Kazakhstan: renaissance du christianisme après l'URSS
Alors que le pape François se rendra au Kazhakstan du 13 au 15 septembre 2022, le Père Pierre Dumoulin, qui fut le cofondateur du seul séminaire du pays, raconte avec émotion le retour des missions après la chute de l’empire soviétique l’URSS et la soif d’un peuple où avaient survécu des îlots chrétiens cachés.
En 1991, le Père Pierre Dumoulin est prêtre du diocèse de Monaco et enseignant à l’Institut de théologie de Lugano, en Suisse. Alors que Jean-Paul II demande en secret à l’Institut de Lugano de former les évêques de l’Union soviétique, il est réquisitionné parce qu’il est russophone.
Le Père Dumoulin donne alors des cours à divers évêques, notamment celui du Kazakhstan qui, à l’issue de son séjour, l’invite à enseigner chez lui. Fait inédit derrière le rideau de fer qui s’ouvre peu à peu, le prêtre français va donner des cours aux professeurs d’histoire des religions kazhaks. L’information est même annoncée par la radio officielle du pays. Il y constate «une grande soif». Sur une cinquantaine d’étudiants, une vingtaine demandent le baptême. «Cela m’a profondément bouleversé, confie-t-il. Il y avait une attente incroyable dans ces années-là.»
15 prêtres pour un territoire plus grand que l’Europe
Il suggère alors à l’évêque de la région de former des prêtres. Proposition accueillie avec scepticisme après les années de communisme qui ont laissé ces terres exsangues de vocations. L’Église y est pauvre, quinze prêtres desservent un territoire plus grand que l’Europe (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan et Turkménistan). Le vicaire général demande au prêtre de rédiger le projet de séminaire, puis de le lancer. D’abord déconcerté par cette proposition inattendue, il finit par accepter sa nouvelle mission.
Aux Rameaux 1992, le missionnaire ouvre un pré séminaire de trois mois: «Au début je pensais qu’il n’y aurait personne. J’ai vu débarquer 12 garçons… Et le miracle s’est renouvelé chaque année. Nous avons continué pendant quatre ans, je faisais des allers-retours entre Lugano et Karaganda. C’était encore du clandestin, les communications étaient compliquées, nous étions surveillés par le KGB.»
Le pré-séminaire se situe à Karaganda, au cœur d’un des plus grands goulags de la période communiste, le Karlag. C’est là que les catholiques étaient les plus nombreux à l’époque, la moitié de la population étant des descendants de déportés russes, allemands, polonais, ukrainiens. Karaganda était d’ailleurs le seul endroit de l’Union soviétique où une église catholique avait été construite, sur un modèle architectural particulier: les mineurs de cette ville de charbon se sont servi de matériaux trouvés sur place tels que des tubes de mine ou des rails de chemin de fer.
La rencontre avec la babouchka
Avec les jeunes du pré-séminaire, le Père Dumoulin organise des tournées au Kazakhstan pour parler de la vocation. Sur ces terres arides, dans les villages ethniques encore marqués par la rude empreinte des camps, ils découvrent des communautés chrétiennes qui n’ont jamais vu de prêtres. «Les gens se rassemblaient pour célébrer, ils mettaient une table, des ornements, ils lisaient des prières, ça leur servait d’office. Ils allaient devant une croix pour se confesser. S’ils arrivaient à avoir de l’eau bénite ils la faisaient perdurer en y ajoutant de l’eau pendant des années. Ils célébraient encore comme autrefois en latin, en noir, ils n’avaient jamais entendu parler de Vatican II».
Des religieuses qui avaient consacré leur vie de façon cachée ont également subsisté dans de petits monastères restés secrets. «Ce qui les a fait tenir, la force de l’Église, ça a été le chapelet, affirme le père Dumoulin. C’est une prière tellement simple qui se transmet facilement et qui permet de garder la foi. Dans les camps, les grands-mères confectionnaient des chapelets avec des boulettes de pain retenues par un fil». C’est grâce à tous ces fidèles, qui recopiaient de mémoire des prières dans des carnets, que la foi s’est transmise.
Des espions du KGB?
En voyant arriver des prêtres et de jeunes candidats au sacerdoce, certains se méfient, craignant d’avoir affaire à des espions. Mais un jour, une rencontre bouleverse le père Dumoulin: «Nous sommes arrivés dans un village où des gens construisaient une église, raconte-t-il. Des grands-mères portaient des sceaux de ciment, des enfants cassaient des petits cailloux pour faire le pavement, des grands-pères étaient juchés sur des échafaudages pour monter les murs.»
Et de poursuivre: «La babouchka qui faisait office de curé, peut-on dire, nous a demandé qui nous étions. Nous lui avons expliqué. «Toi, à partir de quand tu seras prêtre?», a-t-elle demandé à Youroslav. «Je dois faire six ans d’études et ensuite quand je reviendrai, je serai prêtre», a-t-il répondu. «Ah, six ans. Quand tu reviendras, je serai morte. Mais ce n’est pas grave, parce que je t’ai vu».»
«Dans ces paroles, se souvient-il avec émotion, j’ai entendu le vieillard Syméon, j’ai vu la foi de cette femme qui disait: j’ai tenu, j’ai vu le jour où les chrétiens pourront revivre ici».
La main de Dieu au Kazakhstan
Par la suite, le pré-séminaire de Karaganda a été transformé en séminaire pour toute l’Asie centrale. Aujourd’hui rentré à Marseille après de longues missions en Russie et en Géorgie, le Père Dumoulin continue à donner des cours (en visioconférence) pour les candidats kazakhs, géorgiens ou russes qui étudient au séminaire. La structure accueille une dizaine de séminaristes par an en moyenne.
La géographie ecclésiale du pays aussi a évolué: le Kazakhstan compte actuellement trois diocèses – sud, centre, nord – et une administration apostolique. La plus large population chrétienne se situe dans le diocèse d’Astana. Une centaine de prêtres couvrent le territoire national, dont une bonne quinzaine originaires du Kazakhstan.
En 2021, pour la première fois, Yevgeniy Zinkovskiy, un prêtre de la nouvelle génération du Kazakhstan, a été nommé évêque auxiliaire à Karaganda. «C’est une joie, une fierté de savoir que l’un de nos jeunes est évêque», souligne le missionnaire. De même, des Kazakhs – qui vivent un islam modéré – commencent à se convertir au christianisme, qui était vu jusqu’à présent comme la religion de l’Occident.
Une cathédrale de style gothique a été construite à Karaganda. «C’est un monument emblématique visible, qui attire, qui montre ce qu’est le christianisme». Outre deux carmels, on trouve deux lieux d’adoration permanente à Nour-Soultan – anciennement appelée Astana – et au sanctuaire marial d’Oziornoe.
«Ce n’est pas nous qui l’avons fait, c’est le Bon Dieu», répète le père Dumoulin. Il se souvient avoir été sauvé de nombreuses fois «dans des situations abracadabrantes, perdus au fond de la steppe dans des voitures en panne, avec la crainte de geler sur place. Et la solution arrivait. Je n’ai jamais autant senti la main de Dieu qu’au Kazakhstan». (cath.ch/imedia/cd/bh)
Pour son 38e voyage apostolique à l’étranger, le pape François se rendra pour la première fois au Kazakhstan, en Asie centrale, du 13 au 15 septembre 2022. Le pontife parcourra plus de 5'000 km pour rejoindre la capitale kazakhe, Nour-Soultan, où il participera au 7e Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles. Voici notre dossier spécial.