En 34 ans, la déforestation en Amazonie a été égale  à 18 fois la surface de la Suisse | © Jean-Claude Gerez
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Brésil: en Amazonie, la CPT présente malgré les menaces

À quelques jours du premier tour des élections présidentielles, la situation de l’Amazonie brésilienne est au centre des préoccupations. Les violences y ont en effet augmenté depuis l’élection, en 2018, de Jair Bolsonaro. Des violences qui touchent aussi les membres de la Commission Pastorale de la Terre (CPT).

Face aux charpentes de bois encore fumantes, Alberto Alves de Castro soupire, entre colère et fatalisme. «Ils sont arrivés en pleine nuit. On a entendu des coups de feu et nous sommes sortis de la maison en courant, direction les fourrés où nous nous sommes cachés. Peu après, on a entendu les hommes tirer sur les façades des maisons. Ils se sont ensuite rendus à l’école et ils l’ont brûlée».

Alberto Alves de Castro du Projet Sœur Dorothy Stang | © Jean-Claude Gerez

«Il», ce sont les pistoleiros envoyés le 19 août dernier par le grand propriétaire terrien voisin. Un homme qui occupait illégalement depuis les années 1980 ces quelques 4’000 hectares de terres appartenant à l’État brésilien. Une terre jadis recouverte de forêt tropicale primaire mais qu’il a, au fil du temps, transformé en une immense prairie dénudée où paissent des centaines de bovins.

«Projet Dorothy Stang»

En juin 2021, l’Institut national de la Colonisation et de la réforme agraire (INCRA) a pourtant reconnu le droit à 73 familles de vivre en paix sur cette terre où elles se sont installées en 2013, comme l’y autorise la loi. Neuf ans après, la peur règne toujours au sein du «Lot 96», baptisé «Projet Sœur Dorothy Stang», religieuse américaine assassinée en 2005, et situé à une cinquantaine de kilomètres d’Anapu.

C’est dans cette petite ville, au cœur de l’État du Pará, que la religieuse, membre de la CPT, a été assassinée le 12 février 2005, par des pistoleiros à la solde de grands propriétaires terriens. Son tort? Avoir convaincu à l’époque l’INCRA de récupérer des terres qu’ils occupaient illégalement pour les redistribuer à des paysans sans terre au nom de la Réforme agraire. Des terres qui leur permettent de pratiquer aujourd’hui une agriculture familiale respectueuse de la forêt amazonienne.

Une Amazonie (trop) convoitée

Bienvenue en Amazonie brésilienne, territoire de 5,5 millions de km2 représentant plus de la moitié des forêts tropicales restantes sur la planète. Mais sans doute plus pour très longtemps. Car au fil des années, les études toujours plus inquiétantes se multiplient sur la disparition de ce couvert forestier. Celle de l’ONG MapBiomas Amazonía (réseau amazonien d’information socio-environnementale), indique qu’«entre 1985 et 2018, un total de 74,6 millions d’hectares de forêt et de couverture végétale ont disparu en Amazonie». Soit l’équivalent de près de 18 fois la Suisse.

Cette déforestation est le résultat d’une série de fléaux dont souffre la région: élevage extensif, monocultures, exploitation forestière et minière, construction de barrages hydroélectriques et de routes, incendies volontaires… Des fléaux qui provoquent une hausse sans précédent des conflits liés à la terre.

Souvenir des martyrs de la forêt sur une piste pre»s d’Amazonie | © Jean-Claude Gerez

Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le rapport de la CPT sur les conflits et les violences liés à la terre survenus en 2021, au Brésil. «Sur les 1’768 conflits, près de 80% ont eu lieu en Amazonie, explique Mgr Jose Ionilton le président de la CPT. Le terme «conflits» inclut la déforestation illégale, les familles expulsées de leurs terres, les invasions de terres… Les «violences» en Amazonie représentent 65 % du total du pays et les crimes se multiplient, puisque sur les 35 assassinats commis en 2021, 28 l’ont été dans cette partie du Brésil». Soit une augmentation de 75% en un an.

Ce sombre état des lieux est le reflet d’une profonde divergence entre les intérêts économiques et les populations locales, le plus souvent victimes des conséquences de l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles. «Le mandat de Jair Bolsonaro, porté au pouvoir en 2018 avec l’appui de l’agrobusiness, a accéléré la destruction de l’Amazonie, souligneainsiMaria das Graças, politologue. Il a affaibli les organes de protection de l’environnement et des populations locales et même tenté de remettre en question la légalité des homologations de terres indigènes, pourtant garantie par la Constitution de 1988.»

«On doit se débarrasser des religieuses»

Les petits paysans et les peuples indigènes ne sont pas les seuls à être menacés de violences. Ceux qui les défendent sont de plus en plus exposés et les membres de la CPT n’y échappent pas. C’est le cas de Raione Lima, avocate de formation. Travaillant dans la région de Santarem, à l’ouest de l’État du Pará, cette trentenaire a déjà été menacée de mort à trois reprises. La première c’est lorsqu’elle a conseillé des familles de petits paysans ayant engagé des poursuites devant la justice pour récupérer des terres«J’ai été menacée à deux autres reprises parce que j’accompagnais des leaders de communautés indigènes eux-mêmes menacés. Cette fois-là, je réalisais un travail de suivi juridique, de conseil, et de plaidoyer juridique et politique auprès des organes compétents». De quoi donner le sentiment à Raione Lima que «ceux qui menacent et qui commettent ces crimes cherchent à affaiblir toutes les structures d’appui destinées à aider les leaders indigènes et les paysans à faire respecter leurs droits».

Les propriétaires terriens font régner la terreur en Amazonie | © Jean-Claude Gerez

L’exemple le plus symbolique reste celui de la Commission Pastorale de la Terre d’Anapu, où œuvrait Sœur Dorothy Stang. Dix-sept ans après sa mort, Sœur Jane Dwyer, 82 ans, et Katia Webseter, de trois ans sa cadette, toutes deux membres – comme Sœur Dorothy – de la Congrégation des Sœurs de Notre-Dame de Namur, poursuivent le travail de la religieuse. «Les menaces existent toujours à Anapu. Et nous en sommes la cible, assure Sœur Jane. Chaque jour, on entend dire «ces étrangères doivent partir d’ici» ou «nous devons nous débarrasser de ces deux sœurs».

«Mais nous ne sommes pas les seules personnes menacées ici. En fait toute personne qui lutte pour la vie de la forêt s’expose aux menaces.» Une situation qui n’effraie pourtant pas la religieuse, qui assure vouloir «mener [ma] mission jusqu’au bout». Y compris au côté des 73 familles du «Projet Sœur Dorothy Stang».  Un engagement que confirme Alberto Alves de Castro. «La CPT ne nous a jamais incité à occuper cette terre. Mais depuis que nous nous y sommes installés, elle nous aide à défendre nos droits. Et surtout, elle nous aide à reboiser. Pour le bien de l’Amazonie, et de l’humanité». (cath.ch/jcg/bh)

En 34 ans, la déforestation en Amazonie a été égale à 18 fois la surface de la Suisse | © Jean-Claude Gerez
29 septembre 2022 | 09:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
Amazonie (115), CPT (31), Déforestation (16), Violence (139)
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