Zurich: des icônes contre la guerre en Ukraine
Un couple d’artistes ukrainiens, Sonia Atlantova et Oleksandr Klymenko, peint des icônes sur des couvercles de caisses de munitions abandonnées sur le champ de bataille. Ils conçoivent leur oeuvre, exposée prochainement à Zurich, comme une mission pour la paix.
Wolfgang Holz, cath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
«Transformer la mort en vie. Transformer la guerre en paix. C’est le rêve de tous ceux qui sont confrontés aux horreurs de la guerre», assure Oleksandr Klymenko. «Le projet de peindre des icônes sur des caisses de munitions était donc notre rêve commun pour la paix en Ukraine».
Les icônes peintes avec son épouse Sonia Atlantova seront exposées de mi-janvier à mi-février 2023 au centre de rencontre «Jenseits im Viadukt», à Zurich. Le couple d’artistes a présenté son oeuvre le 10 septembre 2022 dans les locaux de la rédaction de l’institut «G2W» (Forum œcuménique pour la religion, la foi et la société à l’Est et à l’Ouest).
Le pouvoir des icônes
Lorsque l’artiste âgé de 46 ans commence à parler de ses icônes, sa voix prend un ton grave et presque «sacré». Il décrit un appel intérieur qui s’enracine dans une foi profonde. Le peintre d’icônes est en quête d’un lien intime avec Dieu et s’efforce de s’améliorer constamment en tant qu’être humain. «En parallèle, on cherche bien sûr à s’améliorer en tant qu’artiste», note-t-il.
Selon Oleksandr Klymenko, une icône a le miraculeux pouvoir de refléter aussi bien des événements qui se sont produits il y a deux mille ans que la tragédie de la guerre à notre époque. Son épouse Sonia le résume de manière encore plus précise: «Peindre des icônes, c’est comme prier avec des couleurs». Dans la culture byzantine, on ne parle pas de peindre des icônes: elles sont «écrites». Il s’agit d’une manière particulière de parler des saints et de Dieu, une forme d’hagiographie.
Reflets de sainteté
Oleksandr Klymenko est, comme sa femme, diplômé de l’Académie nationale des beaux-arts et d’architecture de Kiev. Il a notamment enseigné à l’Institut national des arts décoratifs et du design de la capitale ukrainienne. Tous deux sont issus de familles d’artistes et ont toujours voulu peindre. Ils sont également écrivains. Lui, rédige des textes surréalistes sur la guerre. Elle écrit des textes de livres pour enfants, proposés pour plusieurs prix littéraires en Ukraine et à l’étranger, notamment le «BBC Book of the Year».
Mais comment en sont-ils venus à peindre des icônes, aujourd’hui? Rien ne les passionne autant que ces représentations humaines de Dieu, fenêtres ouvertes sur la plus haute dimension de la sainteté. Raison pour laquelle elles sont peintes sur un fond doré. «Pour moi, les icônes sont tout simplement les images peintes les plus abouties», explique Oleksandr Klymenko.
«Nous voyons dans chaque icône la rédemption, la paix et la réalisation de nos espoirs»
Les icônes d’Oleksandr et Sonia, déjà largement réputées, sont des témoins silencieux de la guerre. Elles sont réalisées sur des fragments de caisses de munitions abandonnées sur les champs de bataille en Ukraine. Sur certains couvercles, on peut encore voir les charnières. La plupart des planches proviennent des stocks de l’armée ukrainienne. Mais entre-temps, le couple d’artistes a également utilisé du matériel russe abandonné par l’armée de Poutine. «Ces icônes transforment les déchets militaires qui sentent la mort en art qui affirme la vie», explique Oleksandr Klymenko.
Recettes des ventes pour les enfants
L’artiste se lève soudain et sort d’un carton une icône particulière, peinte sur le couvercle d’une caisse de munitions dans laquelle est encastrée une tige métallique. «Ce levier sert normalement à ouvrir les boîtes de cartouches dans la caisse de munitions. Maintenant, à côté de l’image du saint, il peut fonctionner comme une clé permettant à ceux qui regardent d’accéder à la dimension de la divinité».
Les images peintes sont destinées à apporter l’espoir de la paix et de la justice dans un pays déchiré par la guerre. Les recettes des ventes serviront à financer un hôpital mobile, qui se trouve pour l’instant près de Kharkiv. Elles soutiennent également des frères dominicains, qui s’occupent d’enfants traumatisés par la guerre et recrutent des volontaires pour réparer des maisons.
Le cycle d’icônes «Mariupol Deesis» smybolise de façon particulièrement triste les atrocités commises lors de l’invasion russe. Cette série d’icônes, créée en avril 2022, est dédiée à la ville du sud de l’Ukraine, presque entièrement détruite, à ses habitants et à ses défenseurs. «Il s’agit de 11 icônes qui semblent avoir été écrites avec des larmes et du sang. Des œuvres que je n’ai pas pu publier pendant longtemps, que je n’ai osé publier nulle part et que je n’ai pratiquement pu montrer à personne. Elles sont trop douloureuses, trop personnelles», raconte Oleksandr Klymenko. «Nous voyons dans chaque icône la rédemption, la paix et la réalisation de nos espoirs».
L’horreur imprévisible
Les deux artistes ont l’accord du gouvernement ukrainien pour se rendre dans des expositions à l’étranger. «Nous avons déjà exposé dans 105 lieux et 53 villes d’Europe». Mais combien de temps encore des caisses de munitions seront-elles nécessaires en Ukraine? Oleksandr Klymenko est plutôt pessimiste sur ce point: «La guerre ne se terminera pas de sitôt, car l’Ukraine n’a aucune confiance en la Russie». Cela alors que tant de personnes apparentées vivent des deux côtés de la frontière.
L’horreur de cette guerre vient aussi de l’imprévisibilité. «A chaque minute, tout peut arriver, une bombe ou un missile peuvent exploser – c’est presque une question de destin ou de chance. Qui sera touché, qui ne le sera pas?». Les deux artistes qui habitent en Ukraine ne préféreraient-ils pas rester à Zurich, ville paisible et sûre? «Je pense qu’on n’a pas besoin de moi ici», répond Oleksandr Klymenko en souriant. (cath.ch/kath/wh/rz)