisse de Martigny-Ville, la pièce de Théâtre «La Colloc MC», écrite et mise en scène par des jeunes, sur le thème de Laudato si’.

Benjamin Bender en répétition de la pièce de théâtre «La colloc M C» | © Gauthier Tschopp

Dorothée Thévenaz Gygax compte bien utiliser le potentiel que représente la commission diocésaine de l’écologie… une fois que celle-ci sera constituée. «La commission sera multidisciplinaire: les membres – onze en tout, dont certains doivent être nommés – viendront de la pastorale, de Église, de l’éducation, d’ONG de l’industrie. C’est modeste, mais cela devrait nous permettre d’insuffler une dynamique. Il nous faudra aller au-delà des structures et des frontières pour avoir une vision de l’Église plus œcuménique».

«Le respect de la Création doit s’inscrire au cœur de notre foi, relève la représentante de Mgr Morerod pour l’écologie, la nature n’est pas un stock de ressources à gérer en consommant mieux». Et l’Église a un rôle à jouer pour accompagner cette conversion écologique». (cath.ch/bh)

EcoEglise, pour la Suisse romande
En réflexion depuis 2019, «EcoEglise», le réseau œcuménique suisse romand pour le soin de la création, a vu le jour en octobre 2020. L’association a été co-fondée par les associations «A Rocha» pour la protection de l’environnement, «Oecu Eglises pour l’environnement», créée outre Sarine en 1986, le laboratoire de la transition intérieure de «Action de Carême» et «Stop pauvreté». Elle bénéficie du soutien des Églises catholique, réformée et évangélique. «EcoEglise est une adaptation pour la Suisse romande de Eco Church en Angleterre et du label «Eglise verte» en France.»», explique Lara-Florine Schmid.
Le principe est de mettre les paroisses en réseau et de les accompagner dans la transition écologique. Les communautés font un éco-diagnostic en répondant à 90 questions en ligne à travers cinq grands chapitres: célébrations et enseignement (spiritualité), les bâtiments, le terrain, le mode de vie et l’engagement local et global. Le résultat permet de situer les paroisse sur le chemin de le transition écologique et de suggérer des actions à accomplir. La plateforme met également à disposition 35 fiches conseil pour mieux gérer les ressources. BH

l'Église catholique en Suisse romande est à la peine dans le domaine de la transition écologique | © Maurice Page
23 septembre 2022 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 6  min.
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