Brésil: l'Église dénonce la politique de Jair Bolsonaro en Amazonie
A quelques jours du premier tour des élections présidentielles au Brésil, le 2 octobre 2022, Mgr Jose Ionilton, président de la Commission Pastorale de la Terre (CPT) qui est liée à la Conférence des évêques du Brésil (CNBB), s’alarme de l’augmentation de la violence qui touche l’Amazonie.
Jean-Claude Gérez pour cath.ch
La violence qui sévit en Amazonie région est un des thèmes de la campagne des élections présidentielles de 2022. D’après le rapport annuel sur les violences en milieu rural publié par la Commission Pastorale de la Terre (CPT), 35 assassinats ont été perpétrés dans cette région en 2021. Soit une augmentation de 75% par rapport à 2020.
Quel est votre sentiment à propos des violences qui secouent l’Amazonie?
Mgr Jose Ionilton: C’est d’abord humainement très angoissant. Presque tous les jours, nous sommes informés de violences, d’une personne qui a été menacée, d’une communauté sur le point d’être d’expulsée de ses terres et, malheureusement aussi, de morts. Ensuite, en tant qu’Église, nous devons faire face à cette réalité et même en faire un défi. Car la CPT, depuis sa naissance en 1975, se veut une présence prophétique auprès des travailleurs et des travailleuses du monde rural.
Nous essayons donc de faire de notre mission un signe d’espoir. Dire aux hommes et aux femmes que nous sommes avec eux, engagés dans un même combat, que ce soit pour préserver la terre, les eaux ou le territoire. Cette mission en Amazonie est d’autant plus importante que c’est dans cette région que se concentrent 65% des violences en milieu rural, au Brésil.
«Pour le Capital, ce qui importe c’est de faire du profit, pas de respecter la vie.»
Pourquoi y t-il autant de violences en Amazonie?
Parce que l’Amazonie demeure le biome (un ensemble d’écosystèmes caractéristique d’une aire biogéographique, ndlr) le plus préservé du Brésil. Par conséquent, les intérêts du Capital qui veut exploiter la terre pour en tirer des bénéfices sont concentrés ici. C’est le cas de l’agrobusiness, de l’élevage, de l’exploitation minière et forestière, du pétrole et du gaz. Et même si cela doit passer par le fait de raser des forêts pour le bois, expulser les populations autochtones pour exploiter le minerai qui se trouve dans le sous-sol et polluer les rivières avec le mercure qui sert à purifier l’or. Pour le Capital, ce qui importe c’est de faire du profit, pas de respecter la vie.
Avez-vous noté une dégradation de la situation ces dernières années?
Durant ces quatre dernières années, la situation a empiré. Le gouvernement de Jair Bolsonaro, avec l’aide du Congrès, a multiplié les projets de loi et les amendements de la Constitution facilitant la destruction de l’Amazonie. Invasions de terres, incendies volontaires… Le tout accompagné d’un assouplissement de la loi sur la possession d’armes. Bolsonaro a répété à plusieurs reprises qu’il voulait armer les gens de bien pour faire face aux gens du mal. Et pour lui, les gens qui se battent pour défendre leur bout de terre sont des gens du mal. Mettre plus d’armes dans les mains de la population et faciliter l’achat de munitions contribuent à une augmentation de la violence. Le gouvernement Bolsonaro a agi en disant que l’Amazonie devait se développer et que les autochtones devaient devenir des humains! Il a affirmé que ne pas exploiter les richesses dont regorge le sous-sol de l’Amazonie irait à l’encontre du développement. Donc si gouvernement dit cela ouvertement, le grand capital se sent encouragé!
«Le gouvernement Bolsonaro a agi en disant que l’Amazonie devait se développer et que les autochtones devaient devenir des humains!»
De plus en plus d’agents de la CPT se retrouvent eux-mêmes exposés aux menaces et aux violences. Quel est votre sentiment?
C’est un thème que nous évoquons régulièrement lors de nos réunions, nationales ou locales. Bien sûr la situation nous préoccupe, car tous les agents aspirent à accomplir leur mission en toute sécurité, sans mettre leurs vies en danger. Mais la violence existe. Elle est permanente, à partir du moment où nous acceptons de suivre et conseiller des personnes qui sont elles-mêmes menacées. Mais malgré ce contexte de violence, je n’ai jamais entendu des agents de la CPT dire qu’ils allaient renoncer à leur mission. Au contraire! Lorsqu’ils se rendent compte qu’une communauté est menacée, ils sont d’autant plus présents. Ils et elles ont conscience des risques de leur travail.
De nombreux agents de la CPT évoquent l’inspiration et la force données par le Synode pour l’Amazonie et l’exhortation apostolique Querid Amazonia («Chère Amazonie») du pape François. Partagez-vous ces sentiments?
Sans aucun doute! Cela a été une grâce et une bénédiction pour nous qui travaillons dans cette pastorale, pour la défense des travailleurs et des travailleuses ruraux. Il faut rajouter aussi l’encyclique Laudato si’ qui a été fondamentale dans ce processus de construction de la défense de l’Amazonie. Dans le cadre du Synode, il y a eu une grande écoute des peuples de la région. Plus de 80’000 personnes ont participé à ces échanges!
La force du pape François comme dirigeant de l’Église catholique durant ces années a été très importante. Pour nous qui sommes ici, c’était une présence stimulante et motivante. Il a affermi la conviction que notre présence en tant qu’Église auprès de ces peuples est fondamentale. Certes tous les évêques du Brésil ne sont pas impliqués dans la défense de l’Amazonie. Mais ceux qui le sont ont reçu du pape François un encouragement à poursuivre leur mission pour le bien de la Maison Commune.
À quelques jours du premier tour des élections présidentielles, qu’attendez-vous de ce scrutin?
J’espère que nous parviendrons à élire un gouvernement qui valorise les biomes, qui revitalisent les organismes publics de surveillance pour ne pas laisser se poursuivre la déforestation et la pollution des eaux, et qui soit capable d’inclure la défense de l’Amazonie dans son projet de gouvernement. Je rêve que nous puissions aider les personnes à désigner les candidats et candidates qui pourront prendre soin le mieux possible de la Maison Commune et s’engager à mettre un terme à la violence et à la destruction de l’Amazonie. (cath.ch/jcg/bh)